Un chamelier arrête sa monture, met pied à terre, s’accroupit et passe une main sur le sable. Il se redresse regarde autour de lui le désert, les dunes et, plus loin, le soleil couchant. « C’est là que je creuserai mon puits », se dit-il. L’homme s’appelait Messaoud. C’était en 1917 et le puits en question sera le plus célèbre du pays. Son seul nom est désormais évocateur des plus grandes richesses d’Algérie. C’est Hassi Messaoud.
Hassi Messaoud, l’une des vingt-et-une communes d’Ouargla compte aujourd’hui plus de 700 entreprises et de nombreux puits de pétrole. De grandes compagnies pétrolières, mais aussi beaucoup d’entreprises de sous-traitance spécialisées dans différents métiers opèrent dans cette région qui s’étend sur plus de 71.000 km2. Au-delà des données chiffrées, la ville la plus riche du pays, et pour certains d’Afrique, est une ville complexe, écartelée entre des contradictions qu’on ne peut assimiler qu’en se rendant sur place.
Prendre l’avion pour Hassi Messaoud, la nuit, a quelque chose de surréaliste. Les lumières sont rares dans le désert enveloppé dans la nuit et celles qu’on voit sont intenses. Des torchères isolées, des bases-vie, des unités de production brillent de leurs couleurs rouges et blanches dans un océan d’obscurité. Viennent, enfin, celles de l’aéroport Krim Belkacem, de Hassi messaoud. Le chemin vers la ville la plus riche du pays est pavé de points lumineux. Tout ce qui entoure cette ville est pourtant sombre au sens figuré comme au propre. Nous en aurons la confirmation plus tard.
Hassi messaoud se trouve à quelque 900 kilomètres au sud de la capitale. Elle compte moins de 60.000 habitants pour 120.000 travailleurs venus d’autres régions du pays ou de l’étranger. Ils travaillent pour des compagnies pétrolières et autres entreprises en tous genres mais ayant toutes un lien, d’une manière ou d’une autre, avec le secteur de l’énergie. La toute puissante compagnie nationale Sonatrach est la première compagnie pourvoyeuse d’emplois. Elle assure des emplois directs, elle est associée à des compagnies étrangères et elle stimule la création d’une multitude de petites entreprises de services sous-traitant pour elle ou pour le compte de ses associés.
Une ville bloquée
Dans cette ville rien ne se fait sans l’accord de la Sonatrach. Personne ne peut disposer du foncier si la compagnie nationale des hydrocarbures y voit une objection. Des périmètres de sécurité sont à respecter autour des puits de pétrole et on ne peut toucher aux terres si Sonatrach détecte un risque. Une explosion s’est déjà produite après une importante fuite de gaz à partir d’un pipeline, il n’y a pas si longtemps, et il n’est pas question que cela se reproduise.
A partir de l’année 2005, la ville a été classée ville à hauts risques. Le décret 05/127 qui lui a donné ce statut en a fait une ville totalement différente des autres. La municipalité qui n’a plus les coudées franches, doit à chaque projet, consulter un conseil formé de membres des services de sécurité, de la daïra, de la wilaya, du ministère de l’énergie et bien sûr de Sonatrach. Une ville à hauts risques est une ville où on ne peut avoir des autorisations pour construire, lancer des travaux d’aménagement ni même obtenir un registre de commerce. La version dure de cette loi n’a pas duré longtemps, puisqu’un nouveau décret adopté récemment a lâché du lest.
Il est désormais possible d’obtenir un registre de commerce de ou mener des travaux d’aménagement en ville, mais les permis de construire restent gelés. Ce qui a rendu la situation de Hassi Messaoud un peu plus compliquée c’est la décision de mettre en place une nouvelle ville à 75 km de la ville actuelle. Elle devrait compter 18.000 logements pour une population totale de 80.000 habitants. Un projet ambitieux, mais qui risque de tarder à voir le jour. Et parce que justement une nouvelle ville doit voir le jour, il n’est pas concevable que des logements soient attribués au niveau de la désormais vieille ville. Le P/APC de Hassi Messaoud, Mohamed yacine Bensaci, se dit perplexe.
