63e festival de Cannes : La dernière ligne droite

63e festival de Cannes : La dernière ligne droite

La plupart des films proposés en Sélection officielle, n’ont pas l’air d’avoir rencontré le cinéma…

Les jours s’égrènent, le festival en est à sa dernière ligne droite, pourtant, la plupart des films proposés en Sélection officielle, n’ont pas l’air d’avoir rencontré le cinéma…Comme ce fut le cas certaines années, où à la sortie d’un Wenders, d’un Loach on était convaincu de leur rencontre avec la Palme d’Or…

Pour le moment Another Year, un bel exercice de style de Mike Leigh, semble tenir la corde, mais depuis avant-hier ce sont les moines de Beauvois qui semblent avoir touché de leur grâce (presque) la totalité de la Croisette…Des Hommes et des dieux a donc fait la différence et a même réussi à clouer sur la ligne de départ les adeptes du «qui-tue-qui» qui ont dû ravaler leur discours d’officine qui avait pour indignante particularité d’enfouir le martyre subi par tout un peuple durant cette décennie noire.

Xavier Beauvois a réussi à faire circuler ce parfum de soufre rouge, si précieux à l’âme et au corps. Comme effet collatéral, premier, une empathie diffuse, ici, pour la religion musulmane, enfin débarrassée du carcan qui la voile et qui pollue tout discours sur cette foi qui, quand elle est montrée, sans bruit et sans fureur, s’éloigne de toute caricature et bien sûr des caricaturistes…

Ce n’est pas tout à fait le cas du cinéaste mexicain Inaritu qui avait déjà charmé Cannes avec Babel (2006) et qui, revenu cette-fois, avec Biotiful semble avoir trop chargé sa barque de misère et de noirceur, accumulées par brassées entières et ne laissant à l’humain aucune porte de sortie…Inaritu avait, pour les besoins de cette descente aux enfers du monde interlope, des «harraga» sénégalais, chinois, etc.

Dans le rôle de cet orphée barcelonais, Javier Bardem, impérial, miné par une histoire de couple ayant plus que du plomb dans l’aile, deux enfants aussi perdus que des moineaux sans nid attitré et un compte à rebours ponctué par une prostate qui traduit le trop plein d’un corps à bout de résistance, et sans presque aucune ressources en réserve…

Bardem pourrait repartir de Cannes avec une Palme bien méritée…Pour peu que le jury, présidé par l’imprévisible Tim Burton, ait le culot de décerner la Palme du film le plus stupide, au Japonais Kitano qui, avec Outrage a signé l’insipidité de l’année.

Confidence pour confidence, certains seraient tentés de clouer aussi au pilori l’Iranien Abbas Kiarostami. Mais ce serait exagéré. Car on peut aimer ou non Copie conforme, son premier film non persan, tourné en Italie, avec Juliette Binoche pour muse. Mais pas au point de balancer le bébé avec l’eau du bain. Car Kiarostami est un fidèle à sa vocation d’illusionniste, donc de cinéaste. En évoquant une rencontre entre un conférencier anglais et une galeriste avec enfant et mari absent, il tient le rôle du diable.

Au détour d’une discussion à un moment de creux, juste avant que l’homme ne prenne son train du retour, sur la valeur de la copie d’une oeuvre d’art par rapport à l’original, qui, de l’intention de l’artiste ou du regard que l’on porte sur elle, en fixera le prix, Kiarostami emprisonne dans les rets de sa réflexion le spectateur.

Il poussera l’illusion, lors de la visite d’une chambre d’hôtel, à faire partager les souvenirs, d’une nuit de noces, en ce même endroit, engrangés par Juliette Binoche (sans nom dans le film) avec ce conférencier anglais qui finira bien par entrer dans le jeu et dans la polémique…

Kiarostami se saisit alors de son thème favori, le faux-semblant…Et dans cette identification d’une femme, très antonienne, c’est toute la fragilité des êtres qui se décline comme sur une feuille de verre. Moravia n’est pas loin…Ni Barthes non plus, surtout quand elle parle de l’attente, qui est une preuve d’amour, selon l’auteur de Fragments du discours amoureux qui rejoint ainsi Kiarostami, dans ce dernier tiers d’un film qui tarde à venir vers nous. «Suis-je amoureux? – Oui, puisque j’attends. L’autre, lui, n’attend jamais. Parfois, je veux jouer à celui qui n’attend pas; j’essaie de m’occuper ailleurs, d’arriver en retard; mais, à ce jeu, je perds toujours: quoi que je fasse, je me retrouve désoeuvré, exact, voire en avance. L’identité fatale de l’amoureux n’est rien d’autre que: je suis celui qui attend.» A moins que le cinéaste ne soit tout simplement devenu à son tour «barthien» et a donc mis, dans ce film, cette désopilante, mais évidente, recette…

Il y a quelques années, à Cannes, précisément, Abbas Kiarostami avait pensé faire un film à Beyrouth, où l’on parlerait trois langues (comme dans Copie Conforme), mais il a dû y renoncer, lorsqu’il a su que l’actrice à laquelle il pensait, Isabelle Adjani, ne parlait pas l’arabe…

Une décade plus une décennie plus tard, son film revient à la surface comme une copie de l’orignal, justement. Mais si Binoche décrochait la Palme de la meilleure actrice, personne n’osera parler de…copie!

Envoyé spécial Saïd Ould KHELIFA