Algérie : l’islamisme à la conquête du pouvoir de 1962 à 1992

Algérie : l’islamisme à la conquête du pouvoir de 1962 à 1992

Le pouvoir algérien est historiquement le générateur de l’islamisme politique dont la barbarie terroriste représente le stade suprême d’évolution et d’expression. Par une longue série ininterrompue de concessions, d’abord formelles puis concrètes et fondamentales, les tenants du pouvoir ont fait le lit de l’intégrisme religieux dans les institutions de la république et dans le corps de la société marquée par les traumatismes de 132 ans de colonisation.

L’arrivée de l’ex-FIS sur la scène politique a été le fruit d’un certain nombre de compromissions du pouvoir avec les islamistes.

Grâce à un double jeu d’influence de l’intérieur des appareils de l’Etat et des institutions républicaines d’une part et de pressions externes par tous les moyens de nuisance, fort nombreux, sur ces mêmes centres de décision, d’autre part, les islamistes algériens soutenus par la nébuleuse intégriste internationale, ont réussi à donner à notre pays, pourtant prédisposé à la modernité et à la démocratie, une allure archaïque le faisant basculer dans le déclin et la barbarie.

Le glissement progressif et linéaire de l’Algérie vers l’impasse théocratique peut-être retracé à travers la chronologie des concessions faîtes par les décideurs civils et militaires aux jusqu’au-boutistes religieux des premiers mois de l’indépendance jusqu’à l’émergence en 1990, des partis intégristes (FIS, HAMAS, Nahdha…) couvertures légales des forces politiques anti-républicaines dirigées par des adeptes de la Oumma Islamique qui s’étendrait de l’ex-URSS à l’Andalousie reconquise.

Nous proposons, pour mémoire, dans cette modeste contribution, les jalons essentiels dans l’itinéraire des islamistes algériens dans leur patiente conquête d’importants segments du pouvoir, de 1962 à l’interruption du processus électoral de 1992.

Sous le règne de Ben Bella de (1962 à 1965) et de Boumediene durant treize ans et enfin durant les mandats de Chadli Bendjedid (1979-1992), des décisions politiques majeures ont balayé tous les obstacles devant la montée irréversible de l’intégrisme religieux, pour qui la fin d’accaparement du pouvoir a justifié toutes les violences idéologiques, sociales et physiques, jusqu’au meurtre de masse et la proclamation de la guerre contre le peuple.

I- Principales concessions faites sous le règne de Ben Bella

Au lendemain de l’indépendance, les islamistes avaient imposé à Ben Bella l’usage de la trilogie de Bendadis : « L’islam ma religion, l’arabe ma langue, et l’Algérie ma patrie » comme credo officiel de l’Etat algérien. Le blason de la république fut ainsi marqué du sceau de la religion. Les chefs d’Etat qui lui succéderont, Boumedienne et Bendjedid n’y changeront rien. La consécration de la primauté de l’Islam par la proclamation officielle de ce slogan sur le fronton de la république est peu de chose devant l’outillage politique dont se muniront les religieux sous couvert d’associations caritatives, culturelles et cultuelles. L’association « Qiyam-el-islamiya (Valeurs islamiques) dont le but déclaré est la lutte contre l’occidentalisation de l’Algérie, s’avérera être la matrice de l’islamisme politique algérien et ses principaux animateurs, Tidjani Lhachemi, Ahmed Sahnoun, Abassi Madani, Mesbah Houidek, entres autres, les chefs de file de l’intégrisme religieux, et fondateurs de la mouvance politique qui a généré les groupes armés terroristes.

a) Université ou zouïa

Durant l’année 1963, cette association aura le vent en poupe. Son principal fondateur, Tidjani Lhachemi, sera nommé secrétaire général de l’université d’Alger, lieu du savoir à charge républicaine hautement symbolique, dont la conquête multiplia l’audience de l’association « El Qiyam-el-islamiya » qui imposa son rôle de pôle rassembleur de la mouvance islamique. Rappelons pour mémoire que les islamiques étaient les derniers à rejoindre le front de libération nationale (FLN) quand il s’était agi de libérer le pays. Le président Ben Bella ferma les yeux et surtout les oreilles devant les prêches incendiaires de Mesbah Houidek, un intolérant bien connu nommé prédicateur de la mosquée d’El Harrach, proclamée alors « mosquée libre ». C’est durant cette même année que des contingents de « coopérants » égyptiens de la mouvance des frères musulmans furent accueillis en frères par Benbella. La majorité d’entre ces invités était faite de condamnés encombrants dont le Rais égyptien Djamal Abdenacer s’était débarrassé à un faible coût politique. Pour le malheur de la république, ces frères musulmans sortant de prison en Egypte furent versés en quasi-totalité dans l’éducation nationale ! L’école algérienne en pâtit encore de nos jours.

