L’ex-ministre de l’Énergie et des Mines, Chakib Khelil, qui, à l’éclatement du scandale de la Sonatrach, déclarait n’être au courant de rien et qu’il avait lu l’information dans les journaux comme le commun des Algériens, savait en vérité tout du scabreux qui entourait les marchés de la télésurveillance du groupe.
Le directeur de la sécurité intérieure de l’entreprise (SIE), M. Guerrar, l’en a, en effet, informé dans un courrier classé confidentiel en date du 13 décembre 2009.
Sofiane Aït-Iflis – Alger (Le Soir) – Le courrier confidentiel transmis à Chakib Khelil portait pour objet un état récapitulatif du dossier télésurveillance du groupe Sonatrach. Tout un dossier, donc.
Dans la lettre précisant l’objet du courrier (voir fac-similé), M. Guerrar écrivait à l’intention du ministre de l’Énergie et des Mines : «J’ai l’honneur de vous transmettre ci-joint un état qui reprend l’historique du dossier télésurveillance du groupe Sonatrach en vous informant qu’il fait l’objet actuellement d’investigation par les services de sécurité (DRS)».
L’esquive de Chakib Khelil, voire le mensonge auquel il s’est résolu au moment où la presse l’interpellait sur le scandale Sonatrach pour avoir rétorqué qu’il n’était pas au courant, n’a pas résisté longtemps à l’épreuve implacable du temps. Non seulement, atteste le document en notre possession, il était au parfum d’un dossier dit de télésurveillance du groupe Sonatrach mais il était informé aussi que le DRS y menait des investigations.
Pas que cela, dans sa lettre portant objet du courrier qu’il lui a transmis, M. Guerrar a informé Khelil qu’il lui a transmis également «la dernière situation concernant l’état d’avancement des projets de télésurveillance que nous adressons mensuellement au BMSIE et qui a fait l’objet d’une réunion du CER de Sonatrach en date du 10/11/2009 avec comme ordre du jour l’examen du projet lQS de l’activité aval et les retards enregistrés par certains projets des activités amont et TRC».
Les termes de cette lettre laissent déduire que Chakib Khelil était tenu informé, quoiqu’il s’en soit défendu publiquement, des moindres détails liés aux activités du groupe Sonatrach. Que l’on en juge par cette information avec laquelle enchaîne M. Guerrar : «Pour ce qui est du premier point, la seconde consultation pour le projet LQS après la résiliation du contrat avec le fournisseur RPS», avait révélé en effet que l’offre du fournisseur «SNEF» était quatre fois moins chère que celles des deux autres soumissionnaires «Contel- Funkwerk» et «Cegelec».
C’est la troisième fois que ce type de cas est enregistré après la consultation relative au projet «4e lot de l’Amont ainsi que celle des projets GPDF et GEM de TRC. Tout comme ces deux cas, le dossier LQS a donc fait l’objet d’un examen par un groupe de travail qui lui a consacré plusieurs réunions avec les trois fournisseurs et qui a rendu un rapport dont je vous transmets ci-joint une copie».
On le voit bien, Chakib Khelil est plus que bien informé de ce qui se passait à la Sonatrach. Notons juste que Contel-Funkwerk Plettac, société spécialisée dans la télésurveillance a à voir avec l’ex-PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane, puisqu’un de ses deux fils aujourd’hui sous mandat de dépôt, Réda Meziane, y officiait en tant que directeur de projet. Cette société avait raflé un marché de 142 millions d’euros.
Ceci dit, le directeur de la sécurité intérieure de l’entreprise Sonatrach, a également informé Chakib Khelil de ce que «les retards, malgré des avenants sur des délais supplémentaires allant jusqu’à 10 mois, certains projets continuent d’enregistrer des avancements insignifiants et l’application des pénalités de retard reste suspendue à la détermination des responsabilités que les activités n’arrivent pas à afficher clairement».
Chakib Khelil a accusé réception de ce courrier et, en retour, le lendemain, soit le 12 décembre 2009, il a consigné cette annotation qu’il a souligné confidentielle : «Faites une enquête sur ce qui se passe sur ces équipements de télésurveillance et me rendre compte.»
