Abdelmadjid Attar : Aucun des pays producteurs de pétrole ou de gaz ne publie de façon officielle ses chiffres de réserves pour de multiples raisons (politique, stratégique, commerciales) et c’est la raison pour laquelle l’Algérie affiche depuis plus de dix ans 4500 milliards de mètre cubes de gaz naturel et 3 milliards de tonnes de pétrole liquide.
Ce que je sais, c’est que ces chiffres comprennent les réserves prouvées, probables et possibles. Mais récemment, le Conseil des ministres dans son communiqué relatif au projet de loi de finances 2016 a publié de nouveaux chiffres, à savoir 1387 millions de tonnes de pétrole et 2745 milliards de mètres cubes de gaz naturel. Cela doit certainement correspondre aux seules réserves prouvées restant à produire. A mon avis, cette publication est intentionnelle pour sensibiliser les citoyens et leur faire comprendre qu’il ne reste pas grand-chose à produire.
Certains spécialistes estiment que les réserves de l’Algérie, quel que soit le niveau d’exploration, sont vouées à l’assèchement le temps d’une génération. Alors quel est le modèle énergétique à mettre en place pour assurer la satisfaction des besoins internes, mais aussi l’exportation à moyen et long terme ?
Tout le problème est là car quelles que soient nos réserves, elles sont appelées à disparaître un jour ou l’autre, la durée dépendant de ce qu’on en fait, et du modèle de consommation énergétique qu’on met en œuvre, en tenant compte bien sûr que l’économie algérienne est dépendante à 98% de la rente pétrolière aujourd’hui, et pour de longues années encore.
Ce modèle ne doit pas consister à prendre de simples mesures tarifaires, ou encore projeter de recourir à telle ou telle source énergétique comme les énergies renouvelables et même le gaz de schiste si jamais il s’avère rentable à l’avenir. Il doit reposer sur une projection à long et même très long terme tenant compte de l’évolution année par année :
– Des réserves réelles disponibles et des capacités de production.
– Des besoins en matière de financement des projets sociaux qu’aucune autre ressource n’est en mesure d’assurer hélas pour le moment, en attendant la diversification de l’économie, seule à même de créer de nouvelles richesses, donc de nouvelles ressources financières. Il y a des programmes, des annonces, des promesses, mais aucun résultat concret pour le moment.
– Des besoins énergétiques du pays (consommation interne) dont la composante est hélas aujourd’hui à 100% d’origine hydrocarbures.
– De la nécessité de diversifier cette consommation en ayant recours progressivement à d’autres ressources renouvelables, ce qui signifie une transition énergétique, mais tenant compte aussi que cette transition ne se fera pas du jour au lendemain comme le croient certains et nécessitera d’une part des investissements importants à prélever de la rente pétrolière, et un effort citoyen pour rationaliser la consommation.
C’est une formule d’arbitrage très complexe, dont la résolution dépend de tous les secteurs.
Dans vos différentes interventions, vous avez plaidé pour la nécessité de revoir le modèle de consommation énergétique actuel. Toutefois, plus de 15 milliards de dollars sont prévus au budget de l’Etat pour 2016 au titre du soutien de l’Etat à la consommation domestique de l’énergie. Peut-on dire, alors, que le virage de la transition énergétique n’a pas débuté ?
Il faut être réaliste car on ne peut tout de même pas arrêter du jour au lendemain des subventions qui sont devenues notre pain quotidien à tous, ceux qui en ont vraiment besoin et ceux qui en profitent, à commencer par moi-même avec une retraite relativement confortable par rapport à celle d’un simple ouvrier.
La crise actuelle est une bonne occasion pour mettre de l’ordre dans la distribution de ces subventions, et chacun doit donner l’exemple, surtout en matière de consommation de produits énergétiques pour reculer dans le temps le moment où nous serons amenés à réduire les exportations pour assurer la sécurité énergétique du pays. Et c’est dans moins de 15 ans que cela va se produire.
Toujours dans le volet économie d’énergie, ne faut-il pas, par exemple, revoir et étendre l’utilisation du GPL à la traction automobile au lieu de continuer à miser sur le diesel qui est importé en grandes quantités ?
