Depuis le limogeage de Mohamed Mediène, trois autres généraux ont été inculpés et plusieurs officiers supérieurs écartés. Que signifie cette épuration et jusqu’où ira-t-elle ?
Visage émacié, costume anthracite, une dégaine à la Clint Eastwood, toujours propre sur lui, Djamel Kehal Medjdoub a encore fière allure malgré ses 60 ans révolus. Devant le président de la République, derrière lui, à ses côtés, l’œil à l’affût, il ne le quittait pas d’une semelle. Jusqu’à juillet dernier, Medjdoub assurait la Direction de la sécurité et de la protection présidentielles (DSPP), un secret service algérien rattaché au Département du renseignement et de la sécurité (DRS). À la tête d’une escouade de quelque 700 gardes du corps, il veillait jour et nuit, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, à la sécurité du chef de l’État.
Mais ça, c’était avant que le ciel lui tombe sur la tête. Limogé d’une manière expéditive, il a d’abord été frappé d’une interdiction de quitter le territoire national, avant d’être jugé à huis clos, ce 2 décembre, pour « infractions aux consignes » etcondamné à trois ans de prison par le tribunal militaire de Constantine, sa région natale.
Pourquoi et comment ce général-major à la réputation irréprochable, estimé par Bouteflika au point que celui-ci lui conseilla Paris pour soigner ses problèmes cardiaques, s’est-il retrouvé dans cette situation ? Dans un pays où le culte du secret fait partie de l’ADN du système politique, démêler le vrai du faux équivaut à dénouer un écheveau de laine. C’est encore plus vrai s’agissant d’événements impliquant des responsables de l’armée. Une certitude cependant : cette nouvelle affaire dite Zeralda, après celles du général Hassan et du général Hocine Benhadid, donne aux Algériens le sentiment d’assister à un remake des « procès de Moscou ». « Prenez soin de mes enfants », avait confié Djamel Kehal Medjdoub à son entourage. Savait-il qu’il allait au-devant de sérieux ennuis ? Certainement.
La nuit du 16 au 17 juillet, point de départ des limogeages
Dans la nuit du 16 au 17 juillet, croyant entendre des bruits suspects autour de la résidence présidentielle de Zeralda, sur le littoral ouest d’Alger, là où Abdelaziz Bouteflika vit, se soigne et travaille, un lieutenant de la garde présidentielle escalade le mur et tire sur deux ou trois inconnus qui tentaient de s’y introduire avant de disparaître dans la forêt. Mouvement de panique dans la résidence. Le lendemain, Djamel Kehal Medjdoub et Ahmed Moulay Meliani, patron de la garde républicaine, se concertent comme si de rien n’était sur l’organisation de la sécurité autour des lieux en attendant les résultats de l’enquête confiée à la gendarmerie nationale.
Las ! Quelques heures après l’incident, les deux hommes sont limogés. En l’absence de communication officielle, c’est par le biais d’indiscrétions parues dans la presse qu’on apprendra quelques jours plus tard les purges visant la sécurité présidentielle. Stupeur. Le directeur de la DSPP, celui de la garde républicaine, ainsi qu’Ali Bendaoud, qui assure la Direction de la sécurité intérieure (DSI), le contre-espionnage, sont relevés de leurs fonctions et aussitôt remplacés. Fait inédit dans les annales de l’armée, la famille Medjdoub monte au créneau pour dénoncer les amalgames autour de son départ et rappeler ses états de service.
Selon les conclusions de l’enquête de la gendarmerie, toutes les douilles retrouvées autour du lieu du supposé incident appartiennent au dit lieutenant
Ancien directeur des études au DRS, cet homme du service opérationnel a longtemps exercé en Asie et au Moyen-Orient (il parle couramment le persan), avant de faire un bref passage à Paris au début des années 2000. Sorti de l’école du renseignement du DRS à Alger, passé par Saint-Cyr et par l’Académie de renseignement extérieur de l’ex-KGB, on le décrit comme un professionnel posé, serein, pas du tout caractériel. Repéré dès 2004 par l’ex-patron des services de renseignements, le général Mohamed Mediène, dit Toufik, limogé à son tour en septembre, il prend la direction de la sécurité présidentielle en 2005.
Le président algérien, déjà ciblé à Batna en septembre 2007, était-il visé par une tentative d’attentat cette nuit de juillet ? Ou s’agissait-il d’une mauvaise plaisanterie de quelques énergumènes à la veille de l’Aïd ? Ou tout simplement de l’acte prémédité d’un garde qui aspirait à monter en grade en faisant croire à ses supérieurs qu’il avait déjoué un coup fomenté contre le raïs ? Jugé en septembre 2015 par le tribunal militaire de Blida, l’auteur des coups de feu écope de trois ans de prison, alors que cinq autres prévenus, dont des colonels, sont relaxés. Djamel Kehal Medjdoub est entendu comme simple témoin. Dossier vide, donc peines légères ? C’est que, selon les conclusions de l’enquête de la gendarmerie, toutes les douilles retrouvées autour du lieu du supposé incident appartiennent au dit lieutenant. L’expertise balistique démontre que l’impact sur son gilet pare-balles provient aussi de son arme. Une boîte à outils, achetée avec sa carte de crédit, est également retrouvée dans le périmètre de la résidence.
