38 villages ont fait front contre le terrorisme et la criminalité Iflissen Seule la mobilisation paie

38 villages ont fait front contre le terrorisme et la criminalité  Iflissen Seule la mobilisation paie

Sursaut d’orgueil. La mobilisation citoyenne sans faille face à l’hydre terroriste a fini par payer. La peur a changé de camp. Pas moins de 3000 personnes et un cortège de 570 voitures partis à la recherche de Abdallah T, citoyen du village Issenadjen dans la commune des Iflissen (Tizi Ouzou), kidnappé vendredi 30 octobre, soit à la veille de la célébration du 55e anniversaire

du déclenchement de la glorieuse Révolution, ont exercé une pression terrible sur les ravisseurs en plus de l’accrochage qu’ils ont eu avec ce groupe du GSPC. Le citoyen Abdellah T. est libéré. «Il n’y a que la mobilisation et l’union qui puissent plier le terrorisme.»

C’est le constat qu’ont fait tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés au village Issenadjen auquel nous nous sommes rendus pour faire réagir les acteurs, ces valeureux citoyens, et écouter leurs témoignages empreints de bravoure et de sincérité.

38 villages la main dans la main

La RN24, qui mène de Tigzirt vers Azeffoun que nous empruntâmes pour nous rendre à Iflissen est étrangement vide et calme en ce week-end ensoleillé. Nous passâmes par quelques pâtés de maisons le long de la côte, une légère brise marine teintée d’iode nous titillait les narines comme pour nous souhaiter la bienvenue dans cette région «quasi-désertique», pour reprendre le terme d’un jeune villageois, un des rares à «descendre» vers la côte pour y exercer en tant qu’agriculteur,

avant d’arriver à un carrefour, lieu même où est implanté le restaurant de Abdallah T, commerçant qui frise la cinquantaine, père de trois enfants qui a été kidnappé le 30 octobre avant d’être relâché sous la pression citoyenne, sans le payement de la rançon exigée, «une première dans les annales», reconnaît un citoyen de son village.

Autrefois, un barrage militaire veillait au grain en ce même endroit avant que le campement ne soit délocalisé. Le chemin qui monte vers Issenadjen, le village natal de Abdallah, que nous espérions rencontrer, est sinueux et étroit. Quelque peu surpris de notre visite «matinale», les premiers citoyens du village que nous rencontrâmes nous orientèrent vers le président du comité du village, Rabah T., qui s’est dit d’emblée prêt à nous fournir toutes les informations fiables concernant le fonctionnement du village, alors que «pour Abdellah, l’épreuve qu’il vient de subir est déjà assez pour lui», nous explique notre interlocuteur.

Son appréhension, sa crainte est d’autant plus justifiée que «certains écrits totalement erronés nous ont fait beaucoup de mal», regrettera-t-il. Il faut dire que le citoyen qui a été, rappelons-le, kidnappé pour la seconde fois, la première étant en 2006 et n’a dû son salut qu’à un paiement d’une forte rançon,

a été tantôt présenté comme citoyen de Timliline dans la même commune tantôt de Mizrana. «Je peux vous affirmer, dira Da Rabah, que les citoyens des 38 villages que compte la commune d’Iflissen, qu’on ne remerciera jamais assez d’ailleurs, ont pris part à la libération de Abdallah.»

Un cortège de 570 voitures

«Nos jeunes à nous, sitôt la triste nouvelle du kidnapping de Abdellah parvenue, ont déclenché une vaste opération de recherche.» «Nous ne pouvions pas rester indifférents», commentera-t-il, avant d’ajouter : «Nous avons alors sillonné tous les villages de la commune, lancé des appels via les mosquées ou par mégaphone à tous les citoyens dont certains n’étaient pas encore au courant de l’enlèvement.»

«Dès le lendemain, ils sont venus de tous les villages et même des communes limitrophes, telles Tigzirt ou encore Boudjima pour nous prêter main forte», raconte Rabah. «Un long cortège de pas moins de 570 voitures s’est alors formé et fait tout le tour de la forêt ou le groupe de ravisseurs se serait caché», dit-il.

