Yazid Alilat
La Justice tunisienne a envoyé au cours de ces 48 dernières heures, plusieurs commissions rogatoires, dont une en Algérie, dans le cadre d’une vaste enquête pour blanchiment d’argent menée contre les frères Karoui, dont l’un Nabil, propriétaire de la chaine TV Nessma’, est candidat à l’élection présidentielle de novembre prochain. En Tunisie, c’est la stupeur après que les deux frères, qui dominent le marché publicitaire local, et sponsorisent des actions de bienfaisance en direction des démunis, soient poursuivis par la justice et le pôle pénal économique et financier pour blanchiment d’argent. Lundi, le pôle judiciaire économique et financier tunisien avait décidé le gel des avoirs et une interdiction de quitter le territoire à l’encontre de Karoui Nabil et son frère Ghazi.
Des sources médiatiques tunisiennes indiquent que ces mesures de précaution avaient été prises, dès le 28 juin dernier, à l’encontre des deux frères, accusés de plusieurs délits financiers par les autorités judiciaires, en particulier des accusations de blanchiment d’argent. La Justice tunisienne a été déclenchée après une plainte lancée le 14 mars 2014 par l’ONG «I Watch» auprès du même pôle judiciaire contre les frères Karoui pour «suspicion de blanchiment d’argent» à travers des sociétés dont ils seraient propriétaires en Algérie, au Maroc et au Luxembourg. L’ONG tunisienne «I Watch», qui lutte pour la transparence et contre la corruption a appelé à l’ouverture d’une enquête visant les frères Karoui, sur la base de plus de 700 documents qu’elle a réunis concernant «des activités de blanchiment d’argent des frères Karoui en Tunisie, en Algérie, au Maroc et au Luxembourg».
Plus tard, la fuite d’enregistrements dont la voix semble celle de Nabil Karoui a fait scandale, car ce dernier y aurait exigé de riposter contre l’ONG par une campagne de dénigrement «qui souille ses membres, en les faisant passer pour des traîtres et des agents de l’étranger». Une plainte qui a amené le procureur de la République du pôle judiciaire économique et financier tunisien à ouvrir une enquête sur les frères Karoui, pour blanchiment d’argent. Des commissions rogatoires internationales ont été, en outre, envoyées aux Justices algérienne, marocaine et luxembourgeoise pour des enquêtes judiciaires sur les activités et les sociétés détenues ou dans lesquelles Nabil et Ghazi Karoui sont actionnaires. L’enquête est, également, menée sur leurs biens meubles et immeubles détenus à l’étranger. D’autre part, le procureur tunisien chargé du dossier a adressé une demande à la Banque centrale pour une enquête devant déterminer les circonstances dans lesquelles les frères Karoui ont pu faire sortir leur argent vers l’étranger.
Nabil Karoui, candidat à l’élection présidentielle pour le parti «Cœur de la Tunisie», après avoir soutenu celle de Béji Caïd Essebsi, en 2014, fait l’objet, avec son frère, d’une instruction judiciaire depuis 2017. Selon la BBC, le juge d’instruction a décidé, il y a 10 jours, d’inculper les deux frères pour blanchiment d’argent. «Après l’ouverture d’une enquête suite à la plainte déposée par -I-Watch- et après avoir convoqué et entendu, plusieurs fois, les deux hommes au pôle financier, le juge d’instruction a décidé, il y a 10 jours, d’inculper Nabil Karoui et Ghazi Karoui pour blanchiment d’argent», a indiqué à l’AFP le porte-parole du pôle judiciaire, Sofiane Sliti, selon lequel le juge a également décidé «le gel de leurs biens et de leurs fonds financiers et l’interdiction de voyager.» Il a également précisé que «des commissions rogatoires ont été émises afin d’enquêter sur les activités de leurs sociétés à l’étranger et les investigations sont toujours en cours», avant de souligner que «cette décision n’avait aucune motivation politique». Cependant, Nabil Karoui, nommé le 25 juin dernier à la tête du parti Cœur de Tunisie’ estime qu’il est victime d’agissements du chef de gouvernement.
Placé en tête des intentions de vote pour les prochaines élections par plusieurs sondages, Nabil Karoui se dit «victime» d’une campagne orchestrée par le chef du gouvernement. Après l’adoption de l’amendement de la loi électorale, il avait affirmé que «cette loi (…) a été créée sur mesure pour me porter atteinte, personnellement, mais cela ne m’atteint pas et n’arrêtera pas la dynamique de notre projet. Notre projet dépasse mon cadre personnel, et concerne des millions de Tunisiens (…) je leur promets que nous allons gagner», dans une attaque directe au chef du gouvernement, Youcef Chahed. Des amendements controversés du code électoral tunisien avaient été votés fin juin, qui visent à écarter plusieurs candidats, dont Nabil Karoui, n’ayant pas respecté ces derniers mois, les obligations faites aux partis politiques, notamment celle de ne pas octroyer «des avantages» aux électeurs.
Dans un communiqué, le parti qu’a créé récemment Nabil Karoui a déploré cette décision de la justice «à quelques jours du dépôt des candidatures aux élections législatives». Il s’agit, selon lui, d’une «tentative vaine visant à perturber le parti et son président et à remettre en cause la popularité toujours croissante de ce dernier». Mieux, Cœur de Tunisie’ a accusé le chef de gouvernement et le parti Ennahdha d’utiliser «de manière éhontée les institutions et moyens de l’Etat dans le but d’éliminer des adversaires politiques», appelant le Premier ministre à démissionner s’il compte se présenter aux prochaines élections. Prévues le 6 octobre prochain les élections législatives en Tunisie seront suivies par l’élection présidentielle, le 17 novembre.