b) Juifs et chrétiens exclus du droit à la nationalité algérienne

Durant l’année 1963 on verra également se manifester l’entrisme des islamistes dans l’appareil judiciaire ! Le législateur proclamera l’exclusion des algériens non musulmans de la nationalité algérienne. Désormais la nationalité fut soumise à l’appartenance religieuse musulmane. Le code de la nationalité dit expressément : « … La nationalité de fait, saisie par le droit, ne peut être que l’appartenance à la communauté musulmane ». Les chrétiens et les juifs sont donc exclus de ce droit.

La stratégie entriste des islamistes se précisait alors. Après s’être infiltrés dans l’éducation nationale, ils conquièrent des segments décisionnels importants dans le secteur de la justice, avant de s’insinuer dans l’appareil du FLN parti unique au pouvoir, dans ses organisations de masse et son syndicat unique.

c) La mosquée, une tribune politique hebdomadaire

La soumission de l’université à la Zaouia fut avérée dans les faits durant cette deuxième année de l’indépendance ! Tidjani LHachemi, alors secrétaire général de l’université d’Alger, participera, avec toute la charge symbolique du commis de la république au congrès de la Zaouia des Allaouya qui avait réuni plus de 3000 fidèles de la mouvance islamique. Les chefs spirituels de la confrérie se prononceront ouvertement pour un Etat islamique contre le socialisme, doctrine officielle de l’Etat algérien. D’autres zaouïas suivront l’exemple. Tout comme les Allaouya, les Habria à l’est et les Taybia à l’ouest, fournissaient refuge à l’islamisme politique naissant lui offrant formation, moyens matériels et futurs soldats !

La mosquée d’El-Harrach abritera, durant toute l’année 1964, les réunions des futurs chefs islamistes (Abassi Madani , Ahmed Sahnoun…) avec leurs frères et formateurs égyptiens , irakiens, syriens… sans jamais être inquiétés par le pouvoir qui envisageait déjà une alliance avec cette force politique nouvelle. Il faut croire que pour Ben Bella, amoureux de l’Egypte et sous l’emprise de son maître Djamal Abdenasser, tout ce qui arrivait de l’orient ne pouvait être que bénéfique !

De cette « mosquée libre » d’El-Harrach , les membres de l’association Elqiyam el islamiya (Valeurs islamiques) ont revendiqué l’institution du Vendredi comme journée officielle de repos hebdomadaire. La demande sera réitérée après maints refus, jusqu’à satisfaction officielle le 27 août 1976 arrachant ainsi une tribune politique hebdomadaire dans des milliers de mosquées à travers le territoire national, ce qu’aucune force politique, même le tout puissant parti unique ne pouvait se permettre aussi régulièrement. Boumediene, en faisant cette concession fera basculer l’Algérie, « pays africain ayant le plus de dispositions à la modernité » dans la régression, et l’archaïsme en soumettant le rythme de l’activité économique, sociale et culturelle au calendrier religieux. L’usage concomitant du calendrier lunaire avec la mesure du temps universellement adoptée, témoigne de cet ancrage stratégiquement recherché dans la religion. Rappelons que le siècle des lumières avait été accompagné de la libération de la société européenne de la main mise du pouvoir religieux. Ce n’est que lorsque le pouvoir politique s’était totalement émancipé de l’influence du clergé que la république démocratique a pu devenir le modèle d’organisation politique et sociale le plus élaboré de l’humanité.

L’année 1965 sera marquée par le coup d’Etat organisé par le colonel Boumedienne qui déposa « scientifiquement » le président Benbella qu’il avait installé par la force des armes trois ans auparavant. Durant cette même année, d’autres égyptiens, de la mouvance des frères musulmans dirigée par Hassan El Bana condamné par Djamal Abdenasser, arrivèrent en Algérie pour être versés dans l’éducation nationale.