Comme pour étayer les dires du président du comité, un jeune villageois nous montre une vidéo de la longue et impressionnante procession de véhicules. «Nous sommes des hommes de paix», dira-t-il avant d’expliquer que «nous n’avons à aucun moment cessé d’appeler les ravisseurs à la raison et de libérer Abdallah, qui est diabétique de surcroît, et bon père de famille».

Mobilisation sans relâche

Devant notre insistance et celle de nos confrères de la Télévision nationale qui se sont joints à nous pour les mêmes motifs, en vue d’arracher ne serait-ce qu’un petit mot à cet homme qui a tant subi et après les avoir mis en confiance, les jeunes du village ont fait venir le père de la victime sur la place du village où nous étions, qui commençait à attirer de plus en plus de monde.

Du haut de ses 85 ans, d’un ton ferme et résolu, le père de Abdallah T. dira : «Mon fils est fatigué. Il a tant subi. Il doit se reposer. Au nom de tous les jeunes de mon village qui, pour certains n’ont pas fermé l’œil pendant plusieurs jours, je remercie tous les citoyens de la commune, sans lesquels je n’aurais peut-être pas revu mon fils.»

De dignes héritiers de leurs aînés

Emouvant. Un autre cousin de la victime, Da Amar, ancien maquisard et détenu du temps de la Révolution dans les camps du Sud, n’a pas retenu ses larmes lorsqu’il a évoqué ce qu’il a vécu : «Nous, (les vieux du village, Ndlr), nous n’étions informés de la triste nouvelle de l’enlèvement que le lendemain, tout le monde s’est mobilisé, nos jeunes, ceux de toute la commune, et nous autres étions contraints de rester auprès des femmes et des enfants qui ne savaient plus à quel saint se vouer et pleuraient à chaudes larmes», se souvient-t-il.

«Ils sont vraiment courageux ces jeunes dont nous sommes aujourd’hui fiers. Ils sont les dignes héritiers de leurs aînés qui ont fait la Révolution», dira-t-il encore.

Les circonstances de l’enlèvement

Racontant les circonstances de l’enlèvement, un autre jeune affirme que les ravisseurs ont fait irruption vers 21h dans le restaurant. «Avant de prendre Abdallah, ils ont pris le soin également de subtiliser une puce téléphonique du portable de son frère qu’ils utiliseront d’ailleurs dans les longues négociations qui ont abouti à sa libération.»

«Il y avait effectivement négociation», nous informera le président du comité de village. «C’est Cheikh Arezki de Timliline, précisera notre interlocuteur, qui a tenu à jurer devant Dieu et les hommes que tout s’est déroulé dans la transparence la plus totale.» «Il parlait en toute transparence devant des milliers de personnes», dira âmmi Rabah.

Cet homme dont le rôle est prépondérant dans la libération du commerçant n’est autre que Arezki Tigherstine, ancien retraité de l’éducation nationale, issu d’une famille de marabouts de Timliline, un village aux confins de la daïra d’Azzefoun, très connu et apprécié à l’échelle de toute la commune. Cet homme de 76 ans qui a enseigné la langue arabe a été, semble-t-il, choisi pour mener les négociations grâce à ce critère précis et sa connaissance profonde de la région et des moindres préceptes de l’Islam.

En effet, selon les déclarations qu’il nous a faites, le cheikh estime qu’il est citoyen avant tout. Il explique : «Dans un premier temps, les ravisseurs ont contacté le frère de l’otage qui avait du mal à s’exprimer en arabe alors que le ravisseur ne parlait que dans un arabe érudit. C’est alors que je suis contacté pour une médiation qui s’est avérée porteuse.»

La manière de procéder de âmmi Arezki est judicieuse : «Au départ, on explique aux ravisseurs que la victime est un pauvre père de famille. Toutes ces personnes, mégaphone à portée de main, expliquaient que leur action est pacifique et consistait à libérer un père de famille malade», dit-il.

