«À Oran, nous avons abordé la question amazighe. Abane Ramdane a été catégorique en priorisant la cause nationale», a confié un jour Dda Abdellah.
L’homme de toutes les causes nobles et justes, l’infatigable moudjahid Abdellah Hamane, est décédé dimanche à l’âge de 82 ans. Il a été enterré, hier, dans le cimetière de Aïn El Beida, dans le sud-ouest de la ville d’Oran. Homme de culture, Abdellah Hamane a consacré un grand pan de sa vie aux recherches en langue et écriture amazighes. N’est pas «Dda» qui veut. Après Mouloud Mammeri, Abdellah Hamane est le deuxième homme qui s’est taillé ce titre et…dans la ville d’Oran. Malgré la chape de plomb qui a frappé la cause amazighe dans les années 1960 et 1970, le défunt n’a pas lâché d’un iota son militantisme. D’ailleurs, il est rentré en clash avec l’état civil d’Oran en le poursuivant en justice pour son refus, quant à la transcription de son fils au prénom de Massinissa. Dda Abdellah n’est pas méconnu des Oranais, son nationalisme sans frontières et sa hargne et boulimie pour la fructification de la cause amazighe lui ont valu le respect de tous les Algériens, mais aussi des Oranais le connaissant pour ses activités, son activisme et sa présence dans tous les forums et les rencontres dédies aux causes algériennes et l’identité amazighe.
Moudjahid de la première heure
Abdellah Hamane était encore jeune lorsqu’il a rallié en 1955 la cause algérienne. Il a été galvanisé par les débats militantistes tenant le commerce de son frère Ferhat fréquenté par Mbarek Aït Menguellet, Mohand Amokrane Khelifati, Ben Abdelouahed et tant d’autres. En 1955, le défunt a rencontré Abane Ramdane tout près du marché Michelet, dans le centre-ville d’Oran. «Nous avons abordé l’identité amazighe. Abane Ramdane, visionnaire qu’il était, a été catégorique en priorisant la cause nationale, en combattant le colonialisme et éviter la division», a confié un jour Abdellah Hamane. Le défunt a rejoint le maquis en 1956, suite à la rencontre qu’il a tenue avec Ahmed Lefrouz. «Savez-vous qui était Ahmed Lefrouz?» a-t-il confié, «Larbi Ben M’hidi qu’on nous a présenté en tant que vendeur de boissons gazeuses», a-t-il répondu. «L’ayant rencontré près du port d’Oran, Larbi Ben M’hidi nous a demandé d’organiser une grande manifestation pour dénoncer l’assassinat du docteur Benzerdjeb», a-t-il ajouté. Une telle manifestation grandiose lui a valu son repérage et son identification par la police des renseignements généraux, d’où les recherches lancées à son encontre et son repli dans la ville de Sidi Bel Abbès. Il prend attache de nouveau avec Larbi Ben M’hidi. Il fut orienté vers Kaci Mohand Boussaâd propriétaire d’un commerce où a été préparée une action d’envergure consistant en l’élimination d’un indicateur de la police coloniale. Arrêté en 1956 pour sa participation à une action «fidaï» à Sidi Bel Abbès, il fut condamné à 10 années de prison et connaîtra la torture ainsi que les affres et les conditions inhumaines d’incarcération dans plusieurs centres de détention de l’ouest du pays.
«Couturier» de l’amazighité
Après le recouvrement de l’indépendance, il s’adonnera au métier de couturier tout en se consacrant à la création culturelle en produisant des pièces de théâtre, des poèmes, des traductions d’oeuvres universelles en tamazight. Parfait trilingue, feu Abdellah Hamane a également contribué à la création de l’association culturelle Numidia, investie depuis des années dans la promotion et le développement de tamazight dans la wilaya d’Oran. Abdellah Hamane est d’une pensée universelle, moderniste dans sa vision, mais très attaché à sa terre et ses traditions et culture ancestrales. Pour le défunt, ces garde-fous ne sont jamais transgresses ni à prendre comme simple point de vue: il place son algérianité et l’amazighité en tant que premières priorités pour lesquelles la mobilisation est à la fois infailliblement et inconditionnellement totale et sans relâche. C’est pourquoi le défunt n’a, durant toute sa vie, ou encore là ou il passe, pas cessé de plaider pour l’Algérie dans toute sa richesse culturelle et linguistique. «La langue et culture amazighes nécessitent la mobilisation de leurs enfants», s’est-il confié récemment à L’Expression lors de la célébration du Printemps berbère organisée par l’association culturelle Numidia. Poésie, théâtre, conférences-débats sont autant d’activités pour lesquelles le défunt a consacré les trois quarts de sa vie. Ressemblant à Mouloud Mammeri et décisif comme Abane Ramdane, l’homme incarne toutes les vertus: élève de l’école d’El Fallah des oulémas, moudjahid de la première heure, chercheur, poète et écrivain en langue amazighe. Lui reconnaissant son engagement, sans faille, au seul profit du développement et la promotion de la langue amazighe. Dans un témoignage de ses amis, «Mouloud Mammeri, qui prenait part à un séminaire sur la méditérannéité, tenu à Oran en 1987, a demandé de lui organiser une rencontre avec Abdellah Hamane», a-t-il affirmé ajoutant que «les deux hommes, aussitôt réunis m’ont, à force de leurs retrouvailles et nostalgie, oublié pendant un bon bout de temps, c’est à ce moment là que l’on a réalisé l’importance de l’homme». Cela n’a été qu’un début pour tant d’autres faits racontés par les amis du défunt ayant relevé le défi pendant les années de plomb et ce, en se mettant à l’écriture et à la composition des poèmes en langue amazighe malgré les interdits d’alors. Le président de l’association Numidia, Saïd Zamouche, dira que «Abdellah Hamane est l’un des piliers importants de la langue et culture amazighes dans la wilaya d’Oran».De tels hommages ne tombent pas des suites d’un simple hasard. Tout comme l’a été le défunt Mouloud Mammeri, Abdellah Hamane a jalonné le terrain aux chercheurs investis dans la langue et la littérature amazighes. Désormais, les Quatrains de Omar Khayyâm sont disponibles en langue amazighe, l’honneur revient au défunt Abdellah Hamane qui a traduit l’oeuvre. Cette oeuvre a, d’ailleurs, constitué le sujet important, d’un autre homme des lettres et sous-directeur de la recherche culturelle et scientifique près le Haut-Commissariat à l’amazighité, Boudjemaâ Aziri ayant pris part récemment dans une rencontre littéraire consacrée à Abdellah Hamane, alors qu’il était encore vivant. Boudjemaâ Aziri est longuement revenu sur le manuscrit découvert plusieurs siècles après la disparition de Omar Khayyâm. Idem pour Houari Bessaï, professeur de sémiologie à l’université de Saïda ayant évolué «Merwas di l’burj n Yitij, Merouas dans le Fort du soleil. Tawaghit di tayri (drame de l’amour) est le dernier roman de l’auteur édité par le HCA. Tel qu’ambitionné par ses amis, académiciens et chercheurs en langue amazighe, l’oeuvre de Abdellah Hamane, doit être introduite dans les écoles, et également faire l’objet de recherches universitaires. Repose en paix Dda Abdellah.
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