Les cités dans le scandale impliquent Khelil
Les langues se délient, à présent que Chakib Khelil ne manœuvre plus le gouvernail du névralgique secteur de l’énergie. Le magistrat instructeur au niveau du pôle judiciaire du tribunal de Sidi M’hamed ne s’attendait certainement pas à entendre les mis en cause dans la scabreuse affaire Sonatrach, Mohamed Meziane notamment, établir la responsabilité engagée de l’ex-ministre Chakib Khelil.
Jusque-là, la chronique relative au scandale évoquait la responsabilité politique du ministre, en ce sens qu’il était le premier responsable du secteur. Mais depuis la semaine passée, après l’audition de confrontation entre les mis en cause dans le scandale, le juge instructeur voit son dossier enrichi de notables éléments nouveaux : Chakib Khelil, qui déclarait au moment de l’éclatement du scandale n’être au courant de rien, est cité comme étant l’ordonnateur des passations des marchés objets d’enquêtes du DRS et d’instruction au niveau de la justice.
Principal accusé dans la scabreuse affaire Sonatrach, Mohamed Meziane, ex-PDG mis sous contrôle judiciaire, aurait attesté devant le juge instructeur avoir agi sur ordre du ministre. Meziane se serait défendu en affirmant que Chakib Khelil avait émis des instructions strictes s’agissant de la sécurisation des sites pétroliers.
Autrement dit, c’est sur la base de ses instructions qu’il a agi et adopté la démarche de gré à gré dans la passation des marchés. L’ex-ministre de l’Énergie et des Mines aurait, via un décret, la directive R15, soustrait les transactions du groupe Sonatrach à l’obligation de l’avis public. Cela évidemment est en contradiction avec le code des marchés publics.
Par ailleurs, le juge instructeur se retrouve, après l’audition, en possession d’une autre information de taille, laquelle implique si ouvertement Khelil dans l’affaire relative à la réfection du siège de la Sonatrach sis à Ghermoul, à Alger.
Le projet, rappelons- le, a été gelé un jour après la conclusion du marché, contrat de rénovation, avec l’entreprise américaine CCIC. Un gel énigmatique, pour le moins que l’on puisse dire. Selon Mohamed Meziane, le gel aurait été ordonné par le responsable de la sécurité au niveau du ministère de l’Énergie et des Mines. En revanche, le président de la commission des marchés au niveau de la Sonatrach, mis en cause également dans l’affaire Sonatrach et auditionné par le juge instructeur, a soutenu que le gel du projet aurait été ordonné par l’exministre lui-même.
A en croire le président de la commission, Khelil aurait décidé du gel et demandé de renégocier la révision du contrat à la baisse. Khelil aurait demandé de renégocier une baisse de 10 % du montant du marché qui était de 100 millions de dollars. Cette renégociation était contraire à la réglementation en vigueur. Dans un cas, comme dans l’autre, la responsabilité du ministère, et donc de Khelil, serait engagée.
Ce gel est antiréglementaire. Comme au demeurant la passation du marché. Car, la démarche a été faussée dès le départ avec l’exclusion au motif qu’il fallait chercher l’entreprise soumissionnaire CCG. Avec la mise à l’écart de cette dernière, il ne restait que deux entreprises concurrentes, CCIC et une autre. Le code des marchés publics rend caduque toute passation de marché s’il n’est enregistré au moins trois soumissionnaires.
Accablé, Chakib Khelil l’est assurément, puisque le vice-président-directeur général de la Sonatrach chargé de la direction commerciale a affirmé avoir informé Mohamed Meziane de ce qui se passait.
Ce qu’a corroboré Mohamed Meziane en avouant à son tour avoir informé Chakib Khelil de tout ce qui se passait à la Sonatrach. Pour un Khelil qui affirmait ne rien savoir, il en savait visiblement tout. Le juge instructeur dispose d’assez d’éléments pour entendre Khelil. Va-t-il le faire ? C’est la question qui se pose.
S. A. I.