C’est plus qu’une urgence, non seulement pour le GPL mais aussi pour le gaz naturel carburant, dont les réserves sont plus confortables que celles du pétrole. Il y aura très prochainement aussi le véhicule électrique auquel il faut penser. Mais dans ce domaine, il y a la fameuse barrière du prix des carburants liquides qui est dérisoire et peu stimulante. D’où la nécessité de prendre les mesures tarifaires qui s’imposent de façon graduelle, avec des mécanismes qui puissent épargner les couches les plus défavorisées.
Les pouvoirs publics (ministère de l’Energie, le groupe Sonatrach…) ne cessent de rassurer l’opinion publique quant à l’avenir énergétique du pays. Ils affirment que l’Algérie a réussi à renouveler ses réserves en hydrocarbures et que le volume de la production nationale connaîtra à partir de 2017 une augmentation significative. D’après vous, de telles assurances tiennent-elles la route ?
C’est le rôle de tout responsable politique de rassurer le citoyen, surtout dans les situations de crise quelle que soit leur nature. Oui, il n’y a pas de crainte pour le moment en supposant que dans quelques années seulement, on puisse sortir de la dépendance pétrolière. Mais est-ce vraiment envisageable en ce moment ? La solution n’est pas dans le renouvellement, car même si cela est fait, il faut se poser la question : combien de temps cela va durer par rapport non seulement à une économie dépendante essentiellement de la rente pétrolière,
mais aussi par rapport à une consommation interne qui fait de l’Algérie l’un des pays les plus énergivores dans le monde sans presque aucune production de plus-value ? Voici juste un exemple : 70% de la consommation énergétique nationale sont consacrés aux ménages, au transport, et autres consommations sans production de valeur ajoutée, et seulement 30% à l’industrie. Elle aura tendance à dépasser et même à réduire les exportations, à moins d’une politique énergétique destinée à la réduire, à diversifier sa nature à travers les énergies renouvelables, et à en éliminer progressivement la subvention qui ne doit profiter qu’aux citoyens qui en ont vraiment besoin.
Lors d’un récent passage à la radio, vous avez suggéré d’abandonner l’idée de raccorder tous les villages et hameaux du pays au gaz naturel car c’est trop coûteux. Vos déclarations ont suscité des déchaînements sur les réseaux sociaux et des commentaires…
C’est vrai que je me suis fait traiter de tous les noms d’oiseau et de vendu du système, et j’en passe. Parce qu’un journaliste a saisi la bonne occasion de donner un titre «commercial» à son article. Mais ça reste mon opinion quand même pour plusieurs raisons :
– D’abord, je n’ai pas parlé de tous les villages et hameaux, mais seulement des zones où les besoins des citoyens sont des besoins énergétiques à caractère domestique. Donc, un besoin qui peut être satisfait par de l’électricité tout simplement, surtout si elle peut être d’origine renouvelable, donc à subventionner à ce moment-là par l’Etat, et la législation actuelle le permet.
Donc plus propre, et surtout durable par rapport au gaz naturel qui ne sera probablement plus disponible à un moment ou à un autre et certainement plus cher que l’électricité.
– La deuxième raison est non seulement économique mais stratégique aussi. Elle permettra à l’Algérie de prolonger la durée (disponibilité) de cette ressource de façon transitoire pour le moment dans les exportations qu’on ne peut pas arrêter vu notre dépendance de la rente, et pour le long terme au bénéfice des besoins futurs non seulement pour la génération de l’électricité elle-même, mais aussi des activités industrielles ne pouvant fonctionner qu’avec du gaz naturel. Cela y compris dans un village où cela sera nécessaire.
– La troisième raison est celle qui fera de ces zones des pionniers et même des privilégiés en matière d’énergies renouvelables tant que l’Etat est tenu aujourd’hui de les encourager et les subventionner, ce qu’il ne pourra peut-être pas faire plus tard. – La quatrième raison est d’ordre stratégique, car le gaz naturel est en train de devenir la source d’énergie la plus convoitée dans le monde, la plus propre, et en mesure de peser de façon importante dans nos relations avec les pays qui n’ont pas de réserves.
