Si on peut entretenir des doutes quant à la sortie d’Algérie qu’aurait faite Abdelaziz Bouteflika, l’absence de clarté de cette situation montre cependant qu’il ne fait actuellement plus partie de la vie politique algérienne.
Il y a un important problème de légitimité du gouvernement algérien. Le dernier exemple de cela est le supposé voyage qu’aurait fait le président. Malgré qu’Abdelmalek Sellal ait démenti un quelconque déplacement en Europe pour qu’il aille se faire soigner, de nombreux Algériens n’en sont toujours pas convaincus.
Cette situation est à sa face même antidémocratique. Le seul fait que la population algérienne n’a pas su pendant quelques jours où était son président est une preuve de la disparition de Bouteflika du monde politique. Le président qui doit être de par ses fonctions une personnalité publique ne l’est plus depuis déjà un certain temps.
Tout ce qui se passe en Algérie laisse donc croire que la santé de Bouteflika est telle que la population ne peut plus lui parler sans se rendre compte qu’elle n’est pas celle qu’un chef d’État devrait avoir. Si les problèmes de santé physique du président sont visibles sur chaque photo montrée au public, ses capacités intellectuelles et sa santé mentale sont plus difficiles à évaluer.
Avec toutes ces cachoteries du gouvernement, il y a présentement une très forte présomption que le président ne puisse plus soutenir une conversation normale. On peut maintenant ranger la santé d’Abdelaziz Bouteflika au rang d’une rumeur colportée par quelques membres du pouvoir algérien.
Cette situation remonte à la dernière fois que le chef de l’État a eu un contact public avec une personnalité crédible qu’il ne pouvait contrôler et qui a assuré de la santé mentale du président. Les fondements de cette présomption sont simples. S’il le pouvait, Bouteflika parlerait franchement avec ses alliés pour les garder en ses rangs. C’est là une chose tellement normale que le seul fait qu’elle ne se soit pas produite avec le groupe des 19 alliés pointe vers une anomalie.
De même, il y a une très forte présomption que l’accélération des visites de dirigeants étrangers en Algérie vient du fait qu’il est possible dans le monde diplomatique d’avoir des ententes pour ne pas faire mal paraître le chef du pays hôte. Que ce soit son Excellence l’Ambassadeur de la République bolivarienne du Venezuela, José de Jesús Sojo Reyes ou le premier ministre maltais, Joseph Muscat, aucun ne s’est exprimé en public sur la santé mentale de leur hôte après leur visite en Algérie.
Les politiciens ne mentent que quand ils en ont l’obligation et la majorité du temps se contente de dire quelques demi-vérités. Quand Sella affirme qu’il est en liaison avec le président tous les jours, il y a fort à parier qu’il dit la vérité. Il ne mentirait pas si le président, bien que conscient, ne peut s’exprimer que par bribe d’informations plus ou moins cohérentes dont il serait laissé à un très petit nombre de personnes le soin de décrypter ce qu’elles veulent dire.
Cette interprétation pourrait d’ailleurs varier en fonction de l’interlocuteur. Un autre mensonge caché dans ses propos pourrait venir du fait que tout le monde suppose que ses relations avec Bouteflika sont celles d’un subalterne à son supérieur. De semblables demi-vérités peuvent d’ailleurs être déduites de ses dires que l’Algérie n’est pas dans la situation de crise des années 1980 où le pays était endetté et n’avait presque plus de réserves.
Les trois ou quatre ans, au cours desquelles il affirme, qu’il faut absolument réussir le pari de la diversification économique sont en fait la durée des réserves financières du pays. Ce qu’il énonce est un constat et non une solution. Il n’a actuellement rien à proposer pour sauver l’Algérie de la faillite.
C’est toute cette situation que dénonçait la lettre des 19 alliés de Bouteflika. Elle montrait le virage à 180 ° dans les dernières décisions du président qui laissait poindre le renoncement à la souveraineté nationale, la déliquescence des institutions de l’État, la substitution d’un fonctionnement parallèle, la grave dégradation de la situation économique et sociale et l’abandon des cadres algériens livrés à l’arbitraire.
Le seul fait que des amis du régime aient utilisé la pression et des chantages contre certains des 19 signataires montre que cette lettre légaliste était inattaquable sur son fond puisque pointant des faits vérifiables et vécus quotidiennement actuellement en Algérie.
Le gouvernement change ses engagements et renie le mandat sur la base duquel il a été élu. Comme elle est publique, la lettre n’appartient plus aux signataires. C’est le refus du gouvernement d’accorder une chose aussi anodine qu’une audience qui la transforme en action populaire. Tout ce que fait le gouvernement pour contrer les signataires se retourne donc contre lui.
De tout cela, on peut déduire qu’en raison des importants changements dans l’environnement international, il n’y a plus aucun doute maintenant que l’Algérie va subir de profondes mutations politiques et économiques dans les prochains mois. Des facteurs externes à son contrôle incluant la valeur du baril de pétrole, le taux de change de sa monnaie et même la santé du président sont autant d’inconnus pouvant influer sur ce que sera ce pays en 2016. Ce que tente de cacher le gouvernement avec toutes ses demi-vérités, c’est qu’il ne dirige plus l’Algérie.
Michel Gourd