« Nous ne sommes pas contre ce projet, bien au contraire, mais nous ne savons toujours pas ce que sera le sort des habitants de la ville actuelle. Rien n’a été clairement dit à leur propos ». Le premier responsable de la commune ira plus loin. « Si la nouvelle ville prend dix ans à être construite, l’on peut s’attendre à ce qu’il y ait de nombreux problèmes sociaux, pendant cette période, au niveau de l’ancienne ville », assure-t-il.
M. Bensaci qui suggère de permettre aux demandeurs de logements de s’installer dans des logements préfabriqués, évoque les premiers effets de cette interdiction, à savoir les constructions illicites. « Sachant qu’ils ne peuvent pas espérer obtenir de nouveaux logements, les habitants de la villes effectuent des extensions anarchiques ou construisent des bâtisses sans autorisation. Souvent, nous ordonnons leur démolition, mais on ne peut pas interdire aux gens de construire sans leur donner quelque chose en échange », regrette le maire.
Les habitants de Hassi Messaoud sont donc dans une situation temporaire qui risque de durer. Ils ne peuvent se loger et ne sont pas, non plus, totalement sûrs d’avoir des logements décents à la future nouvelle ville. Une nouvelle ville dont on vient tout récemment d’achever l’étude.
L’autre grand problème qui se pose à Hassi Messaoud est celui de l’emploi. L’importance de ce problème ne se mesure pas par le nombre de chômeurs mais plutôt par son impact psychologique sur les locaux. Les gens de cette région riche en opportunités et en entreprises peinent à trouver un emploi.
« Des gens venus des quatre coins du pays et qui travaillent dans les compagnies pétrolières choisissent rarement des locaux et préfèrent recruter leurs connaissances », nous dit-on. « Pour ne pas recruter une personne de la région, on impose des conditions insurmontables. On exige d’un candidat au poste de chauffeur ou d’agent de sécurité, par exemple, de rédiger un rapport en français ou de parler anglais », nous disent les personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus.
Ces mêmes mots nous ont été répétés par le maire de Hassi Messaoud lui-même. « Des mouvements de protestation ont été initiés à plusieurs reprises par les citoyens pour exprimer leur colère », nous dit-on encore. « La situation est simple, qu’on nous donne la possibilité de travailler est il n’y aura aucun problème. En plus, ce n’est pas difficile, il y a tellement d’entreprises sur place », disent les habitants de Hassi Messaoud.
Pour l’année 2013, le budget complémentaire de la commune était de 3330 milliards de centimes. La commune a même assuré une aide de 140 milliards de centimes à des communes voisines.
La situation de Hassi messaoud est particulière. Pratiquement toute l’Algérie est représentée dans cette ville. Des gens de l’est, de l’ouest, du centre et du sud y travaillent en plus de nombreux expatriés qui, depuis la prise d’otages de Tiguentourine, se font un peu plus rares en ville, préférant rester dans les bases-vie de la zone industrielle.
En allant dans un restaurant, en prenant un taxi, on risque rarement de tomber sur un natif de Hassi Messaoud. Des pionniers de tous horizons sont venus travailler ou même investir dans cette ville. « On trouve beaucoup d’Algérois dans l’administration. Les gens de Tizi-Ouzou et de Bejaia sont dans la restauration et à moindre degré dans l’administration. Les gens de l’est, du sud au nord, sont essentiellement spécialisés dans le commerce.
Les gens de l’ouest touchent un peu à tout, mais ont une préférence pour les métiers techniques », nous explique Moussa, notre guide local qui lui-même vient du nord et occupe aujourd’hui un poste de responsabilité dans une entreprise de sous-traitance. La répartition des métiers s’est faite naturellement mais sans que les gens de la région soient impliqués. Il y a, bien évidemment, certains cas où les gens de Hassi Messaoud occupent des postes importants mais cela reste rare.
