Alger entre l’option diplomatique et l’action militaire

Alger entre l’option diplomatique et l’action militaire

La chute de la ville libyenne de Syrte aux mains de l’organisation terroriste DAECH confirme malheureusement ce que l’Algérie avait toujours craint : le chaos en Libye va créer une situation géopolitique nouvelle, le territoire de ce pays se transformant en une zone où les groupes les plus radicaux vont faire régner la loi du plus fort pour, en fin de compte, déborder sur les Etats voisins.

Dès le début de l’aventure libyenne de l’Otan et l’équipée menée par le duo Sarkozy-Cameron pour renverser le gouvernement du colonel Mouammar Kadhafi, Alger a alerté l’opinion publique internationale quant aux retombées chaotiques de cette agression. Faisant fi des avertissements de l’Algérie, les belligérants ont vite fait de crier victoire, mais le mal est était et la gangrène du chaos terroriste introduite dans le corps de la société libyenne.

Les résultats sont plus que négatifs : deux gouvernements se disputant la légitimité ; une armée dite nationale contre une multitude de milices armées ; une partie du territoire qui a fait allégeance au groupe terroriste DAECH autoproclamé Etat islamique.

Pour l’Algérie, la menace était imminente depuis le début de l’attaque de l’Otan contre l’ex-Jamahiriya.

Elle se précise désormais avec la prise de Syrte par les terroristes de DAECH. Mais un petit retour en arrière permet de décrypter la logique algérienne. Aussi indisposant fut-il, Kadhafi était un moindre mal pour l’Algérie ; sa chute a ouvert la boîte de Pandore avec la dissémination de l’armement libyen à travers la région Maghreb-Sahel.

Il s’en est résulté la crise au nord du Mali. Les infiltrations terroristes en territoire algérien, bardés d’armes libyennes et surtout l’attaque terroriste du complexe gazier de Tiguentourine (janvier 2013) à partir du territoire libyen, sont autant d’éléments qui expliquent l’intérêt vital pour l’Algérie de régler dans les meilleurs délais l’affaire libyenne.

D’ailleurs, la démarche algérienne est novatrice. Au lieu de confronter deux autorités politiques divergentes (les deux Parlements discutent à Rabat) ou les bouillonnantes tribus (réunies au Caire), Alger abrite le dialogue inter-libyen consacré aux partis et associations politiques. D’ailleurs, seule la rencontre l’Alger a abouti à une déclaration importante : les partis libyens sont d’accord pour former un gouvernement d’union nationale. Le mot est lâché, et il avait son pesant d’or.

La prise de Syrte change la donne, dans la mesure où le temps est compté pour les acteurs de la crise libyenne. A défaut d’une entente rapide via un dialogue inclusif et national, le pays se trouvera bientôt sous la domination du groupe terroriste d’Abou Bakr Al-Baghdadi. Le terreau est justement fertile pour que la Libye capte les desperados du pseudo-djihad en Syrie et en Irak.

Le plus gros des contingents de ces mercenaires est déjà formé en Libye de combattants tunisiens, kosovars et libyens. Autant dire une armée terroriste à moins de 1 000 km de la frontière algérienne.

Pis, pour Mohamed Sibachir, maître de Conférences au département de Science politique de l’Université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, la prise de Syrte « ressemble, à bien des égards, aux assauts réussis de DAECH en Irak et en Syrie. L’attaque subite et la progression de la secte prend l’ampleur d’une faillite quasi-immédiate de la Libye et la réaction doit être immédiate pour ne pas subir le sort des deux pays cités plus haut ».

Que fera justement l’Algérie à court terme ? Accélérer le processus de dialogue ou laisser les choses entre les mains des acteurs nationaux libyens ? A ce propos, le politologue n’y va pas par quatre chemins. « La médiation algérienne doit se poursuivre mais s’accompagner de davantage de pression pour régler les différends entre les partis en conflit ». Non seulement il y a péril en la demeure, mais il faut surtout couper l’herbe sous les pieds des interventionnistes de tous bords.

Car pour Mohamed Sibachir, « le prétexte de la migration risque de rééditer l’intervention atlantiste de 2011 menée, cette fois-ci, par l’Union européenne, et cela engendrerait une situation presque identique à ce qui est en train de se passer au Levant avec son lot de drames humanitaires et, pour le proche avenir, une faillite à même de se propager dans la région Sahélo-saharienne et le Maghreb en général ».

La doctrine militaire algérienne ne permet pas l’envoi des forces en dehors des frontières, Alger va-t-elle pencher pour l’approche égyptienne qui veut actionner la force arabe commune (qui bombarde actuellement le Yémen) pour attaquer des positions terroristes en Libye ? Une intervention militaire reste cependant très peu probable mais pas impossible.

Le politologue enseignant à Tizi Ouzou propose une piste d’analyse : un complexe de sécurité maghrébin, et/ou à défaut, l’option de la force arabe commune. « L’option militaire est la seule option qui s’impose, mais dans un cadre collégial, soit un cadre maghrébin, ce qui relancerait l’idée d’un destin commun, partant, le projet maghrébin tant attendu, soit dans un cadre régional arabe, de par les parties concernées et intéressées par le conflit en Libye : l’Algérie et l’Egypte en tête ».