II – Les principales concessions faites sous le règne de Houari Boumediene

L’attitude mégalomaniaque qui caractérisait le colonel Boumedienne prenait tous ses contours dans le traitement de la question islamiste : il réprimait la mouvance tout en la gardant à un niveau de nuisance qu’il croyait contrôlable pour l’utiliser contre l’avancée des démocrates. Boumediene s’adonnera à ce jeu dangereux de l’équilibre entre islamistes et démocrates en montant les premiers contre les seconds durant tout son règne. Il s’appuyait alternativement sur ces deux forces sociales pour faire passer ses projets sociaux et culturels. L’exemple de la révolution agraire est typique de cet appui conditionné : Il mettra en avant le Parti d’avant-garde socialiste (ex Parti communiste) en faisant appel à ses militants volontaires pour la réussite du projet populiste de la réforme agraire. Après s’en être servi Boumediene lâchera ses étudiants volontaires en les donnant en pâture aux intégristes islamistes auxquels il cédera la mainmise sur les campus universitaires et le contrôle de la franchise universitaire.

a) Islamistes contre démocrates

L’année 1966 verra la dissolution de l’association El-Qiyam el-islamiya fief de l’intégrisme naissant. Elle activera cependant sous la tolérance des services de sécurité de Boumediene (Sécurité militaire) et entretiendra surtout d’assidus contacts avec les frères musulmans du Moyen-Orient en général et d’Egypte en particulier. Les chefs de cette association réussiront même à faire sur le sol algérien la jonction, contre nature, entre les tenants de l’Arabisme (Baâthisme) et l’islamisme naissant, et feront de l’Islamo-Baâthisme leur marque de fabrique, et le sein nourricier idéologique de l’intégrisme religieux en Algérie qui se manifestera trois décennies plus tard par une barbarie jusque là méconnue dans l’humanité.

Après trois années de repli stratégique, exploité dans l’entrisme, l’islamisme se manifestera de l’intérieur des appareils de propagande du pouvoir. Comme pour démontrer une conquête, celle du ministère des affaires religieuses, les islamistes organisèrent une campagne officielle contre la dégradation des mœurs. Ordonnée par Mouloud Kacem Nait Belkacem, cette opération de « nettoyage de la société » menée au nom de la pureté de l’Islam, fut en réalité une campagne contre l’occidentalisation de l’Algérie. Des dizaines de couples seront traînés devant la justice instrumentalisée par le courant islamiste pour… attentat aux bonnes mœurs. L’année 1970 sera marquée par la propagation de cette nouvelle répression à travers le territoire national, ce fut la chasse aux couples, aux jeunes aux cheveux longs, aux jeunes filles habillées à l’occidentale. Pour éviter l’arrestation, les algériens prenaient la précaution de se munir de leurs livrets de famille pour le motif d’être en couple !!!!

Les islamistes qui activaient fortement dans les quartiers pauvres, et les bidonvilles où ils construisaient des « mosquées libres » ont reçu en cette année 1971 un beau cadeau du pouvoir de Boumedienne qui croyait les appâter pour contrôler leur activité clandestine. Une ordonnance instituant la régularisation des mosquées construites sans autorisation est signée le 3 décembre 71. Forts de cet acquis, les intégristes construisirent des milliers de mosquées malgré les obstacles bureaucratiques qu’ils contournaient par la menace et la corruption des commis de l’Etat.

Pour généraliser l’enseignement des « sciences islamiques », les religieux menèrent durant l’année 1971, une campagne forcenée pour l’arabisation grâce aux « appareils Rééducatifs » de l’Etat. Les foyers intellectuels résistants à cette tendance lourde d’arabisation des institutions et de l’environnement socioculturel ont été réduits au silence les uns après les autres. L’exemple de l’union des étudiants algériens (UNEA) dissoute le 16 janvier après arrestation et emprisonnement de ses membres dirigeants constituait une grande victoire pour les islamistes contre les figures les plus représentatives de l’universalité en Algérie. Les politiques d’arabisation menées à l’école ou dans les institutions n’avaient pas d’autre contenu que les valeurs islamistes portées et propagées par le groupe de Tidjani El Hachemi.

