Devant la gendarmerie, comme devant le juge, le principal accusé n’a pas cessé de marteler qu’il n’avait aucune relation avec la drogue dure interceptée.
Le juge d’instruction du pôle spécialisé relevant du tribunal de Sidi M’hamed a auditionné, hier, Kamel Chikhi surnommé le “boucher” sur les affaires des 701 kg de cocaïne et de blanchiment de l’argent. C’est la deuxième comparution de l’homme d’affaires et promoteur immobilier devant la justice dans le cadre de ces deux dossiers actuellement en phase d’investigations judiciaires. La première audition, qui s’est déroulée dans le cadre de l’enquête préliminaire, remonte à début juin, à l’issue de laquelle Kamel Chikhi ainsi que deux de ses frères, l’un de ses associés et le directeur commercial de l’entreprise Dounia Meat, ont été placés sous mandat de dépôt. Le magistrat en charge de ce dossier peut encore convoquer l’accusé plusieurs fois, au fur à mesure de la réception des conclusions des expertises judiciaires sur la provenance de l’argent investi dans les promotions immobilières, les sociétés d’importation de viande du Brésil, ainsi que l’achat de nombreux biens en Algérie et à l’étranger, a-t-on appris de bonne source. Avec le début des auditions de fond, l’instruction concernant le dossier de saisie des 701 kg de cocaïne avance d’un pas, en attendant le retour des commissions rogatoires délivrées au Brésil, en Espagne et aux Émirats arabes unis. Les avocats de Kamel Chikhi et de son associé Messouad Nadjib ont rencontré la semaine dernière le juge d’instruction en charge de l’affaire pour justement s’enquérir de l’état d’avancement de ces commissions rogatoires. “Le cheminement de ce genre de procédures est très long. Le juge d’instruction en charge de l’affaire en Algérie transmet la requête au ministère de la Justice qui, lui, passe par le canal des Affaires étrangères. Dans le pays destinataire de la demande de commission rogatoire, le même cheminement est suivi. Par la suite, les conclusions des enquêtes à l’étranger doivent être traduites en arabe avant d’atterrir sur le bureau du juge d’instruction algérien”, explique un membre du collectif de défense.
“Viol du droit maritime”
Devant la gendarmerie, comme devant le juge, le principal accusé n’a pas cessé de marteler qu’il n’avait aucune relation avec la drogue dure interceptée. Il a soutenu que sa cargaison a été utilisée à son insu.
Le “MSC Amalfi”, le cargo qui a transporté la viande importée par la société Dounia Meat, a déchargé la marchandise au port de Valence, en raison, principalement, de son gabarit qui ne lui permettait pas d’accoster au port d’Oran. C’est là que les conteneurs ont été passés au scanner, puis ouverts en l’absence du représentant de la société brésilienne qui a fourni la viande, de la société MSC qui a assuré le transport et du capitaine de bord. “C’est une violation flagrante du droit maritime international qui fait obligation de la présence de ces personnes lors de l’ouverture des conteneurs et du changement de scellés”, clame la défense de Chikhi. Une fois la marchandise fouillée, elle a été réembarquée sur un bateau plus petit, le “Vega Mercury”, à destination d’Oran. Comment les autorités espagnoles ont-elles eu vent de la présence de la cocaïne dans les conteneurs de viande ? Pourquoi les conteneurs ont été ouverts en l’absence de l’armateur et du représentant du fournisseur de la viande ? C’est à ces deux questions principalement que doit répondre la commission rogatoire dépêchée en Espagne. La justice algérienne devra aussi, souhaite la défense, approfondir l’enquête autour des pièces à conviction saisies par les services de sécurité sur le “Vega Mercury” en même temps que la cocaïne, en l’occurrence les GPS, les lampes, les sacs imperméables, les batteries et les cordes. En août dernier, le magistrat instructeur près de la 9e chambre du pôle pénal spécialisé d’Alger a mené les auditions de fond dans le chapitre de l’affaire relative aux relations que le promoteur immobilier et importateur de viande entretenait avec certains fonctionnaires de l’État. Ces auditions se sont poursuivies tout l’été, afin de respecter le délai de quatre mois, prévu par le code de procédure pénale pour boucler l’instruction. Le magistrat a convoqué individuellement le procureur du tribunal de Boudouaou et son adjoint, le fils de l’ex-Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, le chauffeur personnel de l’ex-patron de la police nationale, Abdelghani Hamel, l’ancien président de l’APC de Ben Aknoun et le fils de l’ancien wali de Relizane. Kamel Chikhi a reconnu qu’il avait prêté au procureur de Boudouaou et à son adjoint respectivement 80 à 90 millions de centimes pour le premier et 100 millions de centimes pour le second. “Des sommes que les deux magistrats ont remboursées”, certifie “le boucher”. Il a ajouté qu’il entretenait des liens d’amitié avec les deux mis en cause depuis cinq ans, lorsqu’ils l’avaient sollicité pour l’acquisition de deux appartements. Chikhi a également minimisé l’implication du chauffeur personnel de l’ancien DG de la Sûreté nationale en soutenant qu’il ne lui avait jamais demandé gratuitement des quotas de viande pour certains responsables ni le faisait passer par le salon d’honneur de l’aéroport. En revanche, il a reconnu avoir chargé le fils de l’ex-wali de Relizane de mener les démarches en vue de l’obtention d’un permis de construire pour une tour de 15 étages à Ben Aknoun, en contrepartie de 4 milliards de centimes.
Nissa Hammadi