Ecofin Hebdo) – Le groupe bancaire panafricain Ecobank lance actuellement dans une campagne de communication internationale pour apporter sa version des faits, relativement aux révélations d’un de ses ex-employés, lanceur d’alerte. Ce dernier dit voir été éjecté de l’entreprise pour avoir soulevé le caractère inapproprié de certaines règles dans la présentation des résultats financiers du groupe. Chez ETI, on rejette en bloc cette idée de manipulation des résultats. Une enquête a été ouverte au Nigéria et les choses ne sont ni rouges, ni noires…
Depuis 4 années, Ecobank Transnational Incorporated, le groupe bancaire panafricain présent dans 34 pays africains, peine à sortir complètement des défis qui l’ont conduit à une transformation complète du modèle et à un renouvellement de son management. Le voici de nouveau sous les feux des projecteurs. Il est aujourd’hui avéré, que le Financial Reporting Council nigérian, l’entité en charge de surveiller l’authenticité des résultats publiés par les entreprises, a ouvert une enquête suite à des éléments apportés par un lanceur d’alerte qui a travaillé dans la banque.
Le groupe est accusé d’utiliser des taux de change inadaptés
Selon ce lanceur d’alerte, ETI qui, pour consolider les résultats de l’ensemble de ses filiales convertit leurs performances en dollars américains, trompe la vigilance de ses investisseurs, en jouant sur les taux de change. De l’avis de l’accusateur, la méthode de conversion par le groupe bancaire du revenu de ses activités en dollars viole les standards internationaux établis en la matière.
Altu Sadie, le lanceur d’alerte sud-africain.
Lorsqu’il est parvenu à la conclusion que les éléments de preuves accumulés étaient suffisants pour lancer l’alerte, Altu Sadie, qui était directeur financier pour les services digitaux, a tenu informé le top management d’Ecobank, comme le prévoient ses règles générales de gestion des lanceurs d’alerte. Mais ses analyses sur la surévaluation provoquée par l’utilisation d’un taux de change inapproprié dans les performances financières de la banque ont été rejetées.
Les premiers résultats financiers que cite le lanceur d’alerte, remontent à l’année 2016 au cours de laquelle Ecobank sortait d’une grave crise de gouvernance, doublée d’une perte record, en raison d’une accumulation importante (840 millions $) de créances douteuses qui ont plombé sa rentabilité. Il y avait alors un besoin de redonner du courage à ses investisseurs.
Ecobank rejette ces accusations de manipulations comptables
Le groupe a nié avoir commis une quelconque faute. « Conformément aux politiques du Groupe Ecobank, nous utilisons le cours officiel dans les pays dans lesquels nous opérons pour convertir le bilan et les comptes de résultats de nos filiales dans la devise de présentation du groupe, qui est le dollar américain. Ainsi, en exerçant le jugement autorisé dans le cadre de l’IAS 21, le Groupe utilise actuellement le cours officiel de la banque centrale du Nigéria », peut-on lire dans son communiqué.
A l’attention de ses actionnaires, il précise aussi, que contrairement à ce qui a été prétendu dans les faits soulevés par son ex-employé, il n’y a pas eu d’inexactitudes dans ses états financiers de l’année 2016, ni dans ceux de l’année close le 31 décembre 2017, ni dans les 3 rapports trimestriels publiés durant l’année 2018. « Nous souhaitons également faire remarquer que ces allégations ont été portées par un ancien employé qui poursuit actuellement le groupe en justice et réclame le paiement de 13 années de salaire dans le cadre d’une supposée rupture de contrat abusive », a ajouté le communiqué.
« Nous souhaitons également faire remarquer que ces allégations ont été portées par un ancien employé qui poursuit actuellement le groupe en justice et réclame le paiement de 13 années de salaire dans le cadre d’une supposée rupture de contrat abusive. »
Répondant spécifiquement à des questions de l’Agence Ecofin, un responsable du groupe a fait savoir, que l’utilisation du cours de la banque centrale est conforme à sa politique qui impose d’appliquer les cours officiels. Il est aussi vrai, que pour permettre des comparaisons et pour s’assurer que les utilisateurs des états financiers du groupe ne subissent aucun préjudice, les divers communiqués officiels sur les résultats, notamment ceux publiés sur le Nigerian Stock Exchange, donnent des précisions sur l’impact et les taux de change utilisés.
