Mohammed ould si Kadour EL-Korso Professeur des universités, Président de la Fondation du 8 mai 1945 (1998-2006) et Membre du Conseil de la Nation (1997-2001)
Le 8 mai 1945 est l’expression de deux courants historiques contradictoires qui agitent à ce jour la planète.
Le premier courant est porté par les peuples qui refusent toute subordination à une quelconque autorité ou puissance étrangère. Le second courant a pour nom colonialisme, néocolonialisme, impérialisme. Après avoir lutté soixante dix années les armes à la main contre l’occupant colonial français, les Algériens ont entamé dès 1926 un autre combat politique cette fois-ci.
Il n’en était pas moins décisif, même si les armes à feu ont cédé pour un moment, la place aux armes de la parole, du verbe formateur, porteur d’espoir et de détermination. Des noms comme Abdelkader Hadj Ali, l’Emir Khaled, Hadj Messali, Bendjelloul, Abdelhamid Ibn Badis, Bachir El Ibrahimi, Ferhat Abbas, Benali Boukort, le mouvement associatif (culturel, musical ou sportif) à sa tête les SMA (Scouts musulmans algériens) ont insufflé, chacun à partir de son approche du phénomène colonial les nouvelles armes d’un combat en gestation.
L’échec des expériences de fronts communs ( Le Congrès musulman algérien (1936-1937), le couple Les Amis du Manifeste et de la Liberté/l’UDMA (l’Union démocratique pour le manifeste algérien (1946), Le Front algérien pour la défense et le respect de la liberté (25 juillet 1951) ont permis la capitalisation d’une riche et formidable expérience qui sera mise à profit par les initiateurs-déclencheurs de la Guerre de libération nationale.
Le 8 mai 1945, occupe une place centrale dans le processus qui sera enclenché le 1er novembre 1954. Si la Révolution communiste d’octobre 1917 a été précédée de celle de 1905, l’Algérie a entamé pour sa part sa révolution en 1945.
En attendant le 1er. novembre 1954, l’Algérie allait devoir faire face à son propre destin. Bercé par les déclarations du président Roosevelt (« On ne pouvait pas lutter contre la servitude fasciste et en même temps ne pas libérer sur toute la surface du globe les peuples soumis à une politique coloniale rétrograde » ) et les principes de la Charte de l’Atlantique (14.8.1941, selon lesquels USA et la Grande Bretagne « respectent le droit de chaque peuple à choisir la forme de son gouvernement sous laquelle il doit vivre »), les Algériens avaient cru que l’heure de la libération avait sonné pour eux en cet « autre 8 mai 45 » au point que la constitution d’un gouvernement algérien était à l’ordre du jour dans certains esprits. C’était compter sans la stratégie colonialo-impérialiste d’un De Gaulle qui avait trouvé refuge à Alger à la suite du débarquement anglo-américain en Algérie le 8 novembre 1942.
D’« Alger capitale provisoire de la France et de l’Empire », il mènera tambour battant « l’épuration » contre les vichystes établis à Alger et les généraux qui auraient pu lui faire de l’ombre. Craignant la main mise de l’armée américaine sur l’Afrique du Nord, plus particulièrement sur l’Algérie, Il donnera des ordres fermes au gouverneur général Yves Chataigneau, aux préfets, aux généraux colonialistes Henry Martin et Duval pour ne tolérer aucune forme de contestation de la part des partis politiques algériens (février 1944). Des zones dites « sensibles » avaient été dessinées sur des cartes d’Etat major et de grandes manœuvres militaires avec tirs réels de toutes les armes (infanterie, cavalerie, artillerie, marine de guerre, aviation militaire) avaient ciblé les 4 et 5 mai 1945 la Grande et la Petite Kabylie. La terreur exercée sur des habitants démunis, ne les a pas empêchée de défiler en ce mardi, jour de marché hebdomadaire, pacifiquement emblème national en tête portée par le jeune Martyr Saal Bouzid.
Qu’importe la barbarie coloniale en ces lendemains de la « Liberté » recouvrée par la France libérée grâce aux Alliés, aux FFI mais aussi aux milliers de victimes parmi les mobilisés coloniaux africains dont des Algériens longtemps passées sous silence. Qu’importe le nombre de victimes en ce 8 mai 1945 à Sétif, Kherrata, Guelma et dans d’autres coins reculés d’Algérie. Qu’ils furent 30 000, 45 000, bien plus ou bien moins, ces martyrs furent le ferment d’une nouvelle conscience politico-militaire en mouvement appelée « O.S. », véritable catalyseur des forces en veille.
Revenons au 8 mai 1945 en Algérie. Ironie de l’histoire, les armes anglo-américaines qui avaient servi à combattre Rommel et ses troupes en Tunisie et en Lybie sonnant ainsi le glas du totalitarisme dans le monde, allaient asseoir pour dix ans encore, le régime colonial « rétrograde » dénoncé par Roosevelt. La notion de LIBERTE, prônée et défendue par les Alliés, proclamée lors de leurs nombreuses réunions et rencontres, inscrite en toutes lettres dans leurs différentes « Chartes », s’arrêtait au seuil de l’Europe. La libération des colonisés par eux-mêmes, était en marche.
Ce sera le 1er novembre 1954 pour l’Algérie, les peuples d’Afrique suivront. Reste pour l’Algérie et les Algériens à préserver, en ces temps de grandes incertitudes et de menaces certaines, ce précieux acquis arraché de haute lutte.
Mohammed ould si Kadour EL-Korso