61 ans après la mort d’une légende de la révolution nationale: Larbi Ben M’hidi ou l’humilité révolutionnaire

61 ans après la mort d’une légende de la révolution nationale: Larbi Ben M’hidi ou l’humilité révolutionnaire

Par Hocine NEFFAH

Il a eu le génie de transformer la crise du Mouvement national en un sursaut libérateur.

Approcher la vie d’une icône et figure de proue comme le Martyr Mohamed-Larbi Ben M’hidi, est un exercice périlleux, difficile et délicat à la fois. La linéarité risque d’écorner le processus riche et fertile dont est l’incarnation propre, cet homme, légendaire et hors pair.

Larbi Ben M’hidi est le prolongement typique du Mouvement national algérien en général, et du mouvement de libération en particulier dont il fut l’un des précurseurs avec une poignée de compagnons de lutte.

Plus de soixante années se sont écoulées après la mort du Martyr Ben M’hidi, peu de choses sont mises en lumière, quant à son parcours jonché de combat politique, de lutte armée et d’organisation de la révolution. Le chemin adopté par cet enfant digne du douar Kouahi, une bourgade située à quelques encablures de Aïn M’lila, wilaya de Oum El Bouaghi, était rude et abrupt de par le contexte colonial qui a caractérisé l’époque où Ben M’hidi avait connu ses premiers balbutiements avec ce que cela pouvait entraîner comme situation de misère et de déchéance des plus inhumaines.

La célébration de la date de sa mort ne devrait pas prendre un penchant festif et solennel faisant dans la glorification tous azimuts. La personnalité de Larbi Ben M’hidi est plus profonde, voire plus exhaustive pour qu’elle se fasse imbiber dans un carcan quand bien même méritoire. Cet homme que l’on appelle communément le «Jean Moulin algérien», épris du sens de la résistance et de la rébellion contre l’ordre colonial, a su allier éthique et esprit révolutionnaire d’une manière dialectique aussi profonde que raffinée. Sa démarche était indépendantiste, libératrice et salvatrice pour un peuple qui a tant subi les fatras et les affres d’un colonialisme de peuplement des plus barbares et néfastes de par l’histoire de l’humanité.

La France coloniale croyait dur comme fer que ce pays «des barbares»,comme prétendaient le surnommer, ses historiens, champions de l’imposture et de la vanité qui frise l’autosuffisance factice, qu’elle s’éterniserait dans cette vaste géographie et le grenier de l’Europe. Hélas, les gens de la trempe de Ben M’hidi ont su renverser cette apocryphe «loi» qui n’est que le produit de leurs élucubrations fantasmagoriques. C’est dire que le jeune Ben M’hidi s’est abreuvé de la longue tradition orale qui narrait et transmettait les épopées qui se faisaient répandre dans les plaines et les montagnes de cette Algérie rebelle et combattante, à travers des poèmes et des chants que l’on déclamait aux chérubins et à la jeunesse de l’époque. Ben M’hidi était de ceux-là même, qui ont été trempés sur le rythme des faits d’armes de leurs ancêtres et les soulèvements héroïques qu’ils ont menés avec bravoure et stoïcisme.

L’est du pays avait une certaine tradition qui commençait à prendre forme en termes de pratiques politiques qui s’exprimaient dans le sillage d’un nationalisme embryonnaire et naissant. L’évolution du discours et de l’approche de Ferhat Abbas allant jusqu’à enclencher une dynamique politique qui prenait l’allure d’une démarche qui se rapprochait nettement de celle du PPA-MTLD de l’inénarrable Messali l’Hadj qui consiste à faire de la revendication nationale un leitmotiv de premier ordre au nom de la «AML», un mouvement qui a drainé des foules nombreuses, qui se revendique de l’indépendance de l’Algérie après la fin de la Seconde Guerre mondiale et les tragiques événements du 8 Mai 1945 et leurs lots de répressions, de crimes et de massacres contre les Algériens qui réclamaient leur droit à l’autodétermination.

C’est dans cette ambiance de flux nationaliste que Ben M’hidi a fait ses classes alliant formation politique dans les rangs du PPA-MTLD et profitant des événements qui se succédaient d’une manière rapide pour se faire une idée d’un révolutionnaire maîtrisant les fondamentaux de la guérilla et les rudiments de l’insurrection armée contre l’ordre colonial. Larbi Ben M’hidi s’est fait remarquer par son assimilation relevant de l’instinct des aspects liés à l’organisation, la discipline et son penchant vers la stratégie militaire. Ces caractéristiques lui ont permis de se démarquer sans coup férir de la crise qui secouait le Mouvement national entre 1949 jusqu’à 1953 où le PPA-MTLD subissait les errements au sein de sa hiérarchie et aussi au niveau de son organisation secrète (l’OS), au point où il y a eu des fractions qui se sont exprimées entre deux courants, les centralistes et messalistes. Larbi Ben M’hidi et certains de ses compagnons, avaient le sens instinctif de l’histoire, et de l’impérieuse urgence d’un changement du cours de ladite histoire charnière du Mouvement national, livré aux tiraillements et aux déchirements sur fond d’un leadership ravageur et destructeur du rêve libérateur et indépendantiste, d’un pays et d’un peuple qui se trouvaient dans une impasse historique sans précédent.

C’est là où le génie de celui qui est venu d’une mechta perchée du haut de la région de Oum El Bouaghi, caractérisée par un mode de vie des plus rudes et frappée d’une espèce de prévarication des plus terribles. Le fils de cette mechta qui n’est autre que Larbi Ben M’hidi, a eu cet instinct révolutionnaire, en décrétant la voie révolutionnaire pour sortir des clivages et l’impasse du Mouvement national. Il a eu le génie de transformer la crise du Mouvement national en un sursaut libérateur. Cette force prémonitoire chère aux hommes dotés du sens de l’histoire et de ses lois, a permis à l’Algérie de recentrer sa trajectoire en la remettant sur les rails, celui du combat pour la libération du pays.

Il était le père fondateur du mythe libérateur et indépendantiste du peuple algérien grâce à son humilité révolutionnaire et sa perspicacité hors normes. Il a enclenché l’insurrection du 1er Novembre avec uniquement six historiques et des moyens de base en matière d’outillage militaire.

Ces actes de bravoure et ces faits d’armes lui ont valu le mérite d’être parmi les premiers historiques qui ont mis l’Algérie dans le giron d’une nation en armes pour s’affranchir du joug colonial et son assujettissement.

Cette légende qui a pris sur son dos la responsabilité de gérer, d’organiser et mener les hommes de la Wilaya V historique, s’est illustrée par sa manière d’imposer une doctrine de combat mêlant dévouement et éthique dans les rangs d’une armée naissante à la recherche d’une doctrine dignement libératrice et révolutionnaire. Il était le maître et le commandant en chef de la bataille d’Alger. Cette bataille qui est rentrée dans les annales de l’histoire des guérillas urbaines, a montré que le génie dont disposait le colonel Larbi Ben M’hidi est l’émanation, voire le prolongement du génie ancestral de ses ancêtres.

Son arrestation précoce par les forces de l’armée coloniale et l’encerclement de la Casbah lors de cette bataille historique, les généraux ennemis de l’armée française, n’ont pas pu dissimuler leur émerveillement à l’encontre de ce personnage mythique qui renfermait des qualités indescriptibles. Ces généraux de l’armée coloniale française, avaient gardé une image mêlée d’étonnement et de respect à l’égard de cette icône de par ce qu’elle affichait comme courage, sens de l’abnégation et de témérité même en étant menotté par ses bourreaux.

Le sourire de ce grand homme avait signifié à la France coloniale que le train de l’histoire venait d’enclencher l’amorce de son départ sans retour d’un empire qui s’est vu disloquer par la détermination farouche et opiniâtre d’un Ben M’hidi résolument attaché à l’idéal suprême de son peule, la libération et le triomphe.