Mais des questions subsistent quand même
Les réponses apportées par le groupe sont logiques, mais ne sont pas exemptes de critiques. Déjà, la norme IAS 21 invoquée par l’institution financière, pour expliquer et légitimer le choix porté sur le taux de la banque centrale du Nigéria n’est pas claire et fait l’objet de nombreux arbitrages et interprétations. Une complexité qui vient s’ajouter au fait qu’à un moment le Nigéria s’est retrouvé lui-même avec trois taux de change officiels.
Si Ecobank a le droit d’utiliser le taux officiel de la banque centrale (qui était le plus bas donc le plus intéressant en terme de consolidation), il avait aussi l’obligation selon l’éthique comptable, d’expliquer pourquoi ce choix lui paraissait le plus indiqué.
Si Ecobank a le droit d’utiliser le taux officiel de la banque centrale (qui était le plus bas donc le plus intéressant en terme de consolidation), il avait aussi l’obligation selon l’éthique comptable, d’expliquer pourquoi ce choix lui paraissait le plus indiqué. Cette contrainte était d’autant plus importante, que le groupe compte dans son bilan, de nombreux emprunts et placements libellés en devise étrangères. Sans parler du fait que toutes les autres banques cotées sur le Nigeria Stock Exchange étaient déjà passées au NAFEX (Nigerian Autonomous Foreign Exchange Rate Fixing) depuis longtemps.
Sans parler du fait que toutes les autres banques cotées sur le Nigeria Stock Exchange étaient déjà passées au NAFEX (Nigerian Autonomous Foreign Exchange Rate Fixing) depuis longtemps.
Aussi, certaines données relevées dans les comptes de résultats successifs de 2016 et de 2017 semblent indiquer clairement qu’il y a eu comme une volonté de la banque d’optimiser les résultats. Sur les deux périodes, des notes de bas de pages, et même les communiqués de presse, semblent indiquer, qu’il y avait une conscience de ce que l’utilisation d’un des taux fixés par le marché, aurait négativement pesé sur le bénéfice net.
En 2016 et 2017, il était difficile d’appliquer un taux moyen sur la valeur du naira.
Dans la même logique l’IAS 21 apporte une précision aux conditions d’utilisation des taux moyens tels que le revendique ETI. Une d’elles veut que, s’il y a eu de grosses variations entre les taux de change à l’ouverture et à la clôture d’une transaction, le taux moyen ne peut être utilisé car il ne représenterait pas clairement la situation de change effective. Et même dans le reporting, une différence devrait s’établir entre les dépenses en devise à l’achat et les opérations effectuées à la vente, qui n’ont pas la même implication sur les réserves de change.
Or il est clairement avéré, que le taux de change des principales monnaies des pays les plus importants du groupe en terme de volume des opérations, ont fortement varié. En 2016 et 2017, il était difficile d’appliquer un taux moyen sur la valeur du naira, du cedi ghanéen ou même du Franc CFA, par rapport au dollar américain, sans risque de se tromper. Les écarts étaient assez considérables, selon une courbe de variation produite par le site spécialisé xe.com.
Des réponses qui soulèvent d’autres préoccupations
Ecobank a lui-même reconnu que l’environnement bancaire a évolué, lui imposant de changer sa politique d’application des taux de change. Pour 2018, elle convertira ses performances au Nigéria suivant le NAFEX, comme ses consoeurs. Mais les dirigeants n’ont rien dit sur les taux de change qui seront appliqués sur d’autres de ses marchés, notamment l’UEMOA et le Ghana, qui sont devenus ses principales sources de revenus et où les taux de change par rapport au dollar sont aussi sujets à fluctuation.
Ade Adeyemi, DG du groupe Ecobank doit faire face à de nouvelles accusations.
Aussi, le groupe parle de changements dans l’environnement bancaire, mais l’argumentaire est assez nouveau. Dans son communiqué de presse, pour ses performances de 2017, ses dirigeants ont pourtant reconnu, que la conversion de ses performances au taux réel du marché (NAFEX), avait permis doper ses revenus de frais et commissions. Il est donc difficile de comprendre, pourquoi ce taux est utilisé pour un segment précis de résultat et pas pour l’ensemble.
Il est donc difficile de comprendre, pourquoi ce taux est utilisé pour un segment précis de résultat et pas pour l’ensemble.
Le principal point de litige demeure celui de savoir pourquoi le groupe bancaire, sur les trois alternatives possibles, notamment au Nigéria, n’a jeté son choix que sur une option qui finalement lui aura permis de montrer l’image d’une banque dont les performances évoluent rapidement, alors que ce n’était pas exactement le cas. En effet, sur les trois années partant de 2015 à 2017, aussi bien le produit net bancaire du groupe ainsi que son bénéfice avant impôts se sont continuellement rétractés.