Hakim, un des « harragas » arrivés sur les rives espagnoles, samedi dernier, a raconté le récit de sa dangereuse traversée de la méditerranée en direction du « pays des rêves ».
Un surnommé Hakim, l’un des demi-millier de migrants qui ont rejoint les côtes espagnoles dans la nuit du vendredi au samedi dernier, a confié les péripéties de son dangereux voyage en quête d’un avenir meilleur pour sa femme et ses deux enfants en bas âge.
“J’ai regardé une dernière fois ma femme et mes deux enfants. Je voulais les serrer contre moi, mais je ne l’ai pas fait sinon ils se seraient rapidement rendu compte que je leur cachais quelque chose. J’ai détourné ma tête pour qu’ils ne voient pas l’expression de mon visage.” a confié le père d’une fille et d’un garçon en bas âge, essayant tant bien que de mal d’étouffer. Son plan était dangereusement simple : tenter une “harga” vers l’Espagne, pour ensuite gagner ensuite la France.
Le jeune homme âgé aujourd’hui de 34 ans, tenait un magasin de vêtements dans la ville de Boghni, wilaya de Tizi-Ouzou. Suite à la crise qui a frappé les commerces ces dernières années, il a dû mettre la clé sous la porte, et subvenir aux besoins de sa familles grâces à quelques affaires qui se faisait de plus en plus rares en vue à la crise sanitaire liée à la propagation du Coronavirus. Ne trouvant pas d’autres solutions, Hakim se résout à une initiative qu’il avoue ne jamais y avoir songé, autrement dit la « harga ». “Franchement, en prenant la résolution de partir, j’étais prêt à toutes les éventualités y compris celle de la mort en mer. Il s’agit de l’avenir de mes enfants. Je n’ai rien à leur donner ici. J’ai tout tenté, mais en vain. La vie ici est devenue pour moi insupportable. Dans ma tête, tout était clair. Ça passe ou ça casse », a-t-il avoué.
Toutefois, le père de famille a affirmé n’avoir fait part à personne de son projet de migration clandestine, ni ses parents, ni sa grand-mère, ni même sa femme. “Je n’ai dit à personne que j’allais partir. J’ai gardé le secret pour moi. Le jour du départ, je me suis habillé de la même façon que les autres jours pour ne pas me trahir. En sortant de la maison, mes deux enfants étaient au balcon pour me saluer comme d’habitude. Ils ne savaient pas ce que je mijotais. Mais c’est, ainsi. Je préfère aller me sacrifier là où j’ai plus de chance de réussir. Tout ça c’est pour eux, je ne voulais pas qu’ils sachent, ils auraient eu beaucoup de peine et ils m’auraient peut-être dissuadé de partir », a avoué Hakim en se remémorant le triste jour où il a quitté les siens.
Une fois sa décision prise, il entama une recherche d’un réseau de passeurs lui permettant de traverser la méditerranée en destination de ses rêves. Grâce à quelques orientations, il trouva sur Facebook ceux qui sont responsables de son périlleux voyage. “Je suis parti à Oran pour rencontrer mon contact. J’y suis resté trois jours et j’ai pu négocier le prix du voyage. On m’a demandé de ne rien prendre avec moi, ni bagage ni nourriture, car il n’y a pas de place dans la barque et que, de toute façon, ils allaient nous organiser un barbecue avant le départ”
Néanmoins, une fois sur place, Hakim s’est rendu compte qu’il était loin d’imaginer les conditions téméraires dans lesquelles se dérouleraient son « voyage ». “Une fois dans la zone rocheuse indiquée et surtout isolée, on nous a traités comme des esclaves. On nous a promis un barbecue qui était compris dans le prix de la ‘traversée’, mais en fin de compte, on ne nous a rien donné de la soirée. On devait embarquer à 20 heures, mais on n’a pu prendre la mer qu’à 3 heures du matin. On est donc resté 7 heures sans rien manger, avant même l’entame de la traversée qui a duré, elle, 7 heures jusqu’au débarquement dans un petit village espagnol du nom de San Jose” s’est plaint le migrant.
“Je ne le souhaite à personne. Pas même à mon pire ennemi. J’espère que personne ne vivra ce qu’on a vécu cette nuit-là. Ces minutes d’angoisse où le moteur de l’embarcation s’est éteint, devenaient une éternité. Tu sens que tes heures sont comptées. Le moteur fumait. Tu vois la mort rôder autour de toi. Jamais je n’ai vécu cela.” a confié Hakim, se rappelant de la peur qu’il a ressenti lorsque lui et les 12 autres occupants de la barque ont cru avoir affaire à des requins à la vue de quelques dauphins, pourtant inoffensifs.
“Papa tu me manques. Tu rentres quand ?”, un message reçu de la part de son fils, a provoqué un sentiment de regret chez le migrant qui a affirmé avoir pleuré comme un enfant. Sa femme, elle aussi, lui a envoyé des messages, pensant qu’il était juste retenu à l’extérieur par ses affaires et qu’il ne tarderait pas à rentrer.
Après une nuit de terreur, la petite barque a atteint les côtes espagnoles au petit matin du samedi, soulageant ainsi les passagers qui avaient oublié la fatigue de cette nuit éprouvante. “Arrivés sur la plage, on a eu juste le temps de tirer la barque hors de l’eau qu’on a vu la police, au loin, se diriger vers nous. Il y avait une zone boisée pas loin et on s’y est tous réfugiés”, a raconté Hakim qui a rejoint le village de San Jose à l’est de la ville d’Almeria quelque temps après afin de se désaltérer lui et ses trois camarades.
Un chauffeur de taxi clandestin leur a offert ses services, “nous avons négocié avec lui un déplacement sur Alicante. Il nous a contraints de payer 400 euros. On n’avait pas d’autre choix que d’accepter”, avoue-t-il, se désolant de l’attitude du chauffeur qui a justifié ce prix exorbitant par le risque qu’il prenait en embarquant avec lui des migrants clandestins.
Trois heures de route plus tard, Hakim rejoignit alors la ville d’Alicante où il rendit visite à un parent résident là-bas, chez qui le migrant se reposa en attendant l’arrivée d’un de ses amis devant le déposer en France, Paris plus précisément, une ville dans laquelle “il est plus facile de réussir là-bas qu’ailleurs”, a-t-il affirmé.
En arrivant devant un barrage de police, pas loin de la ville de Montpellier, un lourd silence s’installa dans la voiture après avoir été interpellé par un policier lui demandant ses papiers, “j’ai répondu au policier qui me demandait mes papiers en lui disant que je les ai juste oubliés à la maison”, a confié Hakim affirmant qu’ils ont dû faire preuve d’un sang-froid phénoménal.
Hakim fait partie des 418 harragas algériens qui ont risqué leurs vies malgré l’état alarmant de l’évolution du Coronavirus, en payant des sommes exorbitantes à des passeurs qui ne leur garantissent aucune sécurité. “Moi j’ai dû payer 600 000 DA pour une barque de 85 CV” a dénoncé le jeune père algérien.