L’Algérie fait face à de nombreux défis importants dont la remontée de l’inflation qui devient une préoccupation majeure vu ses effets négatifs sur les populations et l’activité économique.
Les chocs sanitaire et pétrolier de mars 2020 ont heurté de plein fouet une économie algérienne déjà fortement fragilisée par la mauvaise gestion du choc pétrolier de 2014. Les effets de ces deux chocs sont énormes sur : (i) le plan macroéconomique (creusement du déficit du budget de 1000 milliards de DA et de celui de la balance des paiements de $10 milliards supplémentaires, récession économique avec un recul de l’activité d’environ 5% en moyenne pour les 2 premiers trimestres de 2020, pression sur le taux du change du DA et les réserves et remontée de l’inflation) ; (ii) au niveau de l’emploi avec le nombre de chômeurs devant passer de 1,3 millions à fin 2019 à 5 millions de personnes à fin 2020 en raison des fermetures des entreprises) ; et (iii) sur le plan social avec la montée de la précarité. La remontée de l’inflation est aussi une grande préoccupation en raison de ses effets négatifs sur les populations et l’activité économique. La question fondamentale qui se pose est de comprendre les facteurs explicatifs de l’inflation et surtout comment la combattre. Dans ce contexte, après avoir défini quelques concepts-clés utiles pour la compréhension du grand public, nous allons présenter les dernières projections en matière de croissance mondiale ainsi que les termes du débat qui anime les experts sur l’évolution des prix (certains parlent de retour de l’inflation et d’autres défendent au contraire une trajectoire déflationniste. Nous nous intéresserons ensuite à l’Algérie pour passer en revue et expliquer les développements en matière de prix à la consommation depuis les années 1970s jusqu’à juin 2020, analyser les déterminants de l’inflation et préconiser des mesures pour la combattre, y compris une révision de la façon de calculer l’inflation dans notre pays, une amélioration de la politique monétaire pour contenir la variation des prix dans des limites soutenables et des autres mesures macroéconomiques et structurelles.
Définitions de concepts de base pour faciliter la compréhension de la question des prix à la consommation : les concepts suivants sont fondamentaux pour comprendre la question de l’évolution des prix :
(1) L’inflation et sa mesure l’indice des prix à la consommation (IPC) : qui mesure les variations du niveau de prix d’un panier moyen pondéré de biens et services de consommation achetés par les ménages. La variation annuelle en pourcentage d’un IPC est utilisée comme mesure de l’inflation. Un IPC peut être utilisé pour indexer (c’est-à-dire ajuster pour l’effet de l’inflation) la valeur réelle des salaires, traitements et pensions et egalement réglementer les prix; (2) La déflation : est le contraire de l’inflation. La déflation émerge quand les prix baissent avec le temps ; (3) La désinflation : intervient lorsque l’inflation diminue (les prix augmentent de moins en moins au fil du temps) ou lorsque la déflation augmente (les prix diminuent plus rapidement avec le temps) ; et (4) L’hyperinflation : est un phénomène rare intervenant lorsque les prix à la consommation augmentent à un rythme hyper rapide retenu comme étant de plus de 50% en un mois.
Contexte international : perspectives mondiales révisées en matière de croissance économique et débat sur l’évolution des prix à la consommation.
À ce stade, vu les incertitudes relatives à la progression du virus, il y a consensus sur les perspectives en termes de croissance économique. Cependant, il y a désaccord sur la trajectoire concernant les prix à la consommation : (1) Pour ce qui est de la croissance économique : En 2020, le PIB mondial devrait, selon les projections les plus récentes du FMI, reculer de 4,9 % en 2020 en raison d’un déconfinement plus lent, des effets d’entrainement plus marqués entre les différents secteurs d’activités, d’une certaine lenteur à réactiver les chaînes d’approvisionnement mondiales, des niveaux d’épargne en baisse, des rythmes de normalisation asynchrones à travers le monde, et des tensions commerciales entre les États Unis et la Chine. Pour 2021, sur la base des informations disponibles aujourd’hui, la croissance mondiale devrait atteindre 5,4 %. Plus préoccupant est l’impact négatif sur les ménages à bas revenus qui sera particulièrement dur et pourrait compromettre les progrès accomplis en matière de réduction de l’extrême pauvreté dans le monde depuis les années 90 ; (2) Pour ce qui est de l’évolution des prix, allons-nous vers un retour de l’inflation ou au contraire la déflation ? Pour certains experts, les risques d’une poussée inflationniste sont réels en raison du surendettement des pays les plus avancés du G7 (environ 140% du revenu national) et des injections massives de liquidité des banques centrales pour financer les dépenses publiques au moment où la production mondiale s’effondre. Pour d’autres experts, au contraire, les risques d’une déflation sont à envisager vu la baisse des coûts de production attendue du fait de chute marquée des prix du pétrole et de la baisse des couts du travail liée a la montée significative du chômage. Un autre argument est l’absence de linéarité entre base monétaire et l’offre de monnaie comme le montre l’assouplissement quantitatif mis en œuvre entre 2008 -2018 pour combattre la crise financière de 2008 sans pour autant donner lieu à l’hyperinflation. Le même processus devrait se reproduire. L’effondrement des dépenses des ménages et des entreprises devrait réduire la demande de crédit bancaire qui constitue l’essentiel de la masse monétaire. Il faut donc s’attendre à une période de faible progression des prix à la consommation pour les 2 prochaines années au niveau des pays avancés (0,3 % en 2020 et 1,1 % en 2021). Cependant, l’inflation sera plus élevée au niveau des pays émergents et en voie de développement (4,4 % en 2020 et 4,5 % en 2021).
