«Humanité et créativité pour la vie», tel semblait être l’hymne de cette nouvelle édition étrennée, samedi, en présence du Premier ministre et qui verra la ville rayonnée par le 7e art, venu du monde entier et ce, jusqu’au 28 du mois en cours.
C’est une Tunis quadrillée et placée sous haute surveillance policière que nous avons retrouvée samedi en début d’après-midi. Mais aussi un festival résolument engagé. Et pour cause! En raison de la situation très tendue que connaît le monde ces derniers temps, secoué par des actes de violence inouïe, on a choisi à bon escient de ne prendre aucun risque avec l’événement-phare si ce n’est le plus important qu’abrite la capitale tunisoise.
Mais pas question de faire les choses à moitié, les Journées cinématographiques de Carthage arrivées à leur 26e édition avec à leur tête encore, une nouvelle direction qui a opté pour le faste du tapis rouge et le glamour pour ne pas déroger à la règle et ce, afin de fêter comme il se doit les cinémas arabe et africain. S’il y a moins de strass et paillettes sur scène, en revanche, le programme semble être plus étoffé au grand bonheur des cinéphiles.
Devenue annuelle, cette manifestation dirigée par un homme de cinéma, Brahim Letaïf, lui-même producteur et réalisateur se définissant comme l’enfant des JCC, a choisi cette année de marquer un retour aux sources, tout en poursuivant l’oeuvre du fondateur Tahar Chriaâ dont le nom a été attribué cette année au Prix de la meilleure première oeuvre et dont le réalisateur algérien Lyes Salem a eu l’insigne honneur de présider le jury. Rym Takoucht pour sa part, ayant déjà joué dans le film de ce dernier, Mascarades, est quant à elle juré dans la section Carthage ciné-promesses.
Côté algérien toujours, on notera aussi Habiba Djahnine dans la compétition officielle, section documentaire. Le Grand Jury pour sa part qui attribuera le Prix du Tanit d’or au meilleur long métrage est composé du président Nour-eddine Saïd du Maroc et comme membres, entre autres Abel Jafri, Anissa Barak, spécialiste de la communication stratégique et politique internationale, le Nigérien Newton Aduaka qui s’est distingué avec son film Azra et enfin Leila Chahin ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg.
Cette dernière été fortement applaudie dans la salle où plusieurs ministres ont fait le déplacement cette année dont le Premier ministre Habib Essid. Pour sa part, c’est Latifa Lakhdar, ministre de la Culture, qui annoncera solennellement l’ouverture de la 26e édition des Journées cinématographiques de Carthage qui capitalise cette année plus de 300 titres de films venant de 58 pays ou nationalités. Soit plus de 1000 projections qui seront dispatchées sur plus d’une vingtaine de salles, entre Tunis et les villes mitoyennes, sans oublier les prisons et maisons de jeunes, estimant ainsi le public au nombre de 150.000 spectateurs.
Evoquant la montée effrayante de la violence qui frappe de plein fouet certains pays dans le monde, les organisateurs, y compris la ministre, réitéreront leur conviction quant à l’utilité du cinéma à poursuivre le chemin du combat vers la lumière, la création et la vie dans une époque «où on sent qu’on veut détruire l’humanité» dira-t-on. Plusieurs hommages ont été rendus également, dans ce grand théâtre municipal de la rue Habib Bourguiba. A commencer par la marraine du festival qui s’est longuement épanchée sur scène en souhaitant revoir l’année prochaine un film espagnol dans lequel elle sera elle-même l’héroine principale. Elle, c’est l’actrice Victoria Abril qui a fait remarquer sur les planches: «Le cinéma a été pour moi une thérapie car il m’a aidé à m’éloigner de la réalité. Il m’a permis de vivre.»
A une question de savoir que doivent faire les cinéastes quand ils passent d’une dictature à un Etat de démocratie, la belle comédienne délurée évoquera cette période de «transition» en disant qu’«on a le temps, il faut tenir, ça prend du temps».
Décorée au Jasmin, l’actrice ibérique Victoria Abril a donné le coup de départ des JCC 2015, en ajoutant: «Je dis aux artistes, continuez, il faut juste un papier et un stylo pour raconter une bonne histoire.» L’ancienne directrice des JCC et néanmoins productrice émérite Dora Bouchocha, à qui on a rendu hommage, a souhaité pour sa part, une édition 2015 meilleure que celle de l’année d’avant et une prochaine encore meilleure que celle-là pour, dira-t-elle que «l’humanité ne nous fasse pas défaut». Autres hommages, plutôt trois ont été attribués aux lauréats tunisiens qui se sont distingués en travaillant sur le film aux 7 Césars, à savoir Timbuktu de Abderahmane Sissako.
Il s’agit du Prix du meilleur montage revenu à Nadia Bechrit, Amine Mouhfed pour la musique et enfin Sofiane Fani pour la meilleure image. D’autres hommages ont été évoqués rapidement en images et qui se matérialiseront durant les JCC à savoir celui de Assia Djebar à qui une rencontre lui sera consacrée, d’ailleurs, outre la projection de ses oeuvres cinématographiques, le cinéma italien et argentin par le truchement des films de Manoel de Olivera, les comédiennes égyptiennes notamment feu Faten Hamama, Meriem Fakhreddine et Nadia Lotfi. Aussi, cette année la direction des JCC a choisi d’organiser une rétrospective avec les films des sept derniers cinéastes primés aux JCC. Parmi eux, on citera Gaston Gaboré, Idrissa Ouadrago, Cheikh Omar Sissakho, Mohamed Mouftakir, Haïlé Guérima, Hicham Ayouche et Newton Aduka.
«Nous sommes tous Bamako» scandera l’animateur sur scène qui remplace cette année les deux mannequins qui, en général, parlaient l’une en arabe et l’autre en anglais. Cette année la traduction se fait en simultané en sous-titres à lire au fronton de la scène. Seul bémol, les discours de la ministre de la Culture et de Brahim Letaïf n’ont pas été traduits pour l’assistance, seules les élucubrations de l’animateur…
Prenant la parole, Suleimane Sissé, ému, confiera avoir reçu son Premier prix au JCC en 1972 et le fait de revenir en 2015 au même endroit prouve «que le cinéma africain se porte bien. Le Mali a toujours vibré pour la Tunisie et il continuera à vibrer pour l’humanité et à la vie». Véritable trait d’union entre les cinémas arabes, y compris du Maghreb et du continent africain, les JCC qui comptent aussi rendre hommage à Nouri Bouzid montrent clairement cette année leur volonté de satisfaire les deux sphères de son festival à parts égales, pour ne pas faire de jalousie et cela se ressent amplement au sein même des invités de cette année.
Ouverte par de la musique, notamment «Le lac des signes» de Tchaïkovski, mais aussi par les musiques des films Zorba le grec et Halfaouine, la cérémonie d’ouverture des JCC 2015 s’est clôturée tout aussi avec l’orchestre symphonique tunisien sur la musique du film Laurence d’Arabie, signée Maurice Jar avant de céder la place à la projection du film d’ouverture, hors compétition, à savoir Lamb de l’Ethiopien Yared Zeleke en présence de l’équipe artistique du film.