Affaire classée ? Que nenni. Peu de temps après le verdict, une nouvelle vague de sanctions emporte d’autres responsables. Le directeur de la justice militaire, le procureur général du tribunal de Blida ainsi que l’inspecteur général de la justice militaire sont éjectés. Le parquet a-t-il subi des pressions pour rouvrir le dossier ? Le ministère de la Défense a-t-il fait appel de la sentence ? De statut de témoin, l’ex-directeur de la sécurité présidentielle passe désormais à celui de prévenu. Et sa condamnation le 2 décembre ne manquera pas d’alimenter les spéculations sur les motivations politiques qui entourent toutes ces affaires.
L’affaire Hassan, illustration du malaise de l’État tout entier
Guerre des clans dans le sérail ? Règlements de comptes entre l’état-major de l’armée et le DRS, constamment accusé de comploter contre le clan présidentiel ? Simple volonté de juger des justiciables coupables de dérapages ? Cette succession d’affaires – trois durant cet automne 2015 – fait en tout cas désordre dans une Algérie déjà sonnée par la crise économique et en proie à une vive inquiétude née de la santé fragile du président et de la guerre qui entoure sa succession. Les prises de bec entre des députés de l’Assemblée nationale – filmées par les caméras de télévision et relayées par les réseaux sociaux – qui ont précédé l’adoption, le 30 novembre, d’une loi de finances 2016 très controversée ont aggravé le climat de tension et ajouté au désarroi.
L’affaire du général Hassan, de son vrai nom Abdelkader Aït Ouarabi, ancien haut responsable de la lutte antiterroriste, est la parfaite illustration de ce grand malaise. Jugé à huis clos par le tribunal militaire d’Oran pour « infractions aux consignes militaires » et « destruction de documents », Aït Ouarabi a écopé de cinq ans de prison ferme. Loin d’apaiser les esprits, sa condamnation a conduit certains à affirmer que cet homme proche de Toufik avait été victime d’une cabale ou, à tout le moins, d’un règlement de comptes. « Une affaire montée de toutes pièces pour des motifs politiques, soutient Khaled Bourayou, un des avocats du prévenu. Les déclarations de Khaled Nezzar [ex-ministre de la Défense] et de Louisa Hanouneme confortent dans mon jugement. »
Ouvertement en guerre contre certains ministres et contre ceux qu’elle qualifie d’oligarques, Hanoune rapporte en effet une confidence que lui a faite Bouteflika en février 2014, peu de temps après une première audition du général Hassan dans le cadre d’une opération secrète que ses hommes avaient menée pour récupérer un arsenal d’armes à la frontière algéro-libyenne : « Le général Hassan est honnête, propre et patriote. Il n’a commis aucun méfait. L’affaire est réglée. Soyez rassurée. » Un des avocats du prévenu, Mokrane Aït Larbi, rappelle que son client avait été décoré en juillet 2011 par Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée, pour avoir notamment déjoué un double attentat-suicide qui aurait pu faire de nombreuses victimes parmi les civils et les services de sécurité. Ce jour-là, Gaïd Salah s’était adressé au général Hassan en ces termes : « Tout en valorisant cet acte de bravoure, qui mérite la citation, j’apprécie à leur juste valeur les efforts que vous ne cessez de consentir […]. Que cette citation soit considérée comme un témoignage de votre mérite […]. »
Last but not least, la défense de Hassan affirme qu’un des témoins à charge était un « grand trafiquant » qui avait fait l’objet de dix mandats d’arrêt. Comment un « patriote » décoré par le patron de l’armée et loué par le président, qui, de surcroît, assurait que son affaire était « classée », a-t-il pu se retrouver en prison ? Mystère. Khaled Nezzar, qui qualifie au passage la condamnation de Hassan de « criminelle » – ce qui pourrait lui valoir des poursuites pour outrage à la justice -, en appelle désormais à l’intervention du président de la République pour ramener le calme et la sérénité « pour le bien de tous et la stabilité de la nation ».
Certes, depuis l’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika, en 1999, le haut commandement de l’état-major et des services de renseignements ont connu de profondes mutations, tant au niveau de leur personnel que de leurs structures. Mais le tsunami qui a touché le DRS depuis l’été 2013, suivi de ces affaires judiciaires impliquant de hauts gradés, met l’armée et la présidence dans une position délicate.
Grand connaisseur des arcanes du pouvoir, Nezzar n’a pas manqué de mettre en garde contre les conséquences que pourrait avoir cette condamnation sur le moral des troupes et, partant, sur la cohésion au sein de l’institution militaire : « Pareil jugement énoncé au tribunal militaire d’Oran peut faire jurisprudence et, dans ce cas, les conséquences seraient fâcheuses, surtout eu égard à la confiance que doivent nourrir les soldats, sous-officiers et officiers à l’égard de leur hiérarchie. »
BENHADID A VU ROUGE
Ex-commandant de la IIIe région militaire, patron de la 8e division blindée, une unité des forces spéciales réputée pour son engagement dans la lutte antiterroriste, Hocine Benhadid, 70 ans, est en attente de son jugement. Arrêté le 30 septembre sur plainte du ministère de la Défense, il est poursuivi pour « divulgation de secret militaire ».
Son tort ? Des déclarations incendiaires contre le vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, mais aussi contre le frère du président, Saïd Bouteflika, et certains businessmen qu’il accuse de vouloir faire main basse sur les affaires de l’État. Pour les avocats de Benhadid, la justice est instrumentalisée au profit d’un clan au pouvoir. Ambiance…