« Le meilleur moyen de protéger les terres agricoles et de permettre une agriculture intensive, c’est d’investir dans un aménagement du territoire qui nous recentre sur des espaces nouveaux comme le Sud pour créer de grands mouvements d’idées, de personnes et de capitaux».
C’est un avis d’experts qui peinent à faire entendre leur voix par les politiques même dans cette conjoncture où la forte contraction de la rente pétrolière oblige pourtant à «réfléchir d’une manière pragmatique avant d’agir». Le débat organisé lundi dernier par le CNES a laissé son président conclure que «si on rate cette fenêtre, on va vers la dérive». «Le sauvetage du pays en entier doit impérativement passer par la diversification de son économie.» C’est celle-là la fenêtre dont parle Mohamed-Seghir Babes. L’agriculture et le tourisme sont appelés à faire résolument et intelligemment dans la persévérance pour enclencher une telle dynamique, recommandent les experts. C’est certes un choix nouveau du gouvernement mais qui n’a pas encore de feuille de route précise.
Le professeur Mohamed Bahloul n’en pense pas moins. «Il faut passer inévitablement par l’industrie, l’agriculture doit passer d’une production de subsistance à une production d’exportation», dit-il. Il note que l’agriculture algérienne est «une agriculture parcellaire alors que la culture du blé et du soja par exemple ont besoin de grandes exploitations». Bahloul estime que pour que le secteur se mette en marche, il faut lui assurer trois conditions. «Il faut régler définitivement le statut de la terre, la question du financement et permettre au paysan de se transformer en agriculteur, le tout doit être sous-tendu par des stratégies d’exportation.»
L’EXIGENCE D’UN MARCHE DE LA TERRE
La terre est, explique l’économiste, «la base de l’Etat, elle lui assure sa solidité». Il estime alors que «l’attachement à la terre est lié à un problème de gouvernance globale». Il faut donc «une vision et une visibilité qui rassurent les gens contre la rapacité et les égoïsmes, c’est une phase très délicate dans la transformation de l’économie nationale (de rente) en économie de marché».
Le professeur Bahloul est persuadé que rien ne pourra se faire dans l’agriculture sans un marché de la terre (foncier). «Il faut toujours aller taper à la porte du wali ou du maire pour prétendre à une parcelle de terre, ce qui n’est pas normal en économie de marché, il faut absolument créer ce marché», dit-il. Il s’appuie sur l’exemple de la Corée du Sud pour démontrer que la relance est possible. «Ce pays mouchoir a su rentabiliser beaucoup de terrains en construisant par exemple son plus grand aéroport sur la mer, chez nous, nous avons beaucoup de terrains accidentés mais qu’on ne pense jamais à exploiter, l’urbanisme doit s’en saisir pour permettre de construire sur les crêtes, les collines et les terrains à contraintes afin de laisser les terres plates à l’agriculture», explique-t-il.
«C’EST UN PROBLEME DE GOUVERNANCE»
Pour lui, «c’est une question d’arbitrages, de choix publics, c’est un problème de gouvernance». C’est d’ailleurs à cet effet qu’il (re)convoque la nécessité «d’avoir un donneur d’ordre». Il est persuadé qu’ «il y a des solutions, mais il faudrait quelqu’un qui détient le leadership». Il est devenu ainsi impératif de régler les problèmes institutionnels. «La Chine l’a fait quand elle a décidé de changer de cap, c’est ce qu’elle a appelé la grande manœuvre qu’elle a enclenchée de 1978 à 1981.» L’économiste estime que «ce n’est pas long, trois ans seulement ont suffi pour créer de nouvelles institutions et fonder l’économie de marché». Il indique que «nous avons devant nous des angles sur lesquels on peut rebondir sans contraintes financières étouffantes». Il rappelle d’ailleurs que «beaucoup d’idées sont avancées à cet effet, par le gouvernement et les experts». La rationalisation des ressources existantes et la bancarisation de fonds informels en sont les plus importantes mais, souligne Bahloul, «il faut instaurer la confiance nécessaire et qui dit confiance dit gouvernance, l’économie de marché, c’est une question de confiance». En haut de la feuille de route, il affirme que « la monnaie, c’est le point où se déclarent et convergent toutes les confiances». L’exigence est donc «un système institutionnel qui donne de la confiance aux opérateurs». C’est, dit-il, «dans ces phases que les Nations interpellent les politiques pour créer des institutions fortes et performantes». C’est, selon lui, «ce qui permet d’optimiser l’adhésion à un projet national de reconstruction».
L’économiste affirme qu’ «il faut savoir casser le cercle vicieux pour aller vers un cercle vertueux». C’est, explique-t-il, «toute une sociologie, toute une anthropologie». Il reprend l’exemple de l’agriculture pour noter que «l’augmentation de la production de cette année a été grâce à l’extension des terres et l’importance des pluies, il faut impérativement aller vers un surplus de travail hautement capitalistique, vers de gros financements».
UN NOUVEAU SNAT POUR UN RECENTRAGE DES TERRITOIRES
La clé de contact pour faire démarrer une économie qui a toujours dépendu des puits (pétrole) et des pluies, se trouve chez l’Etat, selon Bahloul. «L’Etat doit être le donneur d’ordre, il doit être le maître d’œuvre, il doit passer de l’Etat gérant à l’Etat garant du droit à l’éducation, à la justice, à la santé, à la propriété», dit-il. Une fois les fondements de l’Etat de droit mis en place, l’Algérie devra et pourra, selon les experts, faire émerger son économie. «Il faut créer les conditions nécessaires au développement de l’agriculture en lui laissant les terres fertiles, il faut construire sur les crêtes, les montagnes, les collines, les plus belles villes du monde l’ont été à ces niveaux, il faut récupérer des espaces des eaux de mer, les pays du Golfe l’ont fait, en s’inspirant du modèle américain, on peut le faire», rassure l’expert.
L’investissement dans l’aménagement du territoire devient alors une exigence. «L’Etat doit viabiliser des terrains sur ces espaces, ceux qui ont de l’argent qui dort vont le sortir pour les acheter et réaliser leurs projets touristiques par exemple», suggère l’économiste. Il pense ainsi que «la bancarisation de l’argent informel c’est bien mais il y a d’autres bannières pour réinjecter les capitaux dormants».
L’idée de Amar Ghoul de réviser la loi portant SNAT (Schéma national de l’aménagement du territoire) devra venir, selon Bahloul, à ce propos « pour nous recentrer sur l’exploitation de ces espaces ignorés, pour agrandir nos centres urbains, sur l’immensité du Sud, en créant de grands mouvements d’idées, de personnes et de capitaux».