L’amélioration de la gestion des dépenses en capital est un axe important des réformes à entreprendre afin de remettre de l’ordre dans les finances publiques du pays, booster la croissance économique et créer de l’emploi.
Avec une économie dont la croissance est ralentie depuis quelques années et qui devrait reculer d’au moins 5 % en 2020, un des plus grands défis du pays au cours des prochaines années est non seulement de faire repartir l’activité économique mais également l’élargir de façon significative afin d’absorber les flux annuels de demandeurs d’emplois (250,000 environ dont 160,000 de primo demandeurs) et réduire également le stock actuel de chômeurs (5 millions de personnes). Dans ce contexte, l’objectif de croissance inclusive et durable dont a besoin le pays implique de s’attaquer sans tarder aux problèmes structurels auxquels il fait face.
La priorité des priorités est de prendre en charge le problème de l’inefficacité des dépenses au titre des investissements publics dans un environnement de ressources financières en baisse, le renforcement de l’efficacité dans la gestion des investissements publics est, avec la question de l’accroissement des recettes fiscales, la réduction des dépenses courantes et la rationalisation de la structure du financement du déficit, un des axes importants de réforme visant à restaurer la viabilité des finances publiques du pays.
En s’attelant à cette question, le pays pourra se donner les moyens : (1) de redéfinir le rôle de l’état à moyen terme dans la sphère économique ; (2) d’augmenter le retour sur investissement dans le capital humain et les infrastructures ; (3) de jeter les bases d’une croissance saine et élargie ; et (4) de contribuer à faire en sorte que le secteur public encourage l’activité du secteur privé au lieu de lui faire inutilement concurrence.
La politique intensive des investissements publics conduite notamment entre 2000-2019 a contribué à la croissance économique, à la création de l’emploi public et à l’amélioration des indicateurs sociaux.
Au cours de cette période et à la faveur d’une rente pétrolière significative, l’Algérie a investi régulièrement une part importante de son PIB, soit environ 32.5 % du PIB entre 2000 et 2009 et 44,9 % du PIB entre 2010-2019 (dépassant ainsi un certain nombre de pays comparables) dans de nombreux secteurs, avec une priorité pour les infrastructures et les secteurs sociaux. L’Algérie a ainsi alloué en moyenne environ 45 % de l’investissement public total aux infrastructures économiques (routes, ports, rails, aéroports), 30 % aux secteurs sociaux (logement, santé, éducation, loisirs et culture), 20 % à l’énergie et 5% aux télécommunications. Grâce à cet effort significatif, le pays a : (1) presque doublé son stock de capital qui est passé de 120 % du PIB en 2000 à 200 % du PIB en 2019 ; (2) appuyé une croissance économique moyenne qui s’est située à 3,9 % entre 2000-2009 et 2,9 % entre 2009-2010 ; et (3) absorbé une main-d’œuvre croissante. En 2019, la part de l’emploi public était de 40% de l’emploi formel total, avec les fonctionnaires centraux représentant à eux seuls environ 1/5 de cet emploi formel total ; (4) amélioré les indicateurs sociaux de façon marquée : citons, entre autres, sur la base des données de la Banque Mondiale et des autorités algériennes l’espérance de vie qui est passée de 70 ans en 2000 à 76 ans en 2019, la baisse de la mortalité infantile qui a chuté de 33,9 pour mille à 20 pour mille, l’augmentation de la scolarisation dans le primaire qui fait un bond de 89,4 % à 97,6% en 2019, la réduction de l’extrême pauvreté (mesurée comme la part de la population vivant avec moins de 1,25 dollar par jour) de 6,4% en 1995 à 1,5% en 2019; la baisse du coefficient de Gini (à 38 pour cent); et la chute des taux de mortalité à la naissance de 21,3 pour 1000 naissances en 2000 à 14,6 pour 1000 naissances en 2019. En reflet de ces progrès, l’indice de développement humain du pays pour 2019 était de 0,76 (contre 0,6 en 1990), ce qui place l’Algérie à la 82 ème place.
Toutefois, une évaluation détaillée de cette même politique intensive des investissements publics a révélé de nombreuses faiblesses qui ont limité l’impact positif des investissements engagés.
