Très fortes inquiétudes sur le Maghreb : la Libye implose, le Sahel s’enflamme avec l’avancée de la rébellion malienne adossée à Aqmi et les salafistes montrent leurs crocs à Tunis.
Alors que le couple algéro-marocain tente de faire revivre l’UMA, la Libye post-Kadhafi implose tandis que la rébellion touareg malienne passe à l’offensive, s’emparant, sans coup férir, de la ville de Gao, aggravant du coup l’insécurité aux frontières sud du Maghreb. Profitant de ce contexte, les salafistes tunisiens pensent, eux aussi, que leur heure a sonné : ils emploient la force pour revendiquer l’établissement du Khalifa dans le pays, ironie de l’histoire, qui a ouvert en 2010 le Printemps arabe. Le lien entre la Libye et la situation au Mali a été établi par la junte qui a déposé ATT, qu’elle accuse d’avoir laissé la rébellion targuie du Nord prendre ses aises jusqu’à en découdre avec l’armée régulière et s’emparer de territoires. La rébellion des Touaregs est revenue sur les accords de paix conclus dans les années 1990 — sous le parrainage de l’Algérie — lorsque ses supplétifs de la légion étrangère de Kadhafi sont rentrés chez eux, celui-ci vaincu par la coalition occidentale est assassiné par le CNT libyen. L’Algérie avait alerté à l’époque sur la circulation des armes dans la région. Les Touaregs ne sont pas rentrés chez eux bredouilles : ils s’étaient copieusement servis dans les arsenaux de Kadhafi.
L’instabilité libyenne, comme point de départ
Le MNLA se sentant revigoré a tourné le dos à la conciliation avec Bamako pour revendiquer un État sur toute la région des Azawad, dont Kidal serait la capitale.
Voilà pourquoi l’instabilité qui s’est installée au Mali est considérée comme un accident collatéral de la crise libyenne post-Kadhafi. La même cause a produit la nouvelle situation qui frappe la Tunisie : l’instabilité libyenne a encouragé les salafistes tunisiens dans leur passage aux actes. Donc, tout a commencé en Libye où depuis plus d’un mois les combats entre tribus rivales sont montés en cadence. Ils faisaient rage samedi à Sebha, dans le sud, avec plus de 147 morts et 395 blessés en six jours ! Pour faire court, cinq mois après la fin des opérations de l’Otan, les milices rebelles refusent de faire allégeance au CNT (Conseil national de transition), officiellement reconnu comme le pouvoir de la Libye post-Kadhafi par la communauté internationale. Ce CNT doit, en principe, poursuivre sa mission jusqu’à l’élection d’une assemblée constituante en juin prochain, mais son autorité n’est pas établie en Libye. Le pays est déchiré par des rivalités régionales et tribales alimentées par des milices surarmées qui s’adonnent à des activités mafieuses : l’ONU a enregistré des rapts, des liquidations et des tortures. Rien que pour la capitale, trois groupes se disputent son contrôle dont celui de l’islamiste Belhadj, un ancien de l’Afghanistan lié à Al-Qaïda. Et aucun de ces seigneurs de guerre ne veut rendre ses armes et encore moins se fondre dans la nouvelle armée nationale du CNT. Celui-ci n’est pas également accrédité par les notables tribaux qui réclament une Libye fédérale, divisée en trois grandes régions : la Tripolitaine, le Fezzan et la Cyrénaïque, laquelle a décrété son autonomie il y a trois semaines. Cette région abrite 80% des gisements d’hydrocarbures. Évidemment, les tribus sans pétrole ne sont pas d’accord, comme les Toubous et les Berbères.
D’où les affrontements malgré l’envoi par le CNT de forces militaires pour tenter d’imposer une trêve.
La rébellion touareg met le Mali à genoux
Cette crainte de voir la Libye subir une évolution à l’irakienne est valable pour le Mali où les rebelles touareg sont entrés samedi dans la ville de Gao, place forte du Nord des troupes d’une junte désormais prise en tenailles par la sédition touareg et les menaces d’embargo, voire d’intervention, des pays voisins qui exigent un retour à l’ordre constitutionnel.
Les voisins du Mali sont inquiets et se demandent, à l’unisson avec la Cedeao, comment préserver l’intégrité territoriale de ce pays ? En attendant, depuis que des militaires mutinés ont pris le pouvoir, les rebelles multiplient les attaques et ils gagnent du terrain. Atmosphère de doute et d’inquiétude également dans une Tunisie qui vient de célébrer le 56e anniversaire de son indépendance. Voyant, eux aussi, une opportunité dans le chaos qui s’installe chez leur voisin libyen et la préoccupation suscitée par le danger d’embrasement dans le Sahara sahélien, les salafistes tunisiens frappent sur la table.
L’activisme est croissant ces dernières semaines. Contrôlant la plupart des mosquées quatorze mois après la chute de Ben Ali, ils se démènent pour arracher plus dans un pays où les institutions provisoires n’ont pas trouvé leurs marques. Barbus et niqab, inspirés et soutenus par le wahhabisme, semblent vouloir profiter de cette période de transition et de marasme économique pour imposer leur volonté de retour à un islam des origines fondé sur le règne de la charia et l’instauration du Khalifat. Le péril salafiste est encouragé par Ennahda.
Le parti de la majorité invoque le modèle moderniste de l’AKP turc pour la propagande, mais il est jugé beaucoup trop complaisant par l’opposition à l’égard des activistes islamistes. Ce sont bien des élus d’Ennahda qui ont provoqué des débats houleux à la Constituante, en proposant, soutenus par une foule de manifestants barbus, que la charia devienne la source principale de la loi.
Ghannouchi a certes reculé, annonçant le maintien de l’article constitutionnel établissant le lien avec la religion, tel qu’il a été scellé par Bourguiba, mais pour mieux sauter demain. C’est la logique même de l’islamisme, fut-il soft. Reste que l’instabilité politique n’attire ni les touristes ni les investisseurs. Et sans eux, la crise va s’aggraver au seul bénéfice des… salafistes.
D. B