Affaire Tamazirt : quand les minoteries de l’Etat se vendaient au kilo

Affaire Tamazirt : quand les minoteries de l’Etat se vendaient au kilo

Au tribunal de Sidi M’Hamed, dans la capitale Alger, s’est tenu aujourd’hui le procès de l’ex-ministre de l’Industrie, Djamila Tamazirt. Accusée de corruption, l’ancienne responsable risque 10 ans de prison.

Un des scandales dans lesquels est mouillée Djamila Tamazirt est celui du complexe agroalimentaire de Corso relevant du groupe Eriad. La minoterie ayant employé pendant 32 ans des Algériens a été, dans un laps de temps très court, démontée et sa ferraille vendue et bradée, au kilo.

Le groupe Eriad, dont Tamazirt était la directrice, et ce, dans le cadre de la politique de privatisation des entreprises publiques, a conclu un accord de gré à gré avec le Groupe Benamor sous un caractère urgent. Les choses se sont faites très vite, et de manière injustifiée.

Contrairement à la règlementation en vigueur concernant la gestion et la privatisation des entreprises publiques, un appel d’offre n’a pas été lancé au préalable. Djamila Tamazirt a confié aujourd’hui, devant le juge, que le seul investisseur qui s’est rapproché était le Groupe Benamor et qu’elle avait elle-même accompagné le propriétaire lors de sa visite de terrain.

Il est à noter que le séisme de Boumerdes, en 2003 a fortement endommagé le complexe de Corso. En avril 2006, le Conseil des Participations de l’État (CPE) avait décidé la dissolution de ce complexe, le licenciement de ses travailleurs en échange d’une indemnisation, et son enregistrement dans le cadre de la privatisation.

Il fallait évacuer les lieux pour le Groupe Benamor

Devant le juge, l’ancienne ministre de l’Industrie explique que la liste de la « CETIC » de la wilaya de Boumerdes a procédé à l’évaluation des équipements et du patrimoine du complexe Corso et a préparé son rapport au cours du mois de décembre 2012. Concernant la validité de l’équipement, Djamila Tamazirt indique que c’est l’institution « ENAC » qui a été mandatée pour superviser l’expertise. Cette dernière a été complétée et déposée le 3 février 2013.

Le juge interroge la mise en cause, « pourquoi n’a-t-on pas tenté de remettre le matériel en état de marche ? ». À cela Tamazirt répond « qu’elle devait, en tant que directrice du complexe Eriad, exécuter la liste délivrée par le Conseil des Participations de l’État (CPE) qui stipulait qu’il fallait procéder à l’évacuation des lieux afin de permettre au partenaire Benamor d’installer son propre matériel ». « C’est pour cette raison, ajoute l’ex-ministre, qu’un comité interne a été créé pour inspecter le matériel avant d’évacuer les lieux ».

Tamazirt précise que « le rapport du comité qui s’est déplacé pour inspecter l’équipement a conclu que la minoterie de la semoule et l’unité de fabrication des pâtes n’étaient pas opérationnels ». Elle ajoute que le rapport du comité a insisté sur « la nécessité de mener une expertise à cet égard conformément aux dispositions en vigueur ».

Le matériel a-t-il été bradé ?

« Les membres du comité ont-ils eu connaissance qu’un rapport d’expertise a déjà été réalisé par l’institution « ENACT ?» », s’interroge le juge. L’ex-ministre de l’Industrie répond que « non, nous n’avons pas montré le rapport délivré par l’ENACT afin de ne pas influencer le travail du comité interne ». Le juge s’exclame et avoue ne pas comprendre pourquoi un comité interne a été mis en place 10 jours après qu’un rapport ait déjà été délivré sur la question de la validité ou pas du matériel.

Le juge rappelle que deux rapports ont été délivrés par l’ENACT, le premier contenant 20 pages et l’autre 17, après avoir supprimé trois pages de l’estimation financière. Tamazirt réplique qu’elle « n’a jamais entendu parler d’un rapport de 20 pages sauf lors de l’enquête ». Suite à cela, le procureur demande à la mise en cause de lui donner la valeur du matériel. Tamazirt répond que c’est « 120 millions et qu’il s’agit d’une plus-value ».

C’est le procureur qui va se pencher ensuite sur l’état du matériel, et demander à l’accusée si les membres du comité étaient habilités à savoir si le matériel pourrait refonctionner ou pas. À cela, Tamazirt répond que « le comité s’est basé dans son expertise sur l’estimation de la valeur du matériel ». Tamazirt indique enfin que « c’est la CETIC qui a estimé le matériel ».

« L’évaluation initiale établie en 2012 affichait 116 millions de dinars, et avant cela, en 2011, un rapport a estimé le matériel à 78 millions de dinars, mais au moment de la vente, vous vous êtes appuyés sur un rapport qui estimait le matériel à 34 millions de dinars. Pourquoi ? », questionne le procureur. « Nous nous sommes appuyés sur le rapport de référence, car c’est le plus proche de l’état réel des équipements qui étaient à l’arrêt depuis plus de 10 ans », réplique Tamazirt.

Tamazirt risque gros

Outre les accusation portant sur dilapidation de deniers publics, abus de fonction pour obtention d’indus privilèges et octroi d’indus avantages lorsqu’elle était directrice du complexe agroalimentaire de Corso relevant du groupe Eriad entre 2009 et 2015, elle est également accusée fausse déclaration de patrimoine.

L’ex-ministre risque 10 ans de prison. Alors qu’elle a déclaré qu’elle ne possédait que 5 comptes bancaires, l’enquête a révélé qu’elle en avait 12. Lors du procès, Djamila Tamazirt a soutenu que cela est totalement faux, et qu’elle ne possède que 5 comptes bancaires. « C’est faux votre Honneur, et avec tous mes respects au juge d’instruction, c’est sans fondement, je n’ai en fait que 5 comptes bancaires », a lancé la mise en cause.