L’inflation érigée progressivement en macro indicateur en Algérie depuis 1994: Jusqu’au début de 1994, les prix en Algérie faisaient l’objet d’un vaste système de subventions qui leur enlevait toute fonction de mesure de la rareté et encore moins de point de rencontre entre l’offre et la demande. Ce rôle neutre des prix et leur subventionnement était cohérent avec la stratégie de développement mise en œuvre de 1962 à 1989 (financée par la rente pétrolière) et qui reposait sur le principe fondamental de la soustraction des rouages économiques aux macro indicateurs (prix et inflation au même titre que le taux de change, la croissance, la monnaie et le taux d’intérêt) qui assurent le suivi de la gestion d’un pays. La rupture avec ce système intervient en 1994 dans le contexte du programme avec le FMI qui s’est traduit par : (1) une libéralisation des prix des inputs pour l’agriculture et pour le secteur de la construction et de l’habitat ; (2) l’élimination des contrôles sur les prix au détail et les marges de profits pour tous les biens et services à l’exception d’un nombre limité de produits, notamment les biens alimentaires et les produits énergétiques ; (3) l’élimination des subventions sur les tarifs des transports publics entre 1994-1996 et l’augmentation de leurs prix pour tenir compte de leur coût d’opportunité. Au cours de cette période, les subventions sur les produits alimentaires et les produits énergétiques ont vu leur prix ajustés d’au moins 200 % pour refléter également leur cout d’opportunité. Pour les produits pétroliers, la subvention implicite devait être éliminée car les prix de transferts de la compagnie pétrolière aux raffineries était fixé à un niveau mondial avec des ajustements tous les 6 mois en fonction des prix internationaux du baril et des évolutions du taux de change. Cependant les ajustements périodiques de prix avaient été interrompus à partir de la fin de 1997. Depuis, le processus de libéralisation des prix est interrompu et un certain nombre de produits (alimentaires et de biens des secteurs des transports et de l’énergie) fixés de façon réglementaire.
Évolution des prix à la consommation en Algérie de 1970 à juin 2020 : les prix à la consommation ont connu globalement trois tendances : (1) une tendance à la hausse au cours de la période couvrant les années 1970s -1980s -1990s : (2) une tendance à une certaine stabilité entre 2000-2012 ; et (3) et une dernière tendance à la reprise de l’inflation entre 2013-2020: (1) la hausse des prix entre 1970-1999 : L’IPC a enregistré une hausse continue, passant de 8,2 % dans les années 1970s à 9 % au cours des années 1980s et 18,6 % au cours de la décennie 1990 : cette évolution continue des prix reflète plusieurs facteurs, notamment une demande excédant l’offre globale de biens et services (illustrée par des pénuries chroniques) et alimentée par des distributions de revenus liés au programme massif des investissements publics (45% du PIB en moyenne) et une consommation publique en hausse (19% ), la dépréciation massive du DA (39,3 % en moyenne) et l’ajustement des prix administrés dans le contexte du plan de libéralisation de l’économie mis en place à partir de 1994, les restrictions sur les importations et le dérèglement des circuits de distribution. À la fin des années 1990s, le niveau de pauvreté se situait à 20,5 %. Quant au niveau de vie des populations, il a reculé de près de 3% ; (2) la stabilité des prix à un niveau faible entre 2000-2012 : L’IPC a connu un ralentissement considérable pour atteindre 3,2 % en moyenne (en dessous de 4% pour la première fois en 40 ans), reflétant une hausse importante des importations de produits divers notamment des biens alimentaires qui ont renforcé l’offre globale et une faible dépréciation de la monnaie nationale (3,2 %). Cette performance reflète aussi les efforts des autorités monétaires pour absorber l’excès