2e verdict reporté pour les porteurs du drapeau berbère Des avocats « taclent » les magistrats grévistes

2e verdict reporté pour les porteurs du drapeau berbère Des avocats « taclent » les magistrats grévistes

Après le report du verdict, attendu mardi au tribunal de Sidi M’hamed, de 6 détenus arrêtés pour port du drapeau berbère, c’est au tour de celui des 5 autres arrêtés pour le même motif et qui devait être prononcé, hier, au tribunal de Baïnem (Alger), d’être lui aussi reporté.

Le report a vite provoqué la colère des avocats des détenus contre le mouvement de grève des magistrats mis en cause dans ce nouveau renvoi. Le verdict attendu devait concerner Ider Ali, Boudjemil Mohand, Karoun Hamza, Lekhal Kamal et Okbi Akli, arrêtés à Alger pour port du drapeau berbère. Il s’agit, en effet, du deuxième report du prononcé du verdict à cause du débrayage illimité mené par les magistrats depuis dimanche dernier.

La veille, le tribunal de Sidi M’hamed a encore renvoyé le verdict pour le même motif à l’encontre de 6 porteurs du drapeau berbère, alors qu’ils nourrissaient l’espoir de retrouver leur liberté. Ce qui revient à déduire que 11 porteurs du drapeau berbère, arrêtés dans le sillage des mobilisations populaires du vendredi à Alger et ailleurs, ont été reconduits en prison. Leur verdict est différé alors qu’ils bouclent les quatre mois de détention préventive.
Pour Mourad Gagaoua, avocat au barreau de Béjaïa, « la liberté des citoyens arbitrairement incarcérés priment sur les revendications socioprofessionnelles des magistrats » qui ont observé hier leur quatrième jour de grève.

A ses yeux, les magistrats auraient pu « geler ou suspendre » leur mouvement de grève temporairement pour prononcer le verdict qui devait avoir lieu hier et avant-hier concernant les porteurs de l’étendard berbère. « En les maintenant en prison à cause de la grève, les détenus d’opinion deviennent réellement des otages», fustige l’avocat. « Les détenus d’opinion, poursuit l’avocat, doivent être remis en liberté dans l’immédiat ». « La libération d’un innocent ne doit pas être revendiquée. La liberté est garantie dès la naissance et le prolongement de leur détention pour le motif d’un arrêt de travail est abusif et arbitraire », ajoute Me Gagaoua. Ce dernier explique que les détenus d’opinion incarcérés depuis des mois à la prison d’El Harrach sont privés de leur liberté pour un « simple débrayage et paralysie des juridictions », dénonce l’avocat.

Pour sa part, Djamel Benyoub, avocat au barreau de Béjaïa et chargé des affaires juridiques du RCD, s’il n’est pas contre l’action des magistrats, il n’en regrette pas moins qu’elle soit la cause de la prolongation de la détention arbitraire des détenus d’opinions. Pour lui, la grève est un droit garanti par la loi suprême du pays, qui est la Constitution, en allusion au ministère de la Justice qui a déclaré, samedi dernier, que le statut de la magistrature « interdit » au magistrat toute action individuelle ou collective de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement de la justice et que la participation à toute grève ou incitation à la grève est interdite au magistrat et est considérée comme « abandon de poste ».

Cette crise qui s’enlise entre les deux parties renseigne sur la « situation déplorable » de l’appareil judiciaire soumis à l’Exécutif, dénoncent nos interlocuteurs. Cela dit, « c’est une première avancée que des magistrats aient eu le courage de dénoncer la mainmise du pouvoir exécutif sur le judiciaire et l’exploitation politique et la transgression des prérogatives du Conseil supérieur de la magistrature », note Me Benyoub. Or, l’état d’un appareil judiciaire « dépendant » ne devrait pas empêcher les magistrats de prononcer un verdict « tant attendu », se défend-il.

Outre les revendications d’ordre socioprofessionnel, les juges demandent maintenant, entre autres, l’indépendance de l’appareil judiciaire, ajoute notre interlocuteur. Il n’omet pas de rappeler que l’ensemble des détenus du Hirak, comme ceux du drapeau berbère, sont interpellés et arrêtés au moment où il demandaient une Algérie démocratique, libre, indépendante et un appareil judiciaire indépendant, ne fonctionnant pas aux injonctions ». Les mêmes revendications que soulèvent aujourd’hui les magistrats, poursuit l’avocat.

Les 11 porteurs du drapeau, pour leur part, fait savoir Me Benyoub, sont « frustrés du report du prononcé du verdict », mais ils « aspirent toutefois à ce que le pouvoir judiciaire reprenne son indépendance et se sépare de l’Exécutif », rapporte l’avocat.

Meriem Kaci