Citons : (1) la perpétuation du rôle dominant de l’état dans la sphère économique et en contrecoup les difficultés placées sur la voie du développement élargi du secteur privé productif. En effet, les volumes importants d’investissements publics, combinés au rôle de premier employeur de l’État (avec des conditions d’emploi favorables) et divers contrôles et de multiples réglementations ont découragé le véritable entrepreneuriat et cantonné ainsi le secteur privé dans un rôle moindre de sous-traitant du secteur public et dans des activités à faible valeur ajoutée et dans la fabrication de biens non échangeables ;
(2) la viabilité du financement des investissements publics. Hormis un recours limit à l’endettement extérieur dans le passé, l’investissement public est financé essentiellement par des ressources domestiques, notamment une grande partie des ressources pétrolières et depuis 2017 par des concours bancaires de la banque centrale. Avec le choc pétrolier de mars 2020 qui a considérablement fragilisé les recettes publiques du pays, se posent deux problèmes fondamentaux : (i) est ce que le pays peut continuer à financer des investissements indispensables au développement avec des ressources volatiles ou par le biais de la création monétaire au risque de neutraliser le rôle clé de la politique budgétaire dans la croissance à long terme ? Et est-ce que le gouvernement peut continuer à jouer à moyen terme un rôle de premier plan dans la sphère économique et de premier employeur du pays pour une population jeune et en forte croissance (pour le court terme la question ne se pose pas) ; et
(3) la faible efficacité de l’investissement public ; qui transparait à la lecture de 5 indicateurs-clé, notamment : (1) le ratio production/capital supplémentaire (mesure assez sommaire) qui explique la relation entre la variation du niveau des investissements dans l’économie et la variation du niveau de la croissance du PIB. En Algérie ce ratio est de 8 pour 1 (par rapport à une moyenne de 3 pour 1 dans les pays avancés et émergents), soit 8 DA de dépenses en capital pour obtenir 1 DA de valeur ajoutée additionnelle, ce qui dénote une productivité relativement faible de l’investissement public en raison de rendements décroissants ; (2) le multiplicateur de dépenses en capital (indicateur plus robuste qui établit une rapport dans le temps entre le supplément de PIB qui en résulte finalement de l’augmentation des dépenses en capital). Ce dernier montre que l’investissement public ne permet de réaliser que 40% de son potentiel. Le même montant de dépense devrait permettre la réalisation de 60 % en plus d’infrastructures si les déterminants de l’investissement public (institutions, stratégies, outils de gestion) jouaient pleinement leur rôles ; (3) le taux de qualité des infrastructures (autre indicateur robuste) se situe à 76 %, impliquant une marge d’amélioration potentielle de 24 %. Ce chiffre est inférieur aux pays comparables qui disposent de cadre de gestions plus rigoureux ; (4) les surcoûts : un facteur décisif de la mesure de l’efficacité de l’investissement public et qui, selon des études internationales, situe les surcoûts à environ 30 % pour les plus gros projets (routes, chemins de fer, énergie) en raison de divers facteurs objectifs (expropriation après déclaration d’utilité publique, assurances, relief des terrains, sécurité, capacité technique, lourdeurs administratives) mais surtout de la mauvaise gouvernance économique ; et (5) les retards dans l’achèvement des projets : en dépit de progrès enregistrés ces dernières années pour les réduire, il est estimé par quelques études internationales que les retards dans l’exécution sont de 24 mois environ. Ce qui entraine des dépassements de coûts qui sont estimés à environ entre 10 % (construction) et 20 % (développement local) selon la nature des projets.
Les facteurs explicatifs de cette faible efficacité des investissements publics. Les facteurs explicatifs sont au nombre de 3 : (1) la faible gouvernance en général ; (2) l’absence de stratégie de développement depuis la fin des années 1980s qui donne lieu à du volontarisme économique ; et (3) un cadre de gestion des investissements publics inadéquat. La faiblesse des institutions en charge du contrôle et du suivi et le niveau élevé des depenses d’investissement fournissent une opportunité de développer et perpétuer des pratiques de corruption (notamment au niveau de la passation des marchés, de la surfacturation des projets et de la complaisance dans le contrôle de qualité des ouvrages) et d’entretenir le gaspillage continu des ressources publiques rares.
Pour ce qui est de l’absence de stratégie de développement, elle prive l’état des indispensables pôles d’investissement et de croissance ancrés dans les secteurs. En conséquence, cela impacte négativement la conception des programmes d’investissement vu l’absence de priorités sectorielles claires et leur articulation sectorielle À ce titre, les plans d’investissement ne sont pas suffisamment structurés et échelonnés.