de liquidité dans le secteur bancaire au moyen de plusieurs mesures, notamment : (i) l’augmentation du montant des enchères de dépôts ; (ii) la hausse répétée du taux directeur ; (iii) l’allongement des échéances d’une grande partie des adjudications de dépôts d’une semaine à trois mois en juillet 2005 ; et (iv) la mise en place d’une facilité de dépôt au jour le jour en septembre 2005. La stabilité des prix à la consommation et la redistribution de la rente pétrolière (alimentée par des prix du baril en hausse continue) par le biais du budget a amélioré les conditions de vie de la population, baissant ainsi le taux de pauvreté à 6,7 % et augmentant le niveau de vie de 2,4 % ; (3) la reprise de l’inflation notamment en 2012, 2016 et 2020 entrecoupée par des années de faible augmentation des prix. En 2012, les prix ont enregistré une hausse de 8,9 % avant de chuter entre 2013 et 2015, puis remonter en 2016 (6,4 %), rebaisser ensuite à 2% en 2019. En 2020, en raison des chocs sanitaire et pétrolier, l’IPC devrait remonter à 5%. Les pressions inflationnistes intervenues à partir de 2012 résultent d’une gamme de facteurs, incluant : (i) la hausse des produits alimentaires, notamment les produits frais ; (ii) la forte demande alimentée par les dépenses publiques dans un contexte de forte liquidité ; et (iii) de fortes augmentations des salaires réels et d’autres transferts. Pour 2016, les pressions inflationnistes se justifient par la remontée des prix des produits alimentaires. À fin 2019, la reprise de l’inflation ainsi que les mesures prises pour contrer l’impact du choc pétrolier de 2014 ont conduit à un recul du niveau de vie de 11 %.
Projections des prix en Algérie pour 2020-2022 : Pour l’Algérie vu les aspects structurels, monétaires et réels qui sous-tendent l’évolution des prix en Algérie, et compte tenu des injections massives de liquidité de la BA pour financer les dépenses publiques au moment où la production de toutes sortes de biens s’effondre, la trajectoire prévisionnelle est celle d’une reprise des prix à la consommation à la hausse. Ainsi, il est attendu une remontée de l’inflation qui devrait se situer à environ 5-5.5 % entre 2020 et 2022.
Les déterminants de l’inflation en Algérie : De nombreuses recherches ont été entreprises au niveau du FMI et d’autres institutions pour comprendre les déterminants de l’inflation dans les pays pétroliers, notamment en Algérie. Il en ressort ce qui suit : (1) l’inflation en Algérie résulte d’une combinaison de facteurs réels et monétaires : et (2) la masse monétaire et les prix des biens importés sont les moteurs de l’inflation à court terme alors que la masse monétaire et le PIB réel non pétrolier sont de loin les facteurs clés des variations de prix à long terme. Les estimations tirées de ces études font ressortir les élasticités ci-après : (1) une augmentation de 1% de la masse monétaire entraine une augmentation de 0,3 % du niveau général des prix ; (2) une hausse de 1% de la production réelle hors hydrocarbures entraîne une baisse de 0,2 % des niveaux général des prix: (3) une augmentation de 1% des prix importés contribue à une augmentation de 0,2 % des prix intérieurs; et (4) une dépréciation de 1% du taux de change effectif nominal a un effet limité de 0,1% sur les prix intérieurs. L’impact à long terme est encore plus faible. En conséquence, le recours aux subventions ou à la levée de tarifs commerciaux est préférable (d’autant que le tarif moyen pondéré est de 8,85 % en Algérie plaçant le pays à la 47 -ème place sur 180 pays) pour contrer l’augmentation du prix des produits de base importés déclenchée par la dépréciation du taux de change ; et (5) une augmentation de 1% du prix international du baril de pétrole a un impact limité de 0,04 % sur les prix intérieurs à long terme, illustrant ainsi les subventions significatives des prix des produits pétroliers en Algérie.