b) Légalisation de l’usage du haut parleur électrique dans les mosquées

Ravivant les réflexes de solidarité populaire (Twiza), les intégristes édifièrent des milliers de mosquées à travers le territoire national, transformant même de vieilles églises, et des monuments historiques datant de l’époque romaine !! L’usage du porte-voix et du haut parleur électrique fut alors légalisé dans les mosquées. Les imams modérés aux valeurs locales furent chassés des mosquées par les tenants de l’Islam radical et du djihad. La guerre sainte fut déclarée contre tout ce qui représente l’occident. Le régime de Boumediene qui estimait la situation contrôlable laissait faire estimant même positif le travail social accompli par les islamistes dans les quartiers pauvres et les campagnes lointaines !

Les démocrates représentés alors par le courant progressiste communiste, avec son parti toléré le PAGS, apportait son soutien critique au dictateur Boumediene ! Victime de la vision économiciste », cette école marxisante n’accordait pas une grande importance à la culture et à la religion. « Tout se changeait par l’économie », pensait-on alors. Le grand Lénine n’avait-il pas dit que « l’économie était déterminante en dernière instance ». Fort de ces certitudes qui sonnaient si bien et qui dispensaient de réflexion et d’engagement contre la régression, les femmes et hommes de gauche ont rangé comme excroissance cet intégrisme religieux si loin des grands boulevards de la capitale !! « Le développement des forces productives, la croissance et la répartition de la richesse par la généralisation du salariat se chargeront de reléguer cette tendance à l’intolérance, cet intégrisme religieux naissant au ban de la société », telle était la vision angélique des intellectuels de la gauche algérienne la plus engagée que les islamistes classaient parmi les premiers ennemis à abattre.

c) Fermer les églises et les synagogues

L’année 1973 verra les intégristes islamistes mobiliser, dans le pays profond, les propriétaires terriens contre la révolution agraire, le projet ambitieux de Boumedienne sensé bouleverser les rapports de production dans la paysannerie et remettre « la terre à ceux qui la travaillent ». Durant cette même année la ville de Constantine connaitra une singulière croisade contre les lieux de consommation d’alcool. Un grand nombre de débits de boissons alcoolisées seront fermés puis squattés et transformés en mosquées. Les autorités locales représentées par des opportunistes du parti unique qui sentaient le vent tourner laissaient faire, voire encourageaient la tendance. L’année d’après les églises et les synagogues feront les frais de cette occupation par la force. Elles seront transformées en mosquées, à l’exception de celle qui servaient de siège au parti FLN, parti unique au pouvoir !

Entre 1970 et 1975 deux cents associations religieuses ont été recensées. Un certain nombre d’entre elles entretenaient des liens assidus avec les fondateurs de la première association intégriste Valeurs islamiques, dissoute regroupés autour de Tidjani Lhachemi.

L’Algérie connaitra durant l’année 1976 la véritable affirmation de la force politique réelle des islamistes. Ils obtiendront durant cette année des concessions auxquelles ils ne pensaient jamais arriver. La mise au pas puis la répression organisée des « brigades de volontaires » étudiants proches du PAGS, permit aux islamistes la conquête facile des campus et cités universitaires. Ils érigèrent des salles de prière puis des mosquées dans tous les espaces traditionnellement occupés par les étudiants et les intellectuels progressistes. De graves agressions étaient perpétrées par les intégristes contres les étudiants progressistes et le pouvoir laissait faire tant que l’avantage était du coté islamiste.

d) renforcer l’éducation religieuse

Les concessions théoriques et formelles, faites au courant progressiste, consignées dans « La charte nationale », document idéologique autour duquel furent organisés des débats populaires contrôlés par le parti unique, étaient balancées et équilibrées par des concessions réellement palpables faites au courant islamiste euphorique. Ce document que la sagesse populaire appelait « Tarte nationale » recommandait dans sa page 23 « la nécessité de renforcer les disciplines religieuses comme matières essentielles dans les programmes scolaires ». Les intégristes qui occupaient en partie les centres de décisions du ministère de l’éducation ne s’étaient pas faits prier pour appliquer ces recommandations. Paradoxalement la charte nationale réaffirme le caractère scientifique et technique de l’école algérienne. Dans la pratique des centaines d’apprenti-sorciers sont recrutés pour enseigner aux enfants de six ans … la pratique de la torture en enfer réservée aux infidèles, à tous ceux qui ne sont pas musulmans ! L’éducation islamique est devenue une matière fondamentale enseignée à la place de l’éducation civique.

