Aïn Barbar: Un si beau pays que l’on ne voit plus…

Aïn Barbar: Un si beau pays que l’on ne voit plus…

Aïn Barbar, une belle plage qu’on ne devrait jamais avoir envie de quitter. Et pourtant, on la quitte. Au large de Aïn Barbar, dans une embarcation serrée par les garde-côtes, des candidats à la harga se sont battus : il y avait ceux qui voulaient poursuivre la fuite et ceux qui voulaient se rendre. Bataille en haute mer entre réalistes et desperados ? Il faut avouer que dans un pays qui a subi des traumatismes majeurs sans pouvoir en parler, les verbaliser, faire la catharsis salvatrice, les comportements échappent à l’argumentaire rationnel. Le plus alarmant est que malgré « l’apaisement » des années 2000, l’aisance relative apportée par un accroissement substantiel des recettes pétro-gazières, l’envie de « quitter » reste toujours une tentation forte. Si ce n’est dans les actes du moins dans les têtes. Et cela fait notre malaise. Un pays fait pour le bonheur mais où les gens ne le sont pas le plus souvent, ou ont le sentiment de ne pas l’être. Le pays a du mal à se relever de la perte de la sève des années 90, une rupture brutale de la chaîne de l’accumulation du savoir et de la compétence dont on ne finit de mesurer les conséquences.

La harga du fric

Mais si les harragas de Aïn Barbar et d’ailleurs tentent de partir, le fric, lui, s’en va. L’euro s’échange à 172 dinars. Pour ceux qui le trouvent. C’est l’argent qui continue en mode accéléré sa harga du pays. Port-Saïd a déjà oublié la « campagne » destinée à l’extirper, il a repris ses quartiers. Et le message qu’il envoie est simple : ceux qui détiennent les Euros les vendent de moins en moins. On est dans la règle de la « mauvaise monnaie qui chasse la bonne », la fameuse loi de Gresham (Thomas) financier anglais (1519 – 1579). « Lorsque deux monnaies se trouvent simultanément en circulation avec un taux de change légal fixe, les agents économiques préfèrent conserver, thésauriser la « bonne » monnaie, et par-contre utilisent pour payer leurs échanges la « mauvaise » dans le but de s’en défaire au plus vite ». On quitte donc le dinar. La grande harga du fric invisible – mais que l’on devine aisément – est un mouvement durable. De temps en temps, les autorités font mine de s’en inquiéter. Sans inquiéter les riches qui se débarrassent de leurs dinars pour les placer en Euros. L’amour compulsif des riches algériens pour la banque et la pierre en Occident est durable. La valeur d’une monnaie – est-il besoin de le rappeler – dépend des données macro-économiques mais aussi de la « confiance », de la « stabilité juridique ». La harga du fric dispose de « ressources ». Rien à voir avec ceux qui se battent au large de Aïn Barbar, à quelques encablures d’une plage qu’on ne devrait jamais avoir envie de quitter. Trouble Il y a eu onze harragas empêchés de partir. Combien y-a-t-il – dans toutes les classes sociales – taraudés par cette « envie » ? Ceux qui sont des harragas dans la « tête » ? On ne le sait pas – l’Algérie est un pays insondable. L’Etat dans ce pays permet les radiotrottoirs  des télés off-shore mais n’autorise toujours pas les instituts de sondage. Reste ce trouble. Aïn Barbar est une plage divine. Comment et pourquoi a-t-on rendu la vie des Algériens si éprouvante ?… Pourquoi ont-ils encore ce sentiment de grand ratage que l’on veut ne pas voir en allant se perdre dans l’ailleurs ?  » … Il faut beaucoup de temps pour aller à Djémila. Ce n’est pas une ville où l’on s’arrête et que l’on dépasse. Elle ne mène nulle part et n’ouvre sur aucun pays. C’est un lieu d’où l’on revient…. ». C’est dans Les Essais. Albert Camus parlait de Djémila. On peut le remplacer par Algérie. Comment faire pour que ce ne soit plus le pays que l’on quitte, en barque ou en esprit, mais un pays « où l’on revient ». Un pays « que l’on revoit ». Car nous ne le voyons plus…

Mohamed Saâdoune