Affaire des porteurs du drapeau amazigh : Sidi M’hamed, tribunal d’exception ?

Affaire des porteurs du drapeau amazigh : Sidi M’hamed, tribunal d’exception ?

Se peut-il qu’au temps du Hirak, le tribunal de Sidi M’hamed puisse représenter un enjeu et une symbolique dont nous ne saisissons pas la portée ? Sinon comment expliquer la constance de cette institution judiciaire à punir avec sévérité les porteurs d’opinion et du drapeau amazigh ?

L’unique fois où le tribunal de Sidi M’hamed a dérogé à la règle de la «punition systématique», soit en envoyant les prévenus en mandat de dépôt, soit en condamnant les prévenus à des peines de prison, c’était lors de la comparution de la jeune Sabrina Malek, jugée pour port d’emblème amazigh. Cela s’est passé le 2 septembre 2019 et avait ouvert la voie à tous les espoirs à propos de mesures d’apaisement à l’égard des détenus d’opinion.
Après les décisions des tribunaux d’Annaba, de Mostaganem, de Chlef et de Jijel en faveur de mesures d’acquittement ou de sursis à l’égard des porteurs de drapeaux, il semblait tout naturel que le tribunal de Sidi M’hamed leur emboîte le pas, non pas en allant à contre-sens de la directive du chef d’Etat-major et vice-ministre de la Défense, Gaïd Salah, mais dans le respect stricto sensu de la loi. Des lois de la République.
L’espoir n’arriva point et le miracle ne se produisit pas. Sidi M’hamed continuant à châtier démesurément les porteurs de drapeaux. En amont et en aval. En audition et en jugement. La mise sous mandat de dépôt, au lendemain du Hirak du 1er novembre, de quatre porteurs de drapeaux amazigh dont l’activiste Raouf Raïs, et la mise sous contrôle judiciaire de cinq autres, est un autre cas d’incompréhension (ou d’incompétence ?) et jette l’opprobre sur un tribunal dont la réputation se ternit de jour en jour, en particulier depuis l’affaire Tabbou, remis en liberté sous contrôle judiciaire par le tribunal de Koléa, territorialement compétent, puis arrêté à nouveau et redirigé vers Sidi M’hamed pour s’y voir prononcer un mandat de dépôt à El Harrach.

Ces décisions qui sèment le doute
La décision, hier, du tribunal de Bab El Oued de prononcer la relaxe à l’égard de cinq porteurs de drapeaux amazighs, alors que la veille et l’avant-veille, le tribunal de Sidi M’hamed a condamné pour la même accusation, à des peines d’emprisonnement et des amendes, vingt-sept prévenus, pose désormais un sérieux problème de dualité dans la décision de justice et de l’utilité, ou pas, d’un code pénal… Juge-t-on selon les dispositions de la loi, l’humeur du juge, les injonctions ?
Le dernier mouvement de protestation des magistrats s’il a, le temps d’une contestation, posé avec acuité la question lancinante de l’indépendance de la justice, n’en a pas moins démontré les limites de l’engagement de la corporation dans ce combat «libérateur », après son retour dans les rangs…
L’acquittement des cinq jeunes porteurs de drapeaux amazighs : Ali ider, Ali Okbi, Kamel Lekehal, Hamza Karoun et Mohand Boudjemil est-elle le fait d’une volonté du juge du tribunal de Bab El Oued d’appliquer la loi ou obéit-elle à une démarche consistant à souffler le chaud et le froid dans cette affaire du drapeau amazigh ? Les supputations vont bon train. Pour certains, le téléphone a encore sonné, pour d’autres, il s’agirait d’un juge réfractaire aux derniers accords du SNM (Syndicat national des magistrats) avec la chancellerie. Pour d’autres encore, qu’il a juste appliqué la loi… D’aucuns pensent même qu’il ferait l’objet d’une mutation dans les jours à venir. Les rumeurs vont bon train.
Quoiqu’il en soit et depuis hier, cinq jeunes goûtent à leur liberté retrouvée. L’inattendu verdict de Baïnem a fait pleurer familles et avocats, persuadés que le cours des événements s’acheminait vers la réédition du verdict Sidi M’hamedien de la veille.
Cinq jeunes Algériens, réhabilités dans leurs droits de citoyens à part entière, ont dormi hier et dormiront les jours suivants au sein de leurs familles, pour la première fois depuis des mois. A leur sortie de prison, plus tôt que prévue, certainement pour éviter un plus grand attroupement, l’emblème amazigh a été brandi à nouveau. Peut-être très vite, le temps d’une photo, mais il l’a été tout de même.
Ce verdict d’acquittement, qualifié d’historique par certains, parce qu’il intervient dans l’aire de compétence de la Cour d’Alger, dont fait partie le tribunal de Sidi M’hamed, pose désormais et avec acuité la question du sort des détenus d’El Harrach et de la façon controversée qu’a le tribunal de Sidi M’hamed de rendre la justice…
Autre question, l’acquittement de ces cinq prévenus signifie qu’il n’y a pas de délit de port de drapeau amazigh et d’atteinte à l’emblème national. Demain, vendredi, 39e Hirak de la contestation populaire, le drapeau amazigh sera certainement brandi et avec force, comme il l’a été ces deux derniers vendredis. Les porteurs risquent-ils d’être à nouveau arrêtés ? Si oui, seront-ils présentés devant le procureur de Sidi M’hamed ? Mandat de dépôt ou relaxe ?
Les décisions à venir, en rapport avec le Hirak et la liberté d’opinion, qui émaneront de Sidi M’hamed en feront soit un tribunal d’exception, soit un palais de justice…

ZOHEIR ABERKANE