Dans la foulée des concessions faites à l’intégrisme comme mouvance l’adoption du vendredi comme journée de repos hebdomadaire fut un acquis qui rendra irréversible le caractère islamique du pouvoir algérien.

Cette concession d’apparence anodine permettra aux islamistes d’avoir des tribunes politiques par milliers sur tout le territoire national. Cinquante deux fois par an les islamistes radicaux se voient offrir des espaces d’expression politique, des tribunes gratuites non soumises à autorisation, un auditoire acquis sur lequel ils peuvent déverser à loisir des prêches incendiaires mobilisateurs, et des fatwas qui autorisent « la rééducation des mécréants » et aussi leur…assassinat. Entendre par mécréant tout algérien qui ne partage pas la vision dantesque de l’intégrisme naissant !

e) 27 août 1976 premier week-end islamique

Le pouvoir rongé de l’intérieur et pressé de l’extérieur cède ainsi au marchandage islamiste et met en péril le caractère républicain de l’Etat. Ce vendredi 27 août 1976, premier weekend islamique marquera un tournant décisif et fera faire un bond qualitatif considérable à l’islamisme politique en Algérie

Depuis ce jour, la connivence du pouvoir sera manifeste avec les islamistes qui concrétisent un ancrage mesurable dans la société qu’ils soumettent à leurs règles et leurs visions moyenâgeuses du rapport social. Les quartiers, les écoles, les immeubles, les universités, les stades, et même les relais routiers auront leurs salles de prière et leurs mosquées.

Boumediene a joué avec le feu, il eut un énorme retour de flamme. En voulant utiliser l’islamisme pour contenir la montée de la démocratie comme aspiration profonde de la population et des forces progressistes, il a offert le pays sur un plateau à l’intégrisme religieux national coopté par la nébuleuse islamiste internationale. Après Ben Bella qui importa la mouvance des frères musulmans, Boumediene musela les forces démocratiques porteuses de visions et de pratiques progressistes qui pouvaient contenir la montée de l’intégrisme islamiste, il offrit l’école aux idéologues islamiques et ouvrit la porte du pouvoir à tous les entristes dont l’unique combat est pour le triomphe de l’Etat islamique.

III-Les concessions faites sous le règne de Chadli Bendjedid

Le premier coup de boutoir des islamistes qui avaient réussi sous la gouvernance de Boumediene à s’introduire dans les appareils du pouvoir, fut la conquête de l’appareil du parti unique ! En effet pour contrôler le ministère des affaires religieuses Chadli le mit sous la tutelle du parti FLN. Dans la réalité, cet appareil si convoité passa sous l‘influence du lobby religieux.

La chasse aux progressistes continuait, les islamistes déployaient des trésors d’ingéniosité pour barrer la route aux éléments porteurs d’idées de progrès et de démocratie, l’idéologie qui freinait l’expansion des islamistes. C’est ainsi que le lobby intégriste de l’intérieur du parti décida de purifier et expurger l’UGTA de tous ses éléments marxisants porteurs d’une culture de revendications et de combat pour la cause ouvrière.

a) De l’usage de l’article 120 ou comment bloquer le courant progressiste

On vota alors le fameux article 120 qui faisait obligation d’être militant du FLN pour assurer une responsabilité dans les institutions de l’Etat- Grace à cet article tous les intellectuels et cadres de gauche furent écartés des centres de décision livrés au lobby intégriste qui tissait sa trame autour du président Chadli durant cette année charnière de 1979.

