Dimanche 26 février, un kamikaze portant une ceinture explosive a tenté de se faire sauter dans le commissariat de police de Bab El Kantara à Constantine, à l’est de l’Algérie. Cet attentat-suicide qui a fait deux blessés parmi les policiers a été revendiqué le lendemain par l’État islamique (EI). Cette attaque terroriste n’est certes pas d’une grande envergure. Elle suscite néanmoins quelques questions sur les capacités de nuisance des groupes terroristes en Algérie et la stratégie de lutte adoptée par les autorités algériennes. Décryptage.
Une première depuis…
L’attentat-suicide avorté du dimanche 26 février contre un commissariat de police à Constantine est le premier depuis l’attaque terroriste contre l’Académie militaire interarmes de Cherchell à Tipaza en août 2011, attentat qui avait fait 18 morts et qui avait été revendiqué par Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). C’est également la première action revendiquée par l’État islamique en Algérie après l’assassinat de l’otage français Hervé Gourdel en septembre 2014 par le groupe de Jund-Al-Khilafah, qui avait prêté allégeance au groupe État islamique durant la même période.
Allégeance, mais pas de lien financier
Cet acte terroriste relance d’abord la question de la présence de Daech en Algérie. En août 2016, une carte mondiale de la Maison-Blanche sur l’expansion de l’État islamique à travers le monde montrait que l’organisation terroriste a bel et bien une branche officielle en Algérie. Sauf que les groupuscules terroristes (qui comptent généralement moins d’une dizaine de membres) ayant prêté allégeance à l’État islamique n’ont aucun lien financier ou logistique avec l’organisation. En prêtant allégeance à l’État islamique, ces groupes terroristes qui étaient affiliés à Aqmi sont notamment à la recherche d’un impact médiatique considérable pour les actions isolées qu’ils arrivent à concrétiser sur le terrain. « Si Daech était très bien implanté en Algérie, vous auriez vu des attentats spectaculaires et aperçu des plateaux de mise en scène avec des maquilleuses pour le spectacle comme on le voyait en Syrie, en Irak et ailleurs », ironise une source sécuritaire.
La quête d’effet médiatique
« Nous pouvons parler de la recrudescence d’un terrorisme qui a un effet multiplicateur sur le plan médiatique. Il est clair que l’objectif de ces actions est d’obtenir un très large écho médiatique », expliquait Kamel Rezzag Bara, conseiller du président Abdelaziz Bouteflika pour les questions relatives à la sécurité et aux droits de l’homme dans un entretien accordé au site d’information, Tout sur l’Algérie (TSA) en 2015 après les attentats perpétrés en France et en Tunisie. Jusqu’à maintenant, moins d’une centaine d’Algériens ont rejoint les rangs de l’organisation de l’État islamique. En 2015, le ministre algérien des Affaires religieuses avançait le chiffre de 63 personnes. « C’est le nombre le moins élevé dans le monde arabe et ailleurs », affirmait le ministre Mohamed Aïssa. À titre de comparaison, la presse tunisienne parlait, en mars 2016, de plus de 6 000 combattants tunisiens et de 1 700 combattants marocains dans les rangs de Daech.
Le signe de l’efficacité des opérations antiterroristes ?
L’attentat-suicide de Constantine coïncide ensuite avec la multiplication des opérations de ratissage menées par l’armée algérienne dans l’est du pays. Dix jours avant l’attentat, le ministère algérien de la Défense annonçait qu’il avait décimé un groupe terroriste composé de 14 membres dans la commune d’El-Adjiba à Bouira en Kabylie. Mardi 28 février, le ministère de la Défense indiquait aussi qu’il avait « neutralisé » neuf terroristes à Azzefoun dans la wilaya de Tizi Ouzou en Kabylie. Quatre d’entre eux ont été abattus tandis que les cinq autres ont été capturés vivants, selon TSA.
« En fait, à travers ces actes isolés, ces groupes cherchent à attirer, voire à détourner, l’attention de l’armée pour desserrer l’étau sur leurs camarades ciblés par les opérations de ratissage. C’est une stratégie connue qui ne date pas d’aujourd’hui », explique la source sécuritaire qui assure que Daech n’est qu’un « porte-drapeau ». « Ils n’arrivent pas à s’implanter dans le pays », poursuit-elle. Les services de sécurité sont en alerte permanente depuis plusieurs mois. En février, 28 terroristes ont été abattus par l’armée. Des saisies d’armes lourdes et de munitions sont effectuées chaque semaine.
Une cache d’armes : le signe d’une menace réelle
Dans la matinée de ce jeudi, un détachement de l’armée a découvert une cache contenant 40 pistolets mitrailleurs de type kalachnikov, une mitrailleuse lourde et 44 chargeurs pour pistolet-mitrailleur de type kalachnikov dans la wilaya d’Adrar, à l’extrême sud du pays. Une autre cache de munitions a été découverte, la veille, par l’armée à Tizi Ouzou en Kabylie. Les bilans annuels de l’armée sont lourds. Ils reflètent l’efficacité des opérations antiterroriste, mais démontrent en même temps que la menace terroriste est omniprésente, notamment à cause de l’instabilité dans la région.
En 2016, l’armée avait abattu 125 terroristes et arrêté 225 autres. Des armes lourdes et des quantités importantes de munitions ont été saisies, dont des missiles antiaériens, des lance-missiles, des lance-roquettes, des mines antichars, des mines antipersonnel, des kalachnikovs et autres. « Aucun pays n’est à l’abri. La menace est transnationale. C’est pour cette raison qu’il faut maintenir le niveau de vigilance au plus haut en termes d’anticipation, de prévention et de réponse à une quelconque action qui peut se passer », soulignait le conseiller du président Bouteflika.
Selon lui, moins d’une dizaine de « groupuscules épars dans deux ou trois régions du pays » sont encore actifs encore en Algérie. Ils sont « complètement isolés » et « font l’objet d’une traque perpétuelle ». « En général, ils sont dans les zones montagneuses et à la périphérie de certains centres urbains », avait-il expliqué. Comment l’Algérie fait-elle face à ce phénomène après la décennie noire ?
La stratégie antiterroriste sur le terrain
La stratégie algérienne de lutte contre le terrorisme repose sur deux éléments essentiels. Le premier est lié au maintien d’une extrême vigilance et d’un haut niveau de mobilisation des forces de sécurité. Le chef d’État-major et vice-ministre de la Défense réaffirme d’ailleurs régulièrement la détermination de l’armée à « éradiquer définitivement la vermine terroriste ». Le deuxième élément consiste à mettre en œuvre un certain nombre de mesures politiques, économiques, sociales, culturelles et religieuses. À ce titre, le ministre de la Justice avait réaffirmé au lendemain de l’attentat de Constantine que le décret de février 2006 portant application de la Charte pour la paix et réconciliation nationale est toujours en application. Adopté en 2005 par référendum, ce texte prévoit notamment la fin des poursuites judiciaires pour les membres des groupes terroristes non impliqués dans « des massacres collectifs, des viols ou des attentats à l’explosif dans des lieux publics ». Des mots fermes qui font le tri entre les actes commis et les sanctions qui les accompagnent.