Malgré tout, on ne peut pas réellement parler de régionalisme. Les gens sur place s’entraident quelle que soit leur région d’origine et montent même des entreprises ensemble. Travailler en réseau n’implique pas toujours de privilégier les gens de sa région.
Duel dans le désert
En parlant justement d’entreprises, un phénomène nouveau se fait jour à Hassi Messaoud où des opérateurs algériens imposent depuis quelque temps une rude concurrence aux entreprises de sous-traitance étrangères qui occupaient seules le terrain jusqu’à une date récente.
Depuis trois ou quatre ans, des entreprises algériennes spécialisées dans différents domaines parviennent à ravir des marchés à leurs concurrents étrangers. Des entrepreneurs algériens à classer dans une toute nouvelle catégorie ont, semble-t-il, compris l’importance de faire des efforts sur tout ce qui touche à la qualité des services et produits proposés et surtout à la formation de leurs personnels.
Ces entreprises versées dans des spécialités telles que la restauration, la maintenance des équipements de forage ou encore l’informatique et la bureautique sont prises très au sérieux par les grandes compagnies pétrolières opérant à Hassi Messaoud, chose qu’on ne pouvait imaginer il y a seulement quelques années.
Il faut dire aussi que les entreprises algériennes ont bénéficié de l’appui de l’état à travers la loi sur la préférence nationale qui leur accorde un avantage de 25% lors des ouvertures de plis pour les marchés les mettant en concurrence avec des étrangers.
Pétrole vert…
A Hassi Messaoud, tous les opérateurs ne s’intéressent pas au pétrole et au gaz. A 24 kilomètre à l’est de la ville, entre les dunes et les pipelines, se trouve la plus grande palmeraie de la région. Son propriétaire, Said Harzallah, 67 ans, diplômé en agronomie et beaucoup de choses à enseigner sur l’agriculture et sur la vie, nous fait part de son aventure avec beaucoup d’émotion.
Natif de la Wilaya d’Ouargla et ancien cadre de Naftal, cet agriculteur a fait le choix de la terre durant les années 1980. « Pétrole vert » est le nom qu’il a donné à sa plantation. « C’est le défunt président Boumediene qui a utilisé l’expression pétrole vert en 1971 pour parler d’agriculture. C’est lui qui m’a inspiré pour lancer ce projet », raconte-t-il.
« Lorsque j’ai pris la décision de planter des palmiers beaucoup de gens m’ont pris pour un fou. Tout le monde cherchait du travail dans des compagnies pétrolières au moment où moi je voulais travailler la terre. Seul mon père, lui-même agriculteur, m’a encouragé », se souvient-il. « Pétrole vert » qui a commencé par un seul palmier et de nombreuses difficultés s’étend aujourd’hui sur 16 hectares et compte 2500 palmiers. C’est aujourd’hui la plus grande plantation de Hassi Messaoud. Autour d’elle quelques dizaines de plantations dont le nombre moyen de palmiers reste réduit. Durant la saison 2011-2012, la palmeraie de Said a produit 50 quintaux de « Deglet Nour », 100 quintaux de « Degla Beida » et 30 quintaux de « Ghers ». Une production respectable, mais Said a une idée en tête.
Il s’est lancé récemment dans la production de concentré de datte également connu sous l’appellation de miel de datte. « J’ai moi-même imaginé les machines avec lesquelles je produit aujourd’hui le miel de datte. Je ne le fait pas encore en quantité industrielle mais j’en ai vendu mes produits à des pharmacies dans la région, mais aussi à Alger et à Batna. Les résultats sont encourageants », dit-il. Cet agriculteur a tenté plusieurs produits et s’intéresse depuis quelque temps à l’olive.
Said entretien des liens particuliers avec ses palmiers et en a donné même des noms à certaines. L’histoire la plus touchante est celle du palmier qu’il a baptisé « Saïda ». Un palmier âgé de dix ans mais qui est pourtant plus petit que ses congénères car il s’est mal développé à cause de la sécheresse. « Ce petit palmier était à deux doigt de mourir à cause de la sécheresse. Pour le sauver, je l’arrosais chaque matin avec de l’eau minérale « Saïda ». Il ne s’est pas développé normalement mais je sais qu’il est sauvé et il rattrapera son retard », explique-t-il. «Je considère chacun de mes palmiers comme mon propre enfant », dit-il.