L’année 1980 connaîtra l’apparition et la diffusion à grande échelle de la littérature intégriste, livres, cassettes, brochures, films et dépliants divers. Des stands furent ouverts dans les marchés populaires sans que le pouvoir s’en inquiète. Chadli Bendjedid continuera la politique d’arbitrage entre les forces progressistes et l’islamisme envahissant. Les premières jugées dangereuses pour les légitimistes du pouvoir furent violemment réprimées tandis que le courant islamiste était choyé comme un allié de circonstance auquel on offre l’hospitalité. L’invité s’était avéré finalement envahissant au point d’exclure le propriétaire des lieux. L’année 1980 fut celle de la répression des forces démocratiques. Les Algériens de Kabylie découvriront à leur détriment jusqu’où le pouvoir pouvait aller dans sa logique répressive. Le mouvement culturel berbère, porteur de revendications identitaires pacifiques loin de toute conquête de quelconques parcelles de pouvoir fut réprimé dans le sang de manière bestiale. Ce fut la répression la plus violente à laquelle on assista depuis l’indépendance. Elle s’accompagna de l’arrestation des principaux animateurs du Mouvement culturel berbère (MCB), leur emprisonnement et leur condamnation à de lourdes peines. Le printemps berbère fut transformé part le pouvoir inspiré par ses égéries islamistes en un bain de sang qui traumatisa la région et marqua à jamais la mémoire populaire.

b) Les islamistes contre la revendication identitaire berbère

Les islamistes qui occupaient la plus haute hiérarchie des centres de décisions du parti unique criaient au danger qu’encourait l’unité nationale à cause des revendications identitaires du Mouvement culturel berbère (MCB). Ces gens là qui n’ont pas dépensé une once d’énergie durant la guerre de libération pour l’indépendance du pays découvraient à l’occasion de cette répression les vertus de l’unité nationale. En vérité leur combat est ailleurs, contrecarrer tout mouvement porteur de modernité, écarter toute force porteuse de dynamique progressiste. Les islamistes qui se sont accommodés du pouvoir rentier connaissent leurs véritables adversaires. Les institutions républicaines doivent être vidées de leurs animateurs progressistes et la société doit être stérilisée des embryons de démocratie. Inspirer, susciter et ordonner la répression qui sera exécutée par les forces de l’ordre telle est la tactique des islamistes de l’intérieur des appareils de l’Etat et du pouvoir. Discréditer les forces de sécurité aux yeux de la population en leur faisant jouer le rôle de force de répression fait partie de la stratégie islamiste de destruction en profondeur de l’Etat républicain inachevé.

L’année 1980 sera donc celle de la répression officielle à une large échelle de la manifestation culturelle de l’identité amazighe millénaire. Un grand cadeau fait aux tenants de l’islamisme en conjonction stratégique avec l’arabo-baathisme qui nie toute existence aux peuples berbères avant l’arrivée de l’islam en Afrique du nord.

c) La jonction entre l’islamisme et l’économie de bazar

Les islamistes bien installés au pouvoir plantent leurs banderilles dans le corps social sous forme d’injections de doses plus au moins violentes d’intégrisme religieux. La première foire du livre islamique où des milliers d’ouvrages exaltent la guerre sainte, le djihad, contre tout ce qui ne ressemble pas à l’islamiste pur et dur, est organisée en cette année 1981 dans un contexte politique marqué par le slogan « Pour une vie meilleure ». On permit aux algériens de dépenser leur épargne. On importa pour des milliards de dollars de marchandises, on inonda les marchés, ce fut la consommation à rendre gorge. La nouvelle bourgeoisie née des rouages de l’Etat socialiste, organisatrice de cette ouverture sur le marché mondial après une vingtaine d’années de patriotisme économique, reçut la bénédiction des religieux qui organisèrent à l’occasion l’ouverture vers les marchés d’Orient. « Tidjara Hlal » (Tout commerce est licite) fut le slogan islamiste de cette nouvelle bourgeoisie boulimique qui ne tarda pas à passer sous la coupe du pouvoir rentier dans lequel les islamistes sont bien implantés. Le rêve des islamistes de réunir les moyens financiers pour leur conquête du pouvoir allaient se concrétiser dans une tactique de participation au capital commercial des monopoles du commerce extérieur. Ils deviendront, après une décennie, maîtres du marché dans de nombreux produits stratégiques. L’année 1982 connaitra un pic dans la barbarie islamiste dans les espaces universitaires ! L’assassinat de Kamal Amzal, un étudiant universaliste de 22 ans, sur le campus de Benaknoun marquera pour toujours la mémoire universitaire Algéroise. La réaction des pouvoirs publics fut de classer cette mort comme un non événement

d) El Ghazali, l’imam du président.

