Près de deux semaines après l’affaissement de la route au niveau de la Rocade sud d’Alger reliant Zéralda à Dar El-Beida, les traumatismes et autres stigmates psychologiques n’ont pas totalement disparu de l’esprit des victimes. Il faut reconnaître tout de même que surmonter cette dure épreuve est loin d’être une sinécure.
«C’était l’enfer», a tout simplement résumé le jeune Kamel qui a eu droit à la visite d’un psychologue de la Protection civile, une initiative plus que louable prise par le DGPC, le colonel El Habiri dans l’objectif d’assister les 12 blessés de cette catastrophe sur le plan psychologique, parmi lesquels figurent six femmes et un bébé tandis qu’une seule personne reste encore hospitalisée.
«C’est une mission importante qui vous attend lorsqu’on sait les dangers qui guettent toute personne choquée ou traumatisée n’ayant pu se remettre de ses émotions après de tels incidents. D’où l’intérêt du suivi psychologique», a expliqué le sous-directeur de l’action sociale au niveau de la DGPC, le colonel Brouri, lors d’un ultime briefing des psychologues qui s’apprêtaient à se rendre, chacun de son côté, aux domiciles des victimes de ce que les Algérois appellent la «Hofra» de Ben Aknoun.
Notre première destination est Hydra où nous attend Kamel au domicile parental, lui réside à Dely Ibrahim. Il ne se trouvait pas seul à bord de son Peugeot Partner en cette funeste soirée du 18 novembre, soit cinq jours après avoir soufflé sa 29e bougie. «J’étais avec mon épouse et notre fille, âgée de 4 mois seulement.
Nous étions en route chez mes parents pour leur rendre visite lorsqu’en une fraction de seconde, nous nous sommes retrouvés engloutis sous terre. Notre voiture était la deuxième qui a chuté. Je me suis dit ça y est, c’est ici que notre vie va s’arrêter. Je ne pensais qu’à ma femme et ma petite fille. Je me suis battu pour ouvrir de force la porte, j’ai pris d’abord ma fille et je l’ai remise à des gens qui sont venus nous porter secours dès les premiers instants du drame.
Ce n’était pas facile surtout que le risque d’être enterrés par d’autres véhicules était réel dans ce fossé d’une profondeur de 10 mètres et d’une largeur de 20 mètres. C’était une course contre la montre», s’efforce le jeune homme à raconter son calvaire. Son épouse soupire et avoue que son seul souci à cet instant était son bébé, dans un décor où se côtoyaient obscurité et poussière.
« Mon seul souci était de retrouver mon bébé dans l’obscurité et la poussière »
«Elle était dans mes bras mais après la chute, la pauvre a été projetée vers le tableau de bord», a-t-elle confié, marquée autant que son époux par ce drame. Chose qui n’a pas échappé au psychologue de la Protection civile qui expliquera au couple les signes du PTSD, les troubles de stress post-traumatique, qui apparaissent dans ce genre de situation, histoire de les rassurer.
«Sachez qu’il est tout à fait normal que les jours qui suivent une catastrophe d’une telle ampleur soient difficiles et qu’ils soient caractérisés par des troubles, tels l’anxiété, les insomnies, le stress ou encore les cauchemars», les rassurés El Hadi Abdelhadi.
«C’est vrai, à ce jour, je fais encore des cauchemars», a reconnu la jeune maman qui cependant ne peut que remercier Dieu jour et nuit pour s’en être tirés elle et sa famille, à si bon compte de cet accident, excepté quelques bobos sans gravité.
«Ma fille a légèrement été touchée au nez. Elle pleurait beaucoup durant les deux premiers jours, sans doute cela lui faisait un peu mal mais aujourd’hui, El Hamdoullah, elle va bien», confie Kamel qui s’en sort lui des lésions au bassin nécessitant une incapacité de 30 jours avant de révéler qu’il est devenu très pointilleux sur certaines choses, conséquences, selon lui, du drame de Ben Aknoun. «Par exemple, lorsqu’il commence à pleuvoir, c’est désormais la panique.
