Affaire de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi: Quel impact sur les réformes projetées par “MBS” ?

Affaire de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi: Quel impact sur les réformes projetées par “MBS” ?

Le royaume wahhabite est-il réformable ? La question a été débattue à Montréal lors d’une conférence organisée dans le cadre du Festival du monde arabe (FMA).

Le politologue Sami Aoun croit que l’assassinat du journaliste Khashoggi risque de compliquer les plans du prince héritier Mohamed Ben Salmane (MBS). C’est que pour le professeur de sciences po à l’université de Sherbrooke (Québec), le journaliste assassiné en Turquie, connu pour ses entrées à Washington, constituait une menace pour les ambitions de MBS, engagé dans une entreprise de séduction des réseaux américains pour asseoir son pouvoir. L’actuel souverain saoudite a bouleversé la tradition consensuelle de succession et de partage du pouvoir, en imposant contre toute attente son fils MBS comme héritier au trône, rappelle l’intervenant. Maîtrisant les rouages de l’État, le prince héritier a voulu frapper les esprits, en imposant son style de gouvernance, calqué sur l’autoritarisme absolu. C’est dans ce cadre que s’inscrit la campagne d’arrestation de dignitaires saoudiens, dont le but était le renforcement du pouvoir personnel. “Le retour récemment de Ahmed Ben Abdelaziz, frère du roi, à Riyad, pourrait se comprendre comme une volonté d’aspirer au trône. Ce qui peut aiguiser la guerre des clans”, observe Aoun.

Celui-ci ne manquera pas de relever le double jeu du président américain Donald Trump alternant manœuvre et manipulation. “MBS a fait tomber son pays dans une impasse, peut-être pas existentielle. Il a commis un meurtre ignoble”, souligne le conférencier. Pour sa part, l’universitaire Samir Saul a tenté d’expliciter le sens des réformes économiques que veut se donner Riyad. La chute des prix du pétrole fin 2014 a entraîné le pays dans des turbulences socioéconomiques : un déficit abyssal pour un pays qui n’est pas habitué aux déficits, un emprunt de plus de 100 milliards de dollars, un chômage endémique qui avoisine les 30% de la population active dont la moitié a moins de 30 ans, des restrictions budgétaires dans les services sociaux, etc. Ce tableau sombre laisse voir un avenir compromis dans une conjoncture charnière pour le royaume.

D’où la résolution prise dans le cadre du Plan 2030, élaboré par un think tank américain (Mackenzie), de diversifier l’économie saoudienne à coup de réformes structurelles, indique M. Saul, non sans s’interroger si une économie rentière est à ce point réformable. C’est que, estime l’universitaire, on ne peut pas réformer l’économie sans transformations sociales radicales, lesquelles vont ensuite impliquer un changement politique. Or, le système politique bâti depuis 1932 est basé sur l’idéologie wahhabite prégnante ; il n’y a pas d’institutions représentatives, ni de séparation des pouvoirs, ni de partis politiques, ni de lois codifiées. “Je crois qu’il ne peut pas y avoir de réformes économiques, sans transformations sociales et changement politique”, tranche-t-il. L’ambition géopolitique de l’Arabie Saoudite est très coûteuse. Elle est assise sur la diplomatie du chéquier, se désole Samir Saul. Riyad recourt aussi à la force, comme c’est le cas avec la “sale guerre” au Yémen. Outre son interventionnisme international sous le parapluie américain, l’Arabie Saoudite exporte pétrodollars et wahhabisme, conclut Sami Aoun, comme pour souligner l’impossible projet de MBS : réformes économiques, sans changement de système politique.

De Montréal : Yahia Arkat