Dans sa grande solitude face au lobby religieux, Chadli Bendjedid importa un imam d’orient, un conseiller en matière religieuse, un Raspoutine sans péchés, un profil au charisme si fort qu’il allait faire pièce au lobby religieux local ! Ce fut l’arrivée de l’imam égyptien El Ghazali comme égérie officielle du président algérien.

Comme pour saluer l’arrivée de ce « messie », on ordonna durant l’année 1982 la généralisation de la publication et de la vente des revues islamiques : Al Daawa d’Egypte, Al Oumma un mensuel du Qatar, « Al nadhir » publiée des islamistes syriens en Allemagne, « Al iktisad » des émirats arabes unis, Al Habib dirigée par des islamistes tunisiens etc. On assista également à l’apparition de prédicatrices (Daaîyates) dans les villes et villages, des jeunes femmes en voile noir (Hidjab) rendant visite aux femmes aux foyers pour diffuser le message intégriste, témoignage de la variété des moyens utilisés par l’activisme religieux pour pénétrer la société en profondeur. Ce mouvement durant du début de l’année 1983 à la fin de l’année 1984. Les cadres et intellectuels islamistes travaillant à l’intérieur du pouvoir tenteront une jonction avec leurs frères des quartiers populaires. Le pouvoir fera appel officiellement aux intégristes pour encadrer les mosquées. Ce rapprochement sera dénoncé par le président même dans son discours du mois de novembre 1986, mais c’était déjà trop tard, les mosquées étaient entre les mains des islamistes les plus radicaux.

e) Un code pour la famille algérienne

L’année 1984 verra le pouvoir faire une concession de taille aux islamistes : le code de la famille inspiré de la chariaâ, loi islamique suprême, fut promulgué. Avec ce code la femme algérienne sera un être mineur à vie ! Elle perdra la quasi-totalité de ses droits acquis de haute lutte sur le front du travail et de l’émancipation sociale et culturelle. L’année 1985 sera marquée par l’intégration dans la fonction publique des imams intégristes, qui pratiquaient en marge du système. Le ministère des affaires religieuses leur offrira un salaire et un logement pour pratiquer leur foi sans contrainte. L’année 1986 sera celle de la béatitude et des déclarations euphoriques des islamistes. Boualem Baki, ministre de la religion, note avec satisfaction que le nombre d’enseignants du coran s’élève à plus de 4000 dans une lettre adressée aux éducateurs et aux directeurs des collèges et des lycées. Il vote 5000 postes budgétaires en faveur de l’enseignement religieux.

Nordine Boukrouh, intellectuel VIP du système, subjugué, fait dans l’hebdomadaire Algérie Actualité l’apologie de l’imam El Ghazali, lequel religieux égyptien fut promu officiellement conseiller du président en matière de religion. L’année 1987 fut marquée par l’expression ostentatoire de l’intégrisme religieux dans l’espace publique, la rue, les marchés, les usines qu’on arrêtait le temps de la prière collective. Octobre 1988, le pouvoir affaibli reculera face à l’intégrisme après les manifestations guidées par Ali Benhadj le 9 et le 10 octobre.

f) Octobre 1988, la révolte populaire récupérée par les islamistes

L’année 1988 confirmera l’existence du courant islamiste comme force politique organisée possédant les moyens humains et matériels pour la conquête du pouvoir. L’année 1989 verra la légalisation anticonstitutionnelle du Front Islamique du Salut(FIS). En 1990, le FLN cédera la rue au FIS. Ali Benhadj organise une manifestation, le FLN annule la sienne dans le même quartier. Ce fut une sorte de passation de témoin historiquement assumé entre les deux fronts. En réalité, les islamistes de l’intérieur du pouvoir ouvraient la porte aux islamistes de la rue avec lesquels ils avaient convenu d’une division des taches. Durant cette année 1990, le FIS enfonça les portes ouvertes des municipalités qu’il remporta grâce à la fraude, culture qu’il partage largement avec le parti unique. Les enquêtes sur les irrégularités promises par le pouvoir n’avaient jamais été entamées pour aboutir. L’