Abdelouahab Fersaoui, président de RAJ, au Soir d’Algérie : « La société civile et la classe politique doivent trouver un consensus »

Abdelouahab Fersaoui, président de RAJ, au Soir d’Algérie : « La société civile et la classe politique doivent trouver un consensus »

Entretien réalisé par Karim Aimeur

Dans cet entretien, le président de l’association Rassemblement, action, jeunesse (RAJ) aborde le travail accompli par la société civile en vue de proposer une solution à la crise que traverse le pays. Il parle également de la conférence nationale de la société civile et ses objectifs. Pour lui, le consensus populaire qui existe dans la rue doit être traduit par un autre consensus chez la société civile et la classe politique.

Le Soir d’Algérie : Les dynamiques de la société civile, constituées de près de 70 organisations, tiendront une conférence nationale ce 15 juin. Où en est-on avec la préparation de cet évènement ?
Abdelouahab Fersaoui : L’organisation de la conférence nationale de la société civile est une étape importante permettant de capitaliser tout le travail qui se fait depuis le début du mouvement. RAJ fait partie du collectif des dynamiques de la société civile pour une transition démocratique et pacifique lancée le 27 février et qui regroupe une trentaine d’associations et d’organisations.
Le 18 mars nous avons rendu publique une proposition de sortie de crise et le 27 avril nous avons appelé à l’organisation de la conférence nationale ouverte et inclusive qui vise à rassembler le maximum possible des dynamiques au niveau national afin de rapprocher les différentes propositions et sortir avec une seule feuille de route consensuelle qui traduit les aspirations et les revendications du peuple, à savoir la rupture avec ce système et aller vers un Etat démocratique, social et civil et cela, à travers une véritable période de transition démocratique.
Quatre réunions de concertation regroupant notre collectif, la Confédération des syndicats algériens et le Forum civil pour le changement ont été tenues, dans l’objectif d’organiser la conférence nationale prévue pour ce 15 juin. La tenue de cette conférence nationale est conditionnée par l’élaboration d’une feuille de route consensuelle à base des propositions des trois collectifs. Une commission de rédaction a travaillé toute la semaine passée. Puis un large débat s’en est suivi samedi dernier où nous étions dans l’obligation de poursuivre la discussion au cours de la semaine, car le consensus n’est pas encore dégagé. Une chose est sûre : la volonté pour réussir cette conférence existe réellement.

Le débat a porté sur quoi exactement lors de cette houleuse réunion ?
On a eu un débat chaud et franc sur les mécanismes de transition. Nous considérons que l’élection, peu importe sa nature, est une dernière étape de la période de transition, mais avant, nous devons définir les grands principes et les valeurs démocratiques sur lesquelles nous voulons construire cette République qui garantira les droits de tous les Algériens sans aucune distinction. Il s’agit de garantir la démocratie, les libertés individuelles et collectives ainsi que l’égalité, le caractère républicain, démocratique, social et civil de l’Etat algérien et la séparation des pouvoirs.
Sans oublier la libération du champ politique, syndical, associatif et médiatique. On ne peut pas aller aux élections démocratiques et transparentes avec ces lois liberticides qui entravent les libertés. Il faut garantir à tous les Algériens leurs droits à exercer leur citoyenneté.
C’est de cette manière qu’on peut garantir une élection libre et démocratique, sinon organiser les élections dans le contexte actuel ne peut que reproduire le même système avec une autre façade.
D’autres questions pertinentes ont été soulevées, à savoir les entraves liées à la liberté de manifestation à Alger et ailleurs, la répression, les intimidations et les arrestations des manifestants. Nous avons appelé à la libération des détenus d’opinion qui croupissent encore en prison.

Qui va participer à cette conférence ?
Cette conférence est réservée aux dynamiques de la société civile (syndicats, associations, collectifs…) qui s’inscrivent dans la rupture avec le système et qui veulent aller vers une période de transition démocratique et pacifique. C’est également une étape importante pour la société civile pour s’affirmer en tant que médiateur, actrice et partenaire et force d’action et de proposition, après avoir été marginalisée et étouffée par le pouvoir durant le règne de Bouteflika.
Dans le contexte actuel, la société civile peut jouer un rôle historique, car, malgré sa faiblesse, elle a une crédibilité dans la société, donc elle a cette capacité de mobiliser et de fédérer les forces vives. L’Algérie en a vraiment besoin.

A qui vous allez proposer la feuille de route ?
La tenue de la conférence nationale de la société civile est très importante mais elle n’est pas une fin en soi, la feuille de route consensuelle qui va sortir de la conférence sera soumise en premier lieu au débat dans la société, elle sera aussi soumise à la classe politique, car, face à l’entêtement du pourvoir, un rapport de force est indispensable, la société civile et la classe politique sont appelées à aller ensemble. Le consensus populaire qui existe dans la rue doit être traduit par un autre consensus chez la société civile et la classe politique. C’est nécessaire avant d’aller négocier quoi que ce soit avec le pouvoir. S’il y a négociations, c’est autour des mécanismes de transfert du pouvoir au peuple.

Justement, ce peuple se mobilise depuis plus de trois mois avec la même force pour réaliser ses objectifs…
Le pouvoir n’a jamais considéré le peuple en tant que tel. Il a tout fait pour le mépriser, le diviser et l’éloigner de la politique pour garder le pouvoir au détriment de l’intérêt général. Il a utilisé la carte de la division, le régionalisme, le traumatisme des années 1990, le chantage, l’achat de la paix sociale, la corruption, la menace de la main étrangère, le contexte régional… mais il a oublié qu’il a affaire à un peuple qui a mené l’une des plus grandes révolutions du 20e siècle contre l’une des plus grandes forces coloniales.
Ces quatre mois de mobilisation ont prouvé et démontré au monde entier le degré d’éveil citoyen des Algériens et leur détermination, engagement et aspiration à la démocratie, à la liberté et au progrès politique, social et économique.
Malheureusement, les quatre mois de mobilisation pacifique ne suffisent pas au système pour rendre le pouvoir au peuple. Il joue sur l’usure et le temps pour affaiblir le mouvement et faire passer de force sa feuille de route en organisant l’élection présidentielle le plus tôt possible malgré son rejet par le peuple. L’organisation des élections dans le contexte actuel est un prolongement de la crise et va maintenir le système en place.
Le maintien de Bensalah à la tête de l’Etat est anticonstitutionnel et la période de transition est inéluctable. Cette transition doit être gérée par des personnes honnêtes qui ne font pas partie de l’ancien système. Le pouvoir réel incarné par le chef d’état-major de l’armée n’a pas intérêt à perdre plus de temps, car rien ne pourra faire rentrer les Algériens chez eux sans la satisfaction de leurs revendications.
K. A.