Comment combattre l’inflation en Algerie ? Cinq axes d’intervention à cet effet : (1) un mix macroéconomique (y compris un tarif) devant agir sur les agrégats qui pèsent sur la demande et in fine l’inflation ; (2) des mesures structurelles visant à agir sur l’offre globale dont l’écart avec la demande globale entraine des pressions inflationnistes; (3) des actions structurelles pour renforcer l’efficacité des réseaux de distributions dont les dysfonctionnements entretiennent des tensions sur les prix ; (4) des actions devant renforcer l’efficience du canal de transmission de la politique monétaire pour assurer une stabilité des prix : et (5) des actions pour améliorer la mesure de l’inflation, notamment une révision drastique du panier et de la méthode de calcul de l’IPC. (1) Le mix macroéconomique pour agir sur la demande globale : dans ce domaine, la lutte contre l’inflation exigera une combinaison de politiques monétaire et budgétaire, y compris : (i) La maîtrise des dépenses publiques courantes (notamment de la masse salariale) et une nouvelle structure de financement du déficit moins inflationniste ; et (ii) le resserrement de la politique monétaire en augmentant le taux d’intérêt (ou en agissant si besoin sur le taux de change) pour réduire et contenir les pressions inflationnistes ; (2) Les actions structurelles pour favoriser l’offre globale : Pour faire face aux distorsions de l’offre, il est important d’améliorer la qualité du facteur travail (sante, éducation, formation, etc..) et mobiliser le capital tout en renforçant son rendement pour favoriser la croissance du PIB réel ; (3) Les actions structurelles pour améliorer le réseau de distribution dont l’efficience est cruciale pour stabiliser les prix à la consommation : Il est souhaitable de prendre des mesures en faveur : (i) du développement des infrastructures de stockage et les marchés régionaux et améliorer la disponibilité de produits frais, sous-composant déterminant de l’IPC ; (ii) de l’élimination des positions de monopole des intermédiaires dans les circuits de distribution ; (iii) da la stimulation de la concurrence ; et (iv) de l’encouragement des investissements directs étrangers : (4) Les actions pour renforcer l’efficience du canal de transmission et agir sur la stabilité des prix : La transmission monétaire fonctionne à travers différents canaux, notamment: (i) le canal des taux d’intérêt: en effet une augmentation des taux d’intérêt nominaux se traduit par une augmentation des taux réels qui à leur tour réduisent la consommation et l’investissement souhaités, exerçant ainsi une pression à la baisse sur les prix ; (ii) le canal du taux de change : une augmentation du taux d’intérêt intérieur conduit à une devise plus forte, réduisant les prix des biens échangeables dans le panier définissant l’indice des prix à la consommation. En outre, un taux de change plus fort entraîne généralement une réduction à la fois des exportations nettes et du niveau global de la demande globale. Que fait la BA en matière de transmission monétaire ? L’objectif ultime de la politique monétaire de la BA est d’assurer la stabilité des prix, mais depuis 2010, la BA cible explicitement la stabilité des prix, en plus de la stabilité externe de la monnaie. Elle s’est fixée en outre un objectif d’inflation annuel explicite de 4%. La BA utilise deux canaux de transmission : le canal des taux d’intérêt et le canal du taux de change (qu’elle utilise également pour cibler la valeur d’équilibre du taux de change effectif réel pour des raisons de compétitivité). Cependant, la politique monétaire souffre de deux faiblesses majeures : (i) le blocage du canal de transmission (compliquant la gestion du niveau de liquidité et le développement du secteur financier) qui rend le signal de la politique monétaire indéchiffrable ; (ii) la faible coordination entre la politique budgétaire et la politique monétaire ; et (iii) l’absence de communication publique sur les rôles de la politique monétaire et de la politique de change et leurs objectifs respectifs. Dans ces domaines, les réformes devront viser à : (i) améliorer la gestion des liquidités ; (ii) améliorer la stérilisation de la liquidité bancaire dans un contexte de monétisation du déficit budgétaire en mettant en vente des titres de créance au lieu de recevoir des dépôts, ce qui permettrait également des opérations de pension entre banques ; et (iii) réduire l’écart entre les marchés officiel et parallèle des changes par le biais de mesures à court terme, dont la diversification de l’offre de devises sur le marché interbancaire, une plus grande rationalisation des règles régissant les opérations de change et le relèvement des plafonds sur les voyages à l’étranger ; et (5) Les actions pour améliorer la mesure de l’inflation : (i) dualité d’indices : l’Office National des Statistiques calcule deux IPC : un IPC pour Alger et un autre qui couvre le pays tout entier. Celui d’Alger semble être la référence ; (ii) la pondération est biaisée en faveur des produits alimentaires qui représentent 43 % du panier dont 26 % de ces produits alimentaires sont soumis à des contrôles de prix. Les produits importés, quant eux, représentent 26% du panier ; (iii) la période de référence : est 2001 avec des pondérations à partir de l’année de base 2000 (depenses annuelles de 2000 servent de base de calcul) ; (iv) la publication : l’indice mensuel des prix à la consommation est publié avec un délai de moins d’un mois. Pour sa part, l’indice trimestriel des prix à la production est publié avec un retard de moins d’un trimestre. L’ONS a accompli des progrès remarquables dans le domaine des statistiques de prix (et même des comptes nationaux) qui sont globalement suffisantes pour la surveillance macroéconomique. Il est souhaitable d’unifier les IPC (Alger et national), revoir sa couverture pour l’actualiser et assurer une couverture optimale, changer les poids des sous indices pour refléter les nouvelles habitudes de consommation des ménages et changer l’année de base (car plus l’année de base est éloignée, plus l’indice est susceptible de devenir inexact, car le panier est plus susceptible de changer. En outre, étant donné que les modèles de dépenses varient selon les localités et le temps, un indice n’a qu’une valeur très limitée pour comparer les variations de prix dans différents endroits.
Abdelrahmi Bessaha