Ce n’est un secret pour personne, le pétrole Libyen intéresse tous ceux qui ont contribué d’une manière ou d’une autre au renversement du régime Kadhafi.
Que penser de l’indignation d’un Nicolas Sarkozy qui s’offusquait que l’on puisse penser que la campagne militaire menée en Cyrénaïque en Tripolitaine n’avait qu’un but : le pétrole Libyen. C’est pourtant ce détail qui n’échappe pas à l’analyse, même de l’expert le moins informé. Lors de son dernier voyage en Italie, Mahmoud Jibril, le président du conseil exécutif du Conseil national de transition Libyen (CNT), avait rencontré à Milan Paolo Scaroni, le CEO de l’ENI, le géant pétrolier italien. L’information qui passait pour une indiscrétion lourde de sens avait été finalement relayée par le service de presse de l’ENI qui avait mis en évidence les perspectives de la production pétrolière en Libye dans l’après-Kadhafi. L’ENI est le plus grand investisseur étranger en Libye et projetait d’injecter 25 milliards de dollars dans ce pays où il est présent depuis 1959. ENI glanait 13% de ses revenus dans ce pays.
Mais il n’y a pas que l’italien Eni qui est intéressé par le pétrole libyen. L’américain Marathon Oil, qui avait indiqué que des « discussions préliminaires » ont eu lieu avec les rebelles et BP, déjà présent en Libye, attendrait que les conditions soient plus amènes pour renvoyer ses expatriés sur place. Le groupe français Total, plus discret, est présent en Libye pour réaliser 2,3% de sa production mondiale d’hydrocarbures. Une partie congrue dans la production, mais la prospection l’intéresse. En fait, la production de pétrole libyenne était partagée entre les filiales de NOC (National Oil Company), la Sonatrach libyenne pour 500 000 barils jour et 35 autre compagnies étrangères parmi lesquelles on retrouve l’américain ConocoPhilipps et l’espagnol Repsol-YPF, la société autrichienne OMV ou encore Wintershall, la compagnie chinoise CNPC, deux entreprises russes Gazprom Neft et Tatneft, et le norvégien Statoil. Pour beaucoup de ces compagnies, leurs investissements étaient des projets de développement à long terme. Récemment, Nicolas Sarkis, le patron de la revue Pétrole et gaz, un expert reconnu, indiquait sur une chaîne de télévision d’information que cet intérêt bien compris – celui affiché pour le pétrole – ne doit pas être éludé et que les pays qui ont participé à la campagne libyenne attendent un retour pour leur engagement et cela est normal.
PAYS DE PÉTROLE
Car au bout du compte, qu’est-ce que la Libye en dehors de son histoire et de sa géographie ? Si le pays peut se targuer d’avoir un Pib qui se classe dans le top 50 des économies les plus riches du monde, c’est grâce à son pétrole. Deuxième producteur de pétrole brut en Afrique entre le Nigeria et l’Algérie, la Libye dispose également de la plus grande réserve de pétrole en Afrique, estimée à plus de 45 milliards de barils en 2011. La Libye dispose aussi de réserves gigantesques en gaz naturel estimées à 1 548 milliards m3. Des ressources peu exploitées du reste puisqu’à peine 28 milliards m3 ont été produits en 2009 et dont la moitié est destinée à la consommation domestique notamment pour la production électrique. Un gazoduc, le Greenstream, permet d’exporter une quantité de gaz naturel vers l’Italie. De fait, la Libye est devenue donc un acteur majeur au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). En devenant «l’ami» du nouveau régime et du nouvel Etat, il y a tout lieu de penser que les pays occidentaux, principaux clients du marché énergétique, renforcent clairement leur position pour ne plus subir les décisions d’une OPEP qui ne leur est pas toujours favorable.
D’ailleurs, au moment même où le CNT évoquait l’avenir institutionnel de la Libye, il mettait en évidence sa priorité économique, relancer l’industrie pétrolière. Celle-ci est quasiment à l’arrêt depuis le début des troubles. La production était de 1,6 million de barils par jour d’un brut très faible en teneur en souffre et particulièrement apprécié des raffineurs. Mais on sait aussi que la remise en état et le redémarrage des infrastructures pétrolières libyennes demandent du temps. Cela est d’autant plus compliqué que le risque d’instabilité sera persistant même si déjà Ferhat Guidara, l’ancien patron de la banque centrale libyenne, a indiqué que 3 à 4 mois seront suffisants pour remettre la machine en marche.
LE MARCHÉ EN MANQUE
Pour juger de la place du pétrole libyen dans le marché mondial, il faut juger aussi des effets du manque occasionné par les troubles en Libye. Selon le cabinet d’experts Wood MacKenzie, le retour à la normale promis rapidement pourrait prendre jusqu’à trois ans. Pour se faire une idée des choses, il faut se rappeler l’Irak qui a dû patienter quatre ans pour retrouver son niveau de production d’avant l’invasion américaine de 2003. Pour les experts de la banque d’affaires Goldman Sachs, la Libye ne pourrait produire que 585 000 barils par jour fin 2012 alors que le niveau actuel est de 60 000 barils/jour. Cette absence de la Libye, déjà ressentie, avait fait gravir au prix du Brent de la mer du Nord des monts culminant à 125 dollars le baril fin avril. On sait aussi que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) avait été consultée par les pays occidentaux pour évaluer le risque de pénurie.
Fin juin, l’AIE décidait d’ailleurs de puiser 60 millions de barils dans ses réserves stratégiques pour pallier les perturbations liées au manque d’approvisionnement de pétrole libyen.
La fin du conflit attendu est loin d’assurer une stabilité des cours et le maintien d’un niveau de prix intéressant de part et d’autre d’autant que la croissance mondiale est en berne et sujette à beaucoup d’inquiétude. Par ailleurs, alors qu’aujourd’hui semble se dessiner une ligne déterminant les compagnies des pays amis de la Libye d’une part et les autres d’autre part, il faut bien voir qu’une nouvelle guerre, plus en douceur et plus en subtilité, risque de s’engager entre les géants pétroliers mondiaux. Une guerre qui aura des implications politiques et diplomatiques. Un risque que personne ne voudrait courir en principe.