Pour ce qui du cadre institutionnel des investissements publics, il est émaillé de défaillances à tous les niveaux de la chaine de gestion, notamment : (i) la fragmentation du programme des investissements : résultat des chevauchements de compétences entre plusieurs autorités et parties prenantes facilités par le foisonnement des commissions ministérielles et des commissions régionales. Ce qui soulève des inquiétudes relatives à la cohérence intra et intersectorielle du programme d’investissement, au coût, à l’impact des projets sur l’intégration économique et la croissance et à la gestion des projets ; (ii) la faible capacité de préparation technique des projets, la partie la plus sensible de la chaine de gestion des projets. De façon générale, la conception et la préparation du projet restent incomplètes et faibles. Cette phase fait en outre l’impasse sur des analyses coûts-avantages complètes. Des faiblesses à ce stade de la chaine de gestion se traduisent par une programmation inadéquate, une budgétisation erronée et de longs retards dans la mise en œuvre des projets, taxant ainsi indûment la capacité de réalisation du pays ; (iii) des procédures de dépenses d’investissement complexes. L’absence d’un cadre budgétaire à moyen terme (CBMT), indispensable vu la nature pluriannuelle de la dépense en capital, le manque de budgétisation basée sur la performance et la progression physico financière des investissements et des systèmes d’information insuffisamment développés ont conduit à une déconnexion entre la planification budgétaire et les priorités sectorielles d’une part et à des écarts importants entre les enveloppes inscrites au budget d’investissement et les réalisations effectives d’autre part. De plus, l’utilisation de comptes spéciaux du Trésor (« Comptes d’Affectation Spéciale », CAS) est une source de distorsions car elle favorise le report de crédits budgétaires, affaiblit le contrôle des dépenses d’investissement et contribue à leur renchérissement ; et (iv) un système d’information sur le suivi et la gestion des projets qui est lourd, entravant le suivi physique et financier de l’exécution des travaux et le rapprochement bancaire. Non sans surprise il pèse sur le taux d’exécution des projets. Ce dernier est estimé à environ 45 %.
Le coût macroéconomique de l’inefficacité des investissements publics est élevé. Les coûts directs comprennent une croissance plus faible, une perte de recettes fiscales et d’emplois intérieurs, des coûts de projet plus élevés, une compétitivité limitée et une intégration économique lente. À titre d’illustration du gaspillage induit par ce problème, il est estimé qu’au cours des 5 dernières années et pour plusieurs raisons, dont la crise économique latente depuis le choc pétrolier de 2014, un montant équivalent de 2000 milliards de DA de ressources affectées aux projets n’a pas été injecté dans l’économie en raison de la faiblesse des capacités techniques et du cadre institutionnel d’investissement médiocre. Cela équivaut à un ajustement budgétaire d’environ 9 points de pourcentage du PIB. En supposant un multiplicateur budgétaire de 1,2 sur une période 60 mois, cela signifie que l’économie a perdu environ 3 points de pourcentage du PIB.
Des réformes sont nécessaires. Deux questions se posent à l’avenir : quel niveau de dépenses en capital vu la faiblesse des recettes pétrolières ? Et comment booster l’efficacité des investissements publics pour maximiser les gains pour la population ?
Pour ce qui est du niveau, il est reconnu que des réductions de dépenses peuvent être contreproductives et conduire à une baisse préjudiciable de la qualité des services publics et du stock des infrastructures dont le pays a besoin. Par ailleurs, les besoins de croissance à long terme impliquent ipso facto un niveau minimal de dépenses en capital pour des raisons impérieuses de maintenance et d’élargissement des infrastructures. Des études internationales montrent que pour les pays exportateurs de pétrole, le niveau incompressible de dépenses en capital est d’environ 11% du PIB. Par conséquent, la réduction des dépenses ne peut donc pas être la seule voie à suivre pour préserver les conditions de croissance du pays.
Pour ce qui est de l’amélioration de l’efficacité des investissements publics afin de maximiser l’impact positif sur la croissance, des réformes doivent cibler toutes les étapes de la chaine de gestion des investissements public afin de : (i) mieux concevoir, bien préparer avec minutie et coordonner les investissements publics sur la base de stratégies et de plans sectoriels bien développés et d’outils d’évaluation (avec le souci de la qualité ; (ii) rationaliser le cadre institutionnel pour assurer une meilleure coordination entre les institutions gouvernementales en charge des projets et un suivi adéquat de l’exécution et du contrôle; et (iii) améliorer les processus d’appel d’offres, un des éléments clé de la bonne gouvernance indispensable à la bonne exécution qualitative des projets. La mise en œuvre d’un tel programme devrait se faire progressivement au cours des prochains mois.
Ces mesures diverses doivent être articulées autour de 4 grands principes directeurs, à savoir : (1)
Le principe de la cohérence entre les objectifs macroéconomiques et la planification des projets d’investissement publics. Une planification sectorielle pluriannuelle facilitera la détermination des volumes de dépenses d’investissement en relation avec les priorités politiques et les objectifs budgétaires. Dans ce contexte, il faut réactiver le CBMT conformément à la nouvelle loi organique de finances ; (2) le principe de coordination intra sectorielle et intersectorielle : pour les besoins d’une sélection rigoureuse des projets, une hiérarchisation efficace, une exécution à échéance et une intégration économique; (3) le principe de la supervision centrale des projets d’investissement public par un organisme disposant des compétences nécessaires pour éviter les surcoûts, les retards et le gaspillage des ressources publiques ; et (4) le principe fondamental de la bonne application des textes régissant les investissements publics pour que la phase de la passation des marches soit compétitive et transparente. Les règles et processus existants devraient être revus pour s’assurer qu’ils sont cohérents avec les meilleures pratiques internationales et appliqués de manière équitable pour garantir la concurrence et la transparence.