Environ 200 migrants africains qui tentaient de rejoindre Melilla, une enclave espagnole située au nord-ouest du Maroc, ont fait les frais de la violence des forces de l’ordre des deux pays, le 15 octobre 2014. Maltraités, la quasi-totalité d’entre eux ont été de surcroît renvoyés illégalement vers le Maroc.
Les immigrants – d’origine subsaharienne – ont cherché à franchir la triple clôture séparant le Maroc de la ville espagnole à partir de 6 h du matin environ, dans la zone de Villa Pilar, à côté de l’aéroport de Melilla. Deux hommes ont été particulièrement brutalisés par la Garde civile espagnole, dont Danny, 23 ans. Sur une vidéo diffusée par Prodein, une association défendant les droits des enfants, on peut voir des agents de la Garde civile frapper le jeune camerounais à coups de matraque, alors qu’il descend de la clôture à l’aide d’une échelle. Après avoir été apparemment touché à la tête, Danny chute lourdement au sol, avant d’être traîné par les policiers, visiblement inconscient.
« Les migrants blessés, mais conscients, sont généralement renvoyés directement au Maroc »
Je suis arrivé sur place à 9 h, trois heures après le début des événements. J’ai appris que 200 personnes s’étaient lancées pour passer du côté espagnol. Mais une centaine d’entre eux seulement étaient en train de franchir les clôtures séparant le Maroc de Melilla quand je suis arrivé, car la police marocaine en avait bloqué un certain nombre. La frontière est composée de trois clôtures espagnoles. À quelques mètres de là, une autre clôture est en construction du côté marocain. Quand elle sera terminée, il sera encore plus compliqué de passer et les forces de l’ordre marocaines auront plus de temps pour intervenir.
Sur la vidéo de Prodein, on peut voir des migrants, camerounais pour la plupart, ayant atteint la troisième clôture espagnole. Danny, qui a été durement frappé, a été emmené à l’hôpital car il était inconscient. Par chance, il est vivant, mais blessé. Les personnes inconscientes sont toujours conduites à l’hôpital par la Garde civile. En revanche, celles gravement blessées, mais conscientes, sont généralement transportées comme des bouts de viande et renvoyées directement aux Marocains. Les forces de l’ordre ont presque toujours recours à la violence. Mercredi, il y a eu au moins une quarantaine de blessés parmi les migrants.
Afin de justifier les actes de la Garde civile, la délégation du gouvernement de Melilla a dénoncé dans un communiqué « l’extrême violence » des migrants, « munis de pierre, de bâtons, de couteaux, de crochets, de cordes et d’autres objets tranchants ». Elle a également indiqué que certains migrants avaient mis le feu à leurs vêtements, afin de les lancer sur les agents de la Garde civile. Cinq d’entre eux ont été blessés mercredi. Pourtant, seuls des crochets, des cordes et quelques bâtons apparaissent dans la vidéo diffusée par la délégation montrant les éléments confisqués aux migrants (voir ci-dessous).
Pour Robert Bonet, la Garde civile cherche avant tout à criminaliser les migrants, qui tentent régulièrement de franchir la frontière.
Les crochets et les cordes que l’on voit dans la vidéo sont utilisés par les migrants pour escalader les clôtures, et non pas pour blesser les policiers. La Garde civile a souvent tendance à manipuler les informations. Jusqu’à présent, elle n’a pas fourni la preuve de la violence des migrants. Concernant le feu, il n’y en avait pas quand je suis arrivé, donc je ne peux pas me prononcer là-dessus.
« Une fois que les migrants sont sur le sol espagnol, ils ne peuvent pas être expulsés immédiatement »
Outre la violence de la Garde civile, le renvoi des migrants vers le Maroc est illégal en vertu de plusieurs textes, comme l’explique Robert Bonet.
Une fois qu’ils ont escaladé la première clôture, ils se trouvent en territoire espagnol, selon un accort bilatéral signé par le Maroc et l’Espagne. Légalement, ils ne peuvent donc pas être expulsés immédiatement, selon la Ley de Extranjeria (NDLR : loi régissant l’entrée des étrangers non-communautaires en Espagne). Cette loi stipule qu’une fois arrivés sur le sol espagnol, les migrants ont le droit d’avoir un avocat, un traducteur et de demander l’asile, et leur identité doit être connue. Ils ne peuvent donc être expulsés que si ces garanties ont été respectées.
Or, le protocole opératoire aux frontières de la Garde civile permet le renvoi immédiat au Maroc des migrants n’ayant pas franchi la totalité des clôtures, estimant qu’ils ne se trouvent pas encore en Espagne. C’est parfaitement illégal. Par ailleurs, ils disent qu’ils ne les expulsent pas lorsqu’ils se trouvent au niveau de la troisième clôture, mais ils le font quand même.
Signé par le chef de la Garde civile de Melilla, Ambrosio Martín Villaseñor, ce protocole viole ainsi la Ley de Extranjeria. Il y a un mois, un juge d’instruction de Melilla l’a accusé de prévarication, c’est-à-dire d’avoir signé un document tout en ayant conscience de son illégalité.
Le 17 octobre, le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, a indiqué qu’il était « nécessaire d’ouvrir une enquête pour établir les responsabilités dans ces violences policières » sur sa page Facebook. Selon lui, « l’Espagne n’a pas respecté ses obligations internationales » concernant l’accueil des migrants, assurant que « ce n’est pas la première fois ». Le 20 octobre, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) a pour sa part appelé les autorités à « adopter les mesures nécessaires » pour que les droits fondamentaux de ces migrants soient respectés.
Depuis plusieurs mois, le nombre de migrants clandestins tentant d’entrer en Espagne a fortement augmenté. En 2013, 4 235 d’entre eux sont parvenus à rejoindre Melilla et Ceuta, les deux enclaves espagnoles situées au Maroc.