«Aujourd’hui une rançon, demain ce sera notre dignité»

Les ravisseurs qui avaient exigé une rançon de 700 millions de centimes ont d’abord revu à la baisse leur exigence pour la ramener à 200 millions. Dans la soirée, tous les gens qui se sont mobilisés se sont rencontrés à la place du village pour trouver une solution à une situation qui risquait de dégénérer à tout moment, car certaines personnes impatientes ont même proposé à ratisser la forêt, nous apprend un jeune ayant pris part à l’opération de recherche. Un consensus a été trouvé.

«Il n’y aura pas payement de rançon», explique cheikh Arezki, qui reconnaît que son interlocuteur était quelqu’un de très «instruit». «Si on avait accepté de payer, dit notre jeune agriculteur, ils seraient sûrement revenus à la charge.» «Aujourd’hui, c’est Abdallah l’otage, demain ce sera un autre citoyen, puis ils envahiront carrément nos maisons et attenteront à notre dignité», dit-il.

Toujours en contact téléphonique avec les ravisseurs, cheikh Arezki affirme que son interlocuteur s’est à chaque fois donné le temps de consulter ses acolytes. «Je lui ai expliqué que la victime ne possédait même pas cette somme, je me suis porté garant, l’informant que je parle au nom des citoyens», ajoute âmmi Arezki. C’est ce que confirme Da Rabah : «Abdallah n’a pas encore payé toutes ses dettes du premier kidnapping».

C’est le cheikh qui s’est déplacé vers 23h, en compagnie de 2 autres personnes, à Aït Rehouna, où l’otage a été relâché pour le récupérer. Ainsi, au bout de près de 24 heures de recherches, les ravisseurs ont fini par céder devant la mobilisation citoyenne, et le sens inné de négociation de âmmi Arezki. Abdellah T., qui a retrouvé les siens sain et sauf, a «remercié toute la population à travers son père. Cet élan de mobilisation a donné des idées aux citoyens d’Iflissen qui se sont réunis hier au niveau du siège de l’APC pour créer une coordination intervillages.

Le président de l’Assemblée populaire communale, d’obédience RCD, qui nous a reçus dans son bureau, s’est réjoui pour sa part de la libération du citoyen et estime que cet élan de solidarité pourrait être un nouveau départ dans les relations citoyen-APC.

«A l’initiative des habitants d’Issenadjen, une rencontre est prévue pour demain (hier Ndlr)», dit-il, affirmant qu’une initiative du genre a été lancée en 2006 sans grand succès. Pour lui, l’initiative de créer cette structure qui regroupera les représentants des 38 villages de la commune est louable. «Elle doit, à mon avis, jouer le rôle d’un conseil consultatif, pour également faire face aux multiples fléaux qui touchent nos jeunes», estime M. Tizguine.

Les germes de l’espoir

C’est l’avis aussi de Rabah T., le président du comité du village Issenadjen, qui est revenu dans un large exposé sur le fonctionnement des comités de village, sur la détresse de la jeunesse qu’il faut absolument prendre en charge. Le comité du village Issenadjen travaille en étroite collaboration avec une association locale dénommée Afara qui ne lésine sur aucun moyen pour canaliser la verve de la jeunesse locale.

Une vieille bâtisse faisant office de siège de l’association montre si besoin est le manque de moyens de ces jeunes dont beaucoup ne pensent qu’à fuir. «Nous recevons des fois des subventions des autorités mais cela reste insuffisant», reconnaît-il, avant de prononcer cette sentence : «Maintenant, tout le monde s’intéresse à nous, à notre solidarité légendaire. Il faut aussi regarder l’autre revers de la médaille, l’état délabré de nos routes, le manque d’eau…»

«Ce n’est que grâce à nos bonnes vieilles traditions d’entraide, aux dons d’âmes charitables que nous parvenons à maintenir l’espoir. Nous sommes des gens paisibles. Nous sommes touchés dans notre amour propre lorsque nous nous sentons lésés.»

Par S. Mekla