Le Temps d’Algérie : Certains reprochent à Sonatrach de ne pas avoir saisi les opportunités de la crise pétrolière actuelle pour opérer des fusions-acquisitions ou simplement acheter des sociétés en difficulté… Partagez-vous cet avis ?
Abdelmadjid Attar : On aurait pu le faire effectivement, il y a dix ans ou plus, mais plus maintenant car il y a déjà fort à faire d’abord en Algérie, au lieu de regarder derrière soi. Il faut quand même préciser que Sonatrach a tenté de s’implanter ailleurs dans des projets qui auraient pu être rentables comme l’Irak ou la Libye. La conjoncture géopolitique ne l’a pas permis pour ces projets, tandis que dans d’autres, c’est plutôt le manque d’autonomie dans la décision.
Les entreprises privées, notamment celles sous la houlette du FCE, ont émis leurs souhaits d’investir dans le secteur des hydrocarbures. Quelle formule la plus adéquate suggérez-vous au secteur privé algérien qui, faut-il le rappeler, n’a pas d’expérience dans ce domaine pour réussir ce challenge, mais aussi pour que les hydrocarbures ne soient pas considérées comme un apport de recettes mais surtout comme matière première qui aiderait à bâtir une industrie aujourd’hui moribonde ?
C’est vraiment un sujet d’actualité extrêmement important pour l’avenir du pays. Je suis sûr qu’il y a d’énormes potentialités dans ce domaine pour peu qu’on accepte d’en débattre en toute transparence, sans aucun tabou et agir.
– Il est vrai que les entrepreneurs privés, du moins quelques groupes actuellement assez solides au point de vue financier, ont peu ou pas d’expérience technique sur l’amont et même l’aval de l’industrie pétrolière. Alors de deux choses l’une, on les intéresse et on les encourage à y aller pour créer plus tard des opérateurs capables de prendre la relève, ou bien on les laisse s’occuper de commerce, d’importation, et quelquefois de sous-traitance logistique pas plus, en restant enfermés avec les sociétés étrangères qui ont toutes démarré petit avant d’être grand.
– Dans l’amont (recherche et production), le risque aussi bien technique que financier est certainement trop grand pour qu’une entreprise privée algérienne puisse le prendre seule, mais qu’est-ce qui empêche de l’aider à le prendre, en l’accompagnant à travers des participations en partenariat avec une compagnie étrangère ayant l’expérience et le savoir-faire ? Au bout de quelques années, il sera en mesure de voler de ses propres ailes.
– Je donne un exemple précis : il y a en Algérie plusieurs petits gisements en déplétion ou même abandonnés parce que les grandes compagnies et même Sonatrach ne s’intéressent qu’à ce qui est plus profitable. Or, partout dans le monde, ce sont les petites sociétés qui savent les exploiter au moindre coût dans l’intérêt de tous. Il suffit d’en définir les règles et les obligations de résultat pour donner naissance à de véritables opérateurs pétroliers algériens du futur.
– Dans l’aval (pétrochimie), il y a encore plus d’opportunités, et ce, d’autant plus qu’il s’agira de valoriser la production pour le marché national et même l’exportation. Les investissements nécessaires et les technologies sont énormes, mais il y a des possibilités de création d’une multitude de PME-PMI autour de chaque grand projet pétrochimique.
– Enfin, il y a les services pétroliers qui sont actuellement en majorité entre les mains des sociétés étrangères, de quelques entreprises publiques, et les entreprises privées qui s’occupent en majorité de sous-traitance logistique et de gardiennage. Là aussi on peut initier et soutenir progressivement la naissance de véritables entreprises privées de haut niveau. Je connais l’exemple d’au moins une société étrangère qui s’est implantée en Algérie en tant que tout petit sous-traitant en soudure et montage, qui fait aujourd’hui un chiffre d’affaires de plusieurs milliards de dollars, alors qu’elle a appris en grande partie le métier en Algérie.
– Arrêtons simplement de demander les fameuses trois années d’exercice aux opérateurs économiques privés algériens, et de les considérer tous comme des «voleurs», sinon il n’y aura jamais de relève. A côté de cela, on permet à une simple Eurl de faire un chiffre d’affaires de plusieurs milliards de dinars uniquement en important des containers.
Entretien réalisé par Salah Benreguia