La presse algérienne reflète très bien les contradictions d’une société qui doute de son avenir économique. Alors qu’un pétrolier, ex-ministre et patron de la Sonatrach devenu consultant, jure que le gaz de schiste est l’avenir du pays, un responsable algéro-américain explique que les leaders de la Silicon Valley sont natifs d’Alger, d’Oran, de Constantine et d’Ouargla…
Les Algériens très soucieux de leur indépendance ne savent plus s’il faut continuer à croire à la mère nourricière, la rente pétrolière, ou espérer qu’une jeunesse algérienne de technologues, dispersée à travers le monde, bâtisse une économie du savoir en phase avec la réalité mondiale du capitalisme actuel. C’est-à-dire la montée en puissance, ces dix dernières années, des géants du web, après ceux du logiciel.
À la faveur de la crise sociétale autour du gaz de schiste qui a débuté en décembre à In Salah, les Algériens ont commencé à saisir qu’il existe, à l’intérieur du pays comme dans sa diaspora, deux profils d’hommes et de femmes, deux générations qui s’opposent, par leurs formations et cursus professionnels, dans leur vision de la future Algérie. En février dernier, lorsque l’ex-premier ministre algérien Sid-Ahmed Ghozali a qualifié le mouvement d’In Salah de petit mouvement local sans envergure et peut-être même téléguidé par un clan du pouvoir, il ne se doutait pas, lui le pétrolier, ex-président de la Sonatrach, qu’à l’heure des réseaux sociaux tout mouvement peut prendre comme un feu de paille.
Six-Ahmed Ghazali, comme toute l’élite du pétrole algérien s’estimait, depuis la nationalisation des hydrocarbures dans les années 70, être l’un des garants et détenteurs de la sécurité économique du pays en raison de leur savoir pétrochimique. Ils ont sous-estimé la montée en puissance d’une nouvelle génération, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, d’acteurs des sciences de l’ingénieur, interconnectés entre eux. C’est quelques-uns de cette nouvelle élite qui ont, grâce au numérique, suivi pas à pas l’évolution du mouvement anti-gaz de schiste à In Salah, sur la place Essoumoud. On peut être Algérien ou non de la Silicon Valley et connecté à In Salah, on peut être Algérien ou non du campus du Saclay et connecté à In Salah. On peut être Algérien ou non de Cambridge et connecté à In Salah…
Cette élite des sciences de l’information qui n’a pas la culture du culte des secrets industriels comme l’ont les pétroliers. Elle a plutôt celle de l’innovation et du partage du savoir (open source), et elle a aujourd’hui des arguments à faire valoir, face à la génération des pères fondateurs de la rente des hydrocarbures. Un jeune étudiant américain a commencé, en 2004, dans sa chambre d’étudiant d’Harvard à bidouiller un réseau social. Ce même jeune, toujours habillé des mêmes tee-shirts et jeans, est aujourd’hui à la tête d’une société valorisée en capitalisation à hauteur du PIB de l’Algérie : 224 milliards de dollars.
Ainsi, la population de In Salah aussi lointaine, perdue dans l’immensité du Sahara, perçoit grâce aux informations de la jeune élite algérienne mondialisée par les réseaux digitaux, qu’il y a aujourd’hui, comme entreprise, plus puissante que la Sonatrach, Facebook et ses dizaines, peut-être ses centaines de jeunes ingénieurs algériens.
Puisque comme le confirmait récemment, à Alger, le président du Conseil d’affaires algéro-américain : « Après les Indiens et les Chinois qui, eux, commencent à à rentrer chez eux, les leaders actuels de la Silicon Valley sont d’origines algériennes ». Il reste à attendre et voir, si le pouvoir algérien décide de suivre l’exemple chinois et indien consistant à favoriser le retour de cette élite du numérique pour prendre la relève de ceux qui ont développé la rente pétrolière. Et pourquoi pas assister à la mutation de la Sonatrach en industrie du code informatique et du Big data, à l’exemple des entreprises sud-coréennes !