J’inspecte la maison en long et en large pour éviter toute infiltration d’eau alors qu’auparavant, je ne faisais pas ce genre de choses. C’est dire que maintenant, j’appréhende tout quand surtout lorsque je pense à ce qui nous est arrivé», a-t-il affirmé, avouant que depuis la catastrophe, il éprouve une peur bleue quand il passe à côté de l’endroit «maudit».
« C’est avec la peur au ventre que je passe par cet endroit »
«Je m’écarte le maximum à droite et je ralentis pour passer doucement», a-t-il avoué. Le psychologue de la Protection civile revient à la charge et veut savoir si le couple a senti une évolution par rapport aux premiers jours de la catastrophe. «Attention, si les symptômes que j’ai relevés durent dans le temps, la situation risque de se développer dans un mauvais sens et là, il est plus que vital que vous suiviez régulièrement un psychologue», les a-t-il mis en garde.
Mais il sera vite rassuré par les Hemici. «C’est vrai que parfois, nous éprouvons des difficultés à avoir le sommeil, que des clichés défilent devant yeux mais globalement, nous sentons une amélioration chaque jour qui passe.
Ça n’a rien à voir avec les premiers jours qui ont suivi la catastrophe. Nous sommes musulmans et nous devons accepter notre destin », ont-ils répliqué. Pour le psychologue Abdelhadi qui exerce depuis six ans à la direction de la Protection civile de Blida, il est essentiel d’évacuer la peur et le stress qui se manifestent juste après un traumatisme.
«Le PTSD est une chose normale mais cela ne doit cependant pas dépasser un certaine période au risque de voir la situation du sujet prendre une autre tournure», explique-t-il. D’une simple anxiété, la victime peut être obsédée par des choses avant de développer des phobies pour aboutir à la fin sur une dépression nerveuse et de passer d’une situation de conscient à l’inconscient. «Ça devient au final incontrôlable», alerte le psychologue de la PC.
En Algérie, il y a eu beaucoup des cas où les victimes des catastrophes n’ont malheureusement pas bénéficié d’une prise en charge psychologique efficiente et les spécialistes déplorent l’absence de plans de travail dans ce sens. «Face aux blessures physiques, il y a toujours des blessés psychiques. On doit accorder plus d’importance à ce volet de la prise en charge psychologique», a souhaité Abdelhadi qui rappelle que l’intervention psychologique première doit être assurée immédiatement après le sinistre.
La seconde dure entre 24 heures et 8 jours suivant la catastrophe. «Si ça ne donne pas de résultats positifs et que les signes persistent, la victime doit suivre un traitement psychique», a-t-il expliqué.
Ce sera le cas peut être de certains des victimes de l’affaissement de la route à Ben Aknoun, qui déplorent le manque d’attention à leur égard des autorités concernées. «Vous, la Protection civile, vous êtes les seuls qui soient venus frapper à notre porte», a regretté Kamel qui fait face à un autre dilemme et pas des moindres.
« Les dédommagements des véhicules, l’autre dilemme des victimes »
« J’ai perdu mon véhicule, c’était mon gagne-pain. J’ai frappé à toutes les portes pour voir quelle procédure dois-je suivre, savoir si on allait me rembourser mais personne ne veut me recevoir», nous a-t-il révélé.
Même s’il est vrai que son véhicule, une Peugeot Partner n’est pas assuré «tous risques», il estime que les autorités peuvent faire un geste d’autant plus, comme il l’a souligné, les victimes ne sont pas nombreuses. «Même ceux qui possèdent une assurance tous risques ne sont pas au bout de leur peine puisque les compagnies leur ont notifiés qu’ils devaient contracter une assurance dédiée aux catastrophes naturelles.
Je ne comprends pas comment l’affaissement d’une route provoquée officiellement par la chute d’un collecteur des eaux devenu obsolète soit considéré comme une catastrophe naturelle», a réagi Kamel qui espère que les pouvoirs publics viennent à leur aide. «Nous avons déjà assez souffert, qu’on nous annonce une bonne nouvelle !»