Accord russo-américain sur la syrie: Trois vérités d’une trêve

Accord russo-américain sur la syrie: Trois vérités d’une trêve

Les Américains et leurs alliés savent que désormais plus rien ne se fera sans les Russes dans le domaine de la lutte antiterroriste et dans la recherche d’une solution au Proche-Orient. Fini l’esprit de Madrid où Moscou jouait le figurant du deuxième rideau de la scène.

Entré en vigueur avant-hier au soir en Syrie, le cessez-le-feu négocié par Washington et Moscou a braqué les projecteurs de l’actualité mondiale et ce pour au moins trois principales raisons. La première est d’ordre humanitaire puisque cet accord mettra fin à cinq années de bain de sang dans ce pays. L’accord stipule d’abord un cessez-le-feu de 48 heures dans toutes les régions à l’exception de celles où les terroristes du groupe autoproclamé «Etat islamique» (EI/Daesh) et le Front Fateh al-Cham (ex-branche d’Al-Qaïda connue sous le nom du Front Al-Nosra) sont présents. Il préconise également un accès humanitaire sans entrave aux zones assiégées, comme Alep (nord), principal front du conflit. Il prévoit pour acheminer l’aide une «démilitarisation» de la route du Castello au nord d’Alep, unique axe de ravitaillement pour les rebelles avant sa prise en juillet par le régime. La seconde raison qui souligne l’importance de cette trêve est géostratégique puisqu’elle redessinera toute la carte politico-sécuritaire au Moyen-Orient et même dans le monde.

De quelle manière? Si le cessez-le-feu tient une semaine, Moscou et Washington commenceront de manière inédite des attaques conjointes contre l’EI/Daesh et Fateh al-Cham. En d’autres termes, ce sera le dernier quart d’heure de l’organisation Daesh qui, à partir de la Syrie, infeste la planète entière de terroristes. Avec une alliance scellée entre les deux plus grandes puissances militaires du monde, il n’y a aucune raison que cette organisation ne soit pas totalement éradiquée. Peut-on imaginer en effet, qu’une quelconque force militaire puisse survivre à la machine de guerre russo américaine?

D’ailleurs, sitôt la trêve conclue, les Américains annoncent la couleur: le Pentagone a confirmé avoir abattu Abou Mohammed al-Adnani, numéro deux de Daesh, chef de la propagande, recruteur et architecte des opérations extérieures (lire encadré). La troisième raison qui fait de cet accord une date charnière est que les Américains et leurs alliés savent que désormais plus rien ne se fera sans les Russes dans le domaine de la lutte antiterroriste et dans la recherche d’une solution au Proche-Orient. Fini l’esprit de Madrid où Moscou jouait le hallebardier du deuxième rideau de la scène. Mieux encore, les peuples de la région, ceux du Moyen-Orient en général voient en la Russie une puissance alternative. N’est-pas que c’est carrément la fin d’un monde unipolaire qui vient d’être signé en Syrie? La question s’est jouée entre Américains et Russes.

C’est ce qui expliquerait l’accueil plutôt froid réservé par les médias occidentaux à l’événement pourtant capital. Le scepticisme se lisait à longueur de colonnes, notamment de la presse française qui s’interroge sur les chances de succès de l’accord. Dans une tentative désespérée, l’opposition au régime syrien, appuyée, entre autres par la France, a fait une offre de paix à la veille de la rencontre entre les chefs de la diplomatie russe et américaine sur la Syrie. Le Haut Comité de l’opposition syrienne (HCN) a soumis un plan de transition politique dont certaines dispositions compromettent la possibilité de parvenir à un accord. Décliné en trois phases, le processus de transition s’étale sur six premiers mois. Il débutera par des négociations pour dégager un consensus avec comme nouveauté, le départ du président syrien Bachar el-Assad comme préalable à toute discussion n’est plus exigé.

La deuxième phase s’étendra sur 18 mois et considère le départ d’El Assad comme condition sine qua non pour la réussite de la transition politique. Sans contours précis, cette feuille de route s’est avérée totalement dépassée par la réalité politique sur le le terrain. Comme réplique, le président Bachar el-Assad a visité, le jour-même de la trêve, une localité récemment reprise par son armée. À cette occasion, le président syrien a déclaré que son projet était la reconquête de «toutes les régions» de Syrie. Un objectif pas tout à fait compatible avec une trêve sur le terrain. L’Iran et le Hezbollah libanais, les forces kurdes de Syrie (Forces démocratiques syriennes constituées autour des combattants kurdes des YPG), les Turcs, se sont tous engagés à observer la trêve. Des engagements qui ne font que renforcer la position de Bachar Al Assad devenu l’homme fort de Damas. On en vient enfin, à cet autre aspect de la question, à savoir, le conflit syrien s’est réglé sur la table des négociations, c’est-à-dire une solution politique. C’est exactement l’option défendue par l’Algérie depuis le début du conflit. «Nous pensons que la seule solution réaliste et possible au conflit est au bout du compte une solution politique», a avoué le secrétaire d’Etat américain John Kerry. Que de temps perdu, que de sang versé! Le conflit en Syrie a fait plus de 300.000 morts depuis son déclenchement en mars 2011. Près de 12 millions de Syriens ont fui la guerre, principalement à l’intérieur du pays et 4,7 millions d’entre eux sont partis à l’étranger. Sans compter que les structures de santé ont été anéanties, les écoles détruites et l’économie du pays est exsangue.