L’afflux important de nouveaux détenus au pénitencier d’El-Harrach a contraint les autorités compétentes à procéder à des réaménagements et à la prise de décisions qu’impose désormais la nouvelle situation.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Une situation incroyable, difficile à imaginer quelques mois auparavant et qui fait par conséquent peser une très grosse pression sur la plus célèbre prison d’Alger.
Déjà réputée pour sa surcharge, El Harrach a accueilli près de deux cents personnes depuis la fin du mois de mars dernier. Ici, croupissent depuis plusieurs mois quatorze anciens ministres, dont deux ex-chefs du gouvernement, des walis dans leur majorité, trois P-dg de banques nationales, douze hommes d’affaires considérés comme étant le noyau dur de l’oligarchie bâtie durant le règne de Bouteflika et une cohorte de cadres, fonctionnaires d’institutions, de banques ou d’entreprises étatiques et privées poursuivis pour complicité avec leurs patrons ou pour abus de fonction.
Les noms qui figurent sur cette liste exhaustive constituent le fruit de la lutte anti-corruption déclenchée moins d’une semaine après la chute des Bouteflika.
Une autre liste s’y est cependant ajoutée : celle des détenus d’opinion, de militants et de manifestants incarcérés pour avoir bravé l’interdiction de porter le drapeau amazigh durant les manifestations du vendredi et du mardi. Soixante-deux personnes sont concernées. Vingt-deux manifestants arrêtés ce week-end ont été placés sous mandat de dépôt, dimanche, et transférés eux aussi à El-Harrach.
La qualité de tous ces nouveaux détenus, leur nombre et les perspectives de voir la liste des prisonniers s’élargir ont rendu obligatoire le réaménagement du bâtiment.
La première mesure a été prise cet été avec le transfert d’une grande partie des détenues femmes vers d’autres prisons du pays. Récemment, décision a été prise de transférer tous les prisonniers ayant fait l’objet d’une condamnation définitive vers d’autres pénitenciers. Plusieurs d’entre eux ont été placés dans le centre de détention de Koléa, un lieu sur lequel commence cependant à peser également une grosse pression car constituant la seconde destination prise par les prisonniers incarcérés dans le cadre des évènements que traverse le pays.
Des détenus célèbres au nom bien connu s’y trouvent déjà : Karim Tabbou, Skander, Ould Abbès et ses acolytes… Dans les tout prochains jours, les autorités pénitentiaires d’El-Harrach vont également procéder au transfert des détenus ayant introduit un pourvoi en cassation, «une procédure connue pour être lente et qui peut prendre des mois, voire des années», nous dit-on à ce propos. Comme tous les détenus concernés par ces transferts, ils ignorent encore où ils seront emmenés. Des sources bien informées indiquent qu’ils seront dispatchés à travers les grandes prisons du pays : Berrouaghia, Chlef, Tizi-Ouzou, Lambèse et probablement Oran.
Les dispositions prises dans cette nouvelle situation ne s’arrêtent pas là. Le pénitencier d’El-Harrach est également soumis à des travaux de réaménagement devant permettre aux nouveaux pensionnaires de purger leur peine dans des conditions «correctes». Un sujet sur lequel intervient
Me Miloud Brahimi qui déclare : «Il est vrai qu’une prison reste une prison, mais je témoigne : tout est fait en général, et à El-Harrach en particulier, pour que les droits des détenus soient sauvegardés et que leur détention se déroule dans de bonnes conditions.»
Les réaménagements en question consistent, nous dit-on, à élargir les ailes où sont conduits les nouveaux détenus et y placer naturellement des sanitaires et des douches. Les autorités pénitentiaires ont été également amenées à réorganiser la programmation des droits de visite et des heures de parloir. Contrairement aux détenus de droit commun, les anciens ministres, hauts responsables et les membres de leur famille également incarcérés communiquent avec leurs avocats ou leurs proches à des horaires différents de ceux des autres prisonniers. Les hommes d’affaires, ceux que l’on appelle les oligarques, les plus connus sont soumis au même régime.
Le système est à ce moment très rigoureux. Aucune communication, même avec un autre avocat n’est tolérée. Des connaissances d’anciens ministres venus rendre visite à leur proches incarcérés se sont vu ainsi refuser catégoriquement le droit de saluer Abdelmalek Sellal récemment. L’ancien chef du gouvernement et les ex-ministres détenus sont maintenus dans un état d’isolation quasi permanente. Pour des raisons de sécurité, nous dit-on, ces derniers ont été placés dans des ailes «à part», des cellules où ils sont regroupés à plusieurs, loin des détenus de droit commun qui séjournent dans des salles beaucoup plus vastes et surtout plus peuplées. Ces salles, apprend-on, sont aussi celles où séjournent tous les cadres et directeurs généraux incarcérés.
Le nombre et la qualité des nouveaux pensionnaires d’El-Harrach impliquent aussi une affluence record de visiteurs les jours de parloir, et décision a été prise de renforcer le dispositif de sécurité mis en place tout autour d’une prison qui continue à attirer un grand nombre de curieux…
A. C.