Islamabad – Le président afghan Hamid Karzaï est arrivé lundi à Islamabad pour des pourparlers clés avec son voisin pakistanais, historiquement proche des talibans afghans, dans l’espoir d’établir un canal de communication direct avec l’insurrection et mettre fin à 12 ans de guerre dans son pays.
Il s’agit de la première visite au Pakistan en près de 18 mois pour le président Karzaï, qui accuse à répétition Islamabad de déstabiliser son pays en soutenant les talibans en lutte contre les fragiles forces nationales afghanes et leurs alliés de l’Otan.
Mais M. Karzaï tentera cette fois-ci de convaincre Islamabad de faire pression sur les talibans, qui utilisent le Pakistan comme base arrière, pour discuter de paix directement avec lui.
Les talibans afghans, au pouvoir à Kaboul de 1996 à 2001, ont fait preuve d’ouverture au cours des derniers mois sur des pourparlers de paix, et même affirmé qu’ils n’aspiraient plus à «monopoliser» le pouvoir après le retrait de la grande majorité des 87.000 soldats de l’Otan prévu d’ici à la fin de l’année prochaine.
Mais les insurgés refusent de s’engager dans des pourparlers directs avec Hamid Karzaï, qu’ils accusent d’être une marionnette des Etats-Unis, de surcroît à l’approche de son départ à la tête de l’Etat, le président ne pouvant briguer, selon la Constitution, un troisième mandat lors de la présidentielle d’avril prochain.
La délégation afghane a atterri lundi en matinée à l’aéroport militaire en banlieue d’Islamabad, décorée pour l’occasion de bannières géantes ornées des photos de Hamid Karzaï, du nouveau Premier ministre pakistanais Nawaz Sharif et du président Asif Ali Zardari.
Le président afghan a été accueilli par le chef de la diplomatie pakistanaise, Sartaj Aziz, et devait ensuite s’entretenir avec Nawaz Sharif, grand vainqueur des élections législatives de mai.
«Le premier point à l’agenda sera les négociations de paix», avait annoncé M. Karzaï samedi lors d’une conférence de presse à Kaboul. «La paix et la stabilité en Afghanistan sont dans l’intérêt vital du Pakistan», a de son côté répété dimanche le ministère pakistanais des affaires étrangères.
Samedi, Hamid Karzaï avait également salué Nawaz Sharif, qui a selon lui de «bonnes intentions pour la stabilité et la paix», mais reconnu que ses visites précédentes à Islamabad n’avaient pas entraîné une amélioration de la sécurité en Afghanistan. «Je suis rempli d’espoir, mais je ne suis pas convaincu» avait-il ajouté.
Une délégation du Haut conseil pour la paix (HCP), une émanation du gouvernement afghan chargé de faire venir les talibans à la tables des négociations, accompagne le président Karzaï dans la capitale pakistanaise.
Le HCP a déjà indiqué qu’il allait demander au Pakistan la libération du plus important taliban afghan écroué dans les geôles pakistanaises, le mollah Abdul Ghani Baradar, ex-bras droit du mollah Omar, le chef suprême des talibans.
Car si Islamabad est historiquement proche des talibans, elle est aussi, depuis 2001, officiellement alliée à leur puissants ennemis américains, et a à ce titre arrêté de nombreux rebelles afghans réfugiés sur son territoire.
A la demande de Kaboul, le Pakistan a déjà libéré 26 talibans afghans. Les responsables afghans estiment que ces libérations permettent de montrer leur bonne volonté aux insurgés et espèrent que ces ex-détenus convaincront la direction des talibans à se joindre aux pourparlers de paix.
Mais de nombreux analystes jugent que ces libérations n’ont aucun impact sur le processus de réconciliation afghan, car des talibans libérés seraient retournés sur le terrain de combat et qu’Islamabad n’a pas rendu leur liberté aux prisonniers considérés comme les plus influents, tels le mollah Baradar.
Une timide amorce de processus de paix avait capoté en juin dernier après l’ouverture d’un bureau des talibans afghans à Doha, au Qatar, une vitrine qui a ulcéré au plus haut point le président Karzaï.
Karzaï «veut son propre canal de communication avec les insurgés, qui soit indépendant des Etats-Unis», estime, Borhan Osman, membre du Réseau des Analystes d’Afghanistan. «Les tentatives de se tourner vers le Pakistan ne sont pas nouvelles, mais des tentatives similaires avaient échoué par le passé», ajoute-t-il.
Le grand quotidien pakistanais Dawn n’a pronostiqué lundi aucune avancée dans les discussions car le contexte n’est pas favorable avec la fin du mandat de Karzaï, l’arrivée d’un nouveau gouvernement à Islamabad, qui doit encore établir ses marques sur l’Afghanistan, et le changement, cet automne, du chef de l’armée pakistanaise, l’institution la plus puissante du pays.
«Espérez le mieux, mais préparez-vous au statu quo», résume le journal.