La visite de palmeraie débordera sur d’autres sujets, la situation de la ville, le pétrole et les choses de la ville. « Ici, le temps passe lentement est cela nous permet d’apprécier les choses », nous dit notre hôte. Il nous le prouvera un peu plus tard.
En nous accompagnant en voiture en ville, Said, le sourire aux lèvres, nous fait une proposition. « Je vais vous montrer quelque chose de particulier…le meilleur coucher du soleil du coin ». Le soleil glissait lentement derrière l’horizon et il y avait un endroit en hauteur qu’il fallait atteindre rapidement pour en avoir la meilleure vue. En lançant un rire sonore, le conducteur appuie sur l’accélérateur. S’engage alors une véritable course avec le soleil.
De 60 kilomètres à l’heure, la vitesse du véhicule passe à 80, à 100 puis à 120 kilomètres à l’heure. Quelque rares voitures croisant notre chemin en sens inverse. Au bout d’une course effrénée sur une route, par endroits, en mauvaise état, nous arrivions à l’endroit voulu et là, un rare spectacle s’offre à nous. Une boule de feu, rougeâtre, aux contours parfaitement visibles derrières des dunes empourprés. Le spectacle était presque parfait, et même l’installation pétrolière plantée dans le décor ne parvenait pas à contrarier cette image parfaite. La course valait la peine. Dans le sud, les rares fois où l’on engage une course contre la montre, c’est uniquement pour prendre le temps d’apprécier les choses.
La légende de Messaoud Rouabah
Hassi Messaoud, littéralement « puits de Messaoud » doit son nom à un nomade et éleveur de bétail du nom de Rouabah Messaoud. Il avait l’habitude de creuser des puits dans la région pour assurer de l’eau à ses bêtes et à celles des autres éleveurs. Grâce à des contacts locaux, nous avons réussi à trouver son petit-fils, Laâla Rouabah. Agé de 81, l’homme est éleveur de dromadaires et vit non loin du puits creusé par son grand-père. Il nous reçoit avec du thé et un large sourire.
« Messaoud Rouabah a creusé plusieurs puits dans la région, mais en creusant celui-ci, il avait remarqué que le sable était couvert d’une matière grasse. Il s’est dit: ce puits n’est pas comme les autres », raconte Laâla comme il aurait raconté une légende. Il partit d’un rire franc lorsque nous suggérions que Messaoud avait, en fait, presque trouvé du pétrole. On nous apprendra par la suite que la plus jeune des filles de Messaoud Rouabah vit encore dans la localité de Rouissat à 80 kilomètres au nord. Mebrouka, une vénérable dame qui aurait dépassé les cent ans.
En arrivant au puits historique. Une surprise nous attendait. Le gardien du puits de Hassi Messaoud était un autre descendant du célèbre nomade et portait le même prénom. Messaoud Rouabah n’avait jamais vraiment quitté son puits. Sur place, on nous parle du projet touristique qui devait être lancé autour du thème du puits mais qui n’a jamais vu le jour sans qu’aucune explication ne soit donnée. Un projet qui avait toutes les chances de réussir dans une ville où il n’existe aucune structure de loisir.
L’avenir de cette ville semble étroitement lié aux puits. Après celui d’un nomade à la recherche d’eau, ce sera des puits de pétrole. Le nom de cette région restera cependant toujours lié à un puits d’eau. Certains y trouveront un sens profond, le pétrole étant une ressource appelée à disparaitre.
Hassi Messaoud, une ville appelée à disparaître ne brille ni par sa beauté actuelle ni par ses ambitions futures. Elle est riche et pauvre à la fois. Le pétrole, sa plus grande gloire, est lui-même son plus grand casse-tête. Hassi Messaoud c’est l’Algérie.
Par Ahmed Gasmia