Si le 1er novembre 1954 avait permis le départ du feu de la révolution, c’est le congrès de la Soummam qui avait canalisé cette énergie et rendu l’indépendance inéluctable.
Il venait d’être libéré après des années de prison en Algérie et en France, mais ce n’était pas une âme dont on pouvait casser la volonté même sous la torture. La preuve, il réarma rapidement son puissant cerveau et repartit en guerre contre la colonisation. Son nom: Abbane Ramdane, natif du village de Azouza dans la commune de Larbâa Nath Irathen; architecte et cheville ouvrière du congrès de la Soummam, forte tête et rebelle jusqu’à la mort.
Dès sa libération, il prit contact avec le colonel Ouamrane, chef de la Wilaya IV historique, puis avec Lakdhar Rebbah, militant de la première heure originaire de Sour El Ghozlane, mais qui habitait à l’époque dans le quartier algérois de Belcourt. C’était cet homme hors du commun qui aida Ramdane à concrétiser son plan devenu plus tard un programme déterminant pour l’indépendance de l’Algérie.
«Un seigneur…»
Rebbah tenait alors un café qui servait tantôt de gîte aux résistants, tantôt de dépôt d’armes et, grâce à un tempérament affable et rassembleur, il connaissait les principaux responsables de la révolution ainsi que les personnalités influentes de la société. Aimé et respecté, il n’avait eu aucun mal à introduire Abane à son réseau pour lui permettre de bâtir des alliances et réussir son projet.
Parmi ces relations, figurait le nom d’un nationaliste au caractère en titane: Larbi Ben M’hidi, fils de Kouahi à Aïn M’lila, théoricien et meneur qui, lui aussi, connut les pénitenciers dès 1945.
Celui qui deviendra plus tard le chef de la Zone autonome d’Alger fut rapidement séduit par l’idée d’une conférence pour organiser la lutte armée et ainsi lui donner une dimension universelle. Ben M’hidi dont Jacques Allaire, l’officier qui l’avait arrêté en 1957, disait en 2006 «j’aurais aimé avoir un patron comme ça de mon côté (…) parce que c’était un seigneur», mit alors tout son ardeur pour la réussite des assises de la révolution.
Il restait bien entendu à convaincre toutes les factions qui se battaient certes sous la bannière du Front de Libération nationale, mais sans véritable coordination. La guerre faisait rage et l’armée française usait de tout son poids pour anéantir l’insurrection et voilà que, deux ans après le début des hostilités, deux partisans oeuvraient pour réunir les dirigeants de toutes les unités combattantes dans un lieu et à un moment précis. Beaucoup de chefs étaient réticents. D’autres avaient clairement refusé l’éventualité d’une telle convergence. Nous étions au début du soulèvement. La méfiance, la crainte de l’infiltration, les rivalités entre les leaders politiques et militaires ainsi que d’autres considérations que l’histoire n’a pas encore toutes révélées s’opposaient à l’initiative de Abane Ramdane et de Larbi Ben M’hidi.
Il fallait d’autre part vaincre les résistances idéologiques des divers protagonistes et les tentatives de parrainage à travers lesquelles des pays comme l’Egypte cherchaient à contrôler la révolution. Toutefois, en dépit de ces obstacles, le 20 août 1956 des officiers de l’Armée de libération nationale et des responsables politiques s’étaient retrouvés à Ifri, dans la commune d’Ouzellaguen, pour unifier la lutte en vue de mettre un terme de l’occupation qui durait depuis près d’un siècle et demi.
Un seul objectif: libérer le pays
Auparavant, des commissions préparatoires avaient abattu une tâche énorme en préparant les textes qui allaient former la base de la plate-forme de la Soummam. Ces groupes de travail veillèrent à garder les éléments fédérateurs et différer les points de discorde en vue de garder l’oeil rivé sur un seul objectif: la libération du pays. Les pourparlers s’étaient déroulés sous la protection du peuple de la région qui, pauvre, déguenillé, martyrisé par la violence de l’armée d’occupation, forma une fortification humaine d’où ne filtrait aucun son.
Les habitants de la vallée qui ne mesuraient peut-être pas la portée de l’événement avaient compris d’instinct que c’était de la défense de leur vie, de leur terre et de leur identité qu’il s’agissait. Dans une splendide posture, ils avaient accueilli unis comme les doigts de la main l’un des moments fondateurs de l’Algérie moderne et, sans moyens de communication sophistiqués, assuré un service d’ordre inviolable.
Le 20 août 1956 reste indubitablement l’un des moments forts de la révolution. Car si le 1er novembre 1954 avait permis le départ du feu de la révolution, c’est le congrès de la Soummam qui avait canalisé cette énergie et rendu l’indépendance inéluctable. Sans cette coordination, la guerre de libération aurait risqué de déboucher sur une guerre fratricide comme cela s’était passé des années plus tard en Afghanistan au lendemain du retrait de l’Armée soviétique.
Primauté de l’intérieur sur l’extérieur et du politique sur le militaire, ces deux principes majeurs montrent, à eux seuls, le niveau intellectuel atteint par les débats. Ces résolutions scintillantes qui avaient resserré les rangs des combattants face à l’ennemi étaient susceptibles de fonder plus tard un Etat démocratique au vrai sens du terme. En tout cas, elles avaient abouti à la création du Gouvernement provisoire de la République algérienne, facilité les négociations avec la puissance coloniale et attiré à la résistance algérienne la sympathie du monde entier.
Lorsqu’on lit la plateforme on se rend compte que le congrès de la Soummam n’était pas la réunion de simples guérilleros ou de hors-la-loi comme l’administration française les avaient qualifiés. Il s’agissait d’un instant important dans la vie d’un peuple qui, las d’être foulé aux pieds, par une puissance militaire, économique et politique avait décidé de prendre les armes tout en inscrivant sa lutte dans une dimension historique. Soixante et un an plus tard, cette prise de conscience garde toute sa valeur et toute son actualité.