Soudan : Adoption de la laïcité dans la future Constitution 

Soudan : Adoption de la laïcité dans la future Constitution 

Le Soudan s’apprête à adopter la laïcité dans sa future Constitution en 2021, cet engagement marque un « tournant historique » pour le pays qui, depuis trois décennies, est sous un régime théocratique.

L’idée de l’adoption de la laïcité, le principe de la séparation de la religion et de l’État, résulte de l’accord de paix signé, jeudi dernier, entre le Premier Ministre de la Transition, Abdalah Hamdok, et le chef de la branche du mouvement populaire de libération du Soudan-Nord(SPLM-N), l’un des plus importants mouvements rebelles soudanais, Abdelaziz Al Hillu.

« Un État démocratique où les droits de tous les citoyens sont garantis doit être mis en place au Soudan, et pour cela la constitution devra être basée sur le principe de la séparation de la religion et de l’État », lit-on dans le communiqué commun, publié jeudi dernier.

Le Soudan a connu trois décennies consécutives de régime théocratique, sous l’ex-président Omar Al-Bachri, durant lesquelles le pays a traversé plusieurs conflits violents, et a été victime de l’instrumentalisation politique de la religion. Cet accord de paix promet un nouveau départ pour le pays et tend de baisser les tensions entre ses populations en leur assurant protection et respect des droits.

Dans un entretien accordé à notre confrère Liberté, M. Benaouda Lebdai, chercheur en littérature africaine et postcoloniale, a analysé ce « tournant historique » que connaît le Soudan.

Selon ses explications, les hommes de lettres soudanais ont toujours soutenu l’adoption de la laïcité, qui, pour eux, pouvait assurer « la protection de toutes et de tous ».

« Mon domaine de recherche est la littérature africaine francophone et anglophone et donc de par mes lectures et mes travaux, je peux vous dire que ce pays a produit de grands romanciers(…) qui ont toujours plaidé pour la laïcité à l’instar d’un personnage de Jamal Mahjoub qui affirmait que “la loi doit s’appliquer à tous, quelles que soient les croyances”. C’est vraiment cela la laïcité, la protection de tous et de toutes. Ce qui  vient de  se passer au  Soudan  est  un  tournant  historique  que  de nombreux écrivains attendaient », a-t-il expliqué.

Dans ce même contexte, M. Benaouda Lebdai a affirmé que la séparation de la religion et de l’État au Soudan était un « événement majeur en Afrique ».

« Le Soudan tourne donc une page de son histoire, où les femmes étaient lapidées, où existaient les mutilations d’organes génitaux des femmes, y compris des lois qui obligeaient les femmes à s’habiller hors de la maison selon des codes religieux, ou encore la flagellation des femmes pour comportement indécent. Avec la laïcité, les femmes peuvent désormais voyager avec leurs enfants sans l’accord d’un tuteur. Cela implique aussi que les chrétiens du Soudan peuvent vivre leur religion sans peur et par exemple consommer de l’alcool chez eux, ce qui était puni par la charia. En Afrique, c’est un évènement majeur, quand on sait l’implantation de Boko Haram dans ces régions », a-t-il estimé.

En effet, pour le chercheur en littérature africaine et postcoloniale, cette décision peut garantir les droits des minorités au Soudan, cependant, il a rappelé que « la laïcité n’intervenait pas contre la religion, bien au contraire, elle permettait de la protéger ».

« Au Soudan où il y a des chrétiens, dans le sud Soudan, des animistes et des athées, une telle décision est capitale dans le sens où ces minorités peuvent vivre comme ils l’entendent, comme ils le ressentent, sans peur de représailles, sans se cacher. Durant des décennies, ces minorités vécurent sous la terreur. Il est significatif de bien comprendre que laïcité ne veut pas dire être contre la religion, contre la foi religieuse, bien au contraire, la laïcité protège de facto toutes les expressions religieuses, islam, chrétienté, animisme etc … La religion devient une affaire privée et la laïcité devient, comme le dit le Premier ministre soudanais, un garant de toutes les pratiques religieuses, dans le respect des uns et des autres », a-t-il détaillé.

Enfin, M. Benaouda Lebdai a estimé que ce changement, que traverse le Soudan, pouvait être une lueur d’espoir pour les peuples africains, qui aspirent à vivre dans le respect de l’autre.

« Ce changement donne de l’espoir aux peuples africains qui, dans leur grande majorité, veulent vivre dans le respect l’un de l’autre, veulent mener une existence où chacun va son chemin, dans le cadre d’un état laïc qui devient protecteur de toutes les religions, de toutes les sensibilités, qui devient protecteur des femmes qui subissent les plus grands préjudices à cause d’une religiosité d’un autre âge. Les peuples savent qu’un état fort doit protéger tous ses citoyens, peu importe les croyances de ces derniers », a-t-il souligné.

« Quand l’objectif est bien expliqué, quand la pédagogie suit, il se trouve que les citoyens soudanais qui ont vécu les dérives tragiques de l’instrumentalisation de la religion sont majoritairement d’accord pour vivre en laïcité, dans le respect des uns et des autres, pour la libération de la femme. Ceci est essentiel dans la reconstruction d’un pays qui allait à la dérive et qui se ressaisit », a-t-il conclue.

Rédaction d’Algérie 360.