Le pouvoir, après les avoir qualifiés de “chahut de gamins”, tente de se réapproprier aujourd’hui les évènements d’Octobre 88 à son avantage, en les qualifiant de “révolution” pionnière dans le monde arabe.
Révolte, jacquerie, “Printemps d’Alger”, révolution ou “chahut de gamins” ? Oubliés des célébrations officielles depuis de longues années, “les évènements d’octobre 88”, dont on célèbre aujourd’hui le 23e anniversaire, s’invitent cette année au débat, à la faveur des bouleversements révolutionnaires arabes, comme pour une requalification des faits, pour reprendre un terme juridique. Nos gouvernants, qui se sont évertués, deux décades durant, à éliminer les stigmates de cet épisode de la jeune histoire de l’Algérie indépendante et à en minimiser la portée, se surprennent aujourd’hui à les qualifier, avec un rare aplomb, de “révolution”. “Les algériens n’ont pas attendu les arabes pour faire leur révolutions (…) notre révolution, nous l’avons faite en 1988”, répètent à l’envi Ahmed Ouyahia et Mourad Medelci, respectivement Premier ministre et ministre des affaires étrangères. Et ils ne sont pas les seuls. La liste est longue. Pourtant, il y a quelques années seulement, Ahmed Ouyahia, lui-même, assurait que ces évènements étaient le produits “de contradictions” à l’intérieur du régime. Qu’est-ce qui a changé depuis pour qu’on reconnaisse enfin en haut lieu, même si le vocable de qualification est sujet à débat, ces évènements comme un tournant dans la vie politique nationale ? À vrai dire, cette reconnaissance forcée n’est qu’une manière pour les autorités de “desserrer l’étau” des pressions internes et externes en faveur de changements qu’appelle la conjoncture. C’est pour ainsi dire un justificatif de notre “spécificité” et du maintien du statu quo. Dire, aujourd’hui, que les évènements d’octobre 88 ont été les “précurseurs” des “révolutions arabes”, comme tente à l’accréditer le pouvoir algérien, est sans doute un exercice intellectuel difficile. Complexe même. Un pas qu’il est difficile de franchir.
Si les conditions objectives (politiques et économiques) ont existé en 1988, en Algérie pour un changement radical, le contexte historique et les deux situations n’ont pas évolué de la même manière. À l’inverse des “révolutions arabes”, le soulèvement d’octobre 88, beaucoup en conviennent aujourd’hui au sein de l’élite et de la société, a été l’aboutissement d’un conflit au sommet de l’État entre “réformateurs” et “conservateurs”. Il n’avait ni slogan politique défini, ni leadership. Alors que le mouvement dans les pays arabes apparaît “résolu”, “mûr”, s’inscrivant dans la durée et se distinguant nettement de l’émeute, avec comme principal revendication la “chute du régime”, incarnée par le célèbre slogan “dégage”, en Algérie, il n’a duré que quelques jours. Autre différence de taille : les élites algériennes n’ont pas accompagné la contestation d’octobre 88.
À l’évidence, la modeste ouverture qui a suivi la contestation d’octobre 88 a été présentée comme un acquis des évènements. Mais l’on réalise aujourd’hui que les exigences d’une véritable démocratisation sont quasi inexistantes. La crise de légitimité et toujours là et les grognements en sourdine de la société se font entendre. Un seul acquis d’octobre 88 : il a sonné le glas de la légitimité historique et libéré quelque peu la parole. Mais la véritable “révolution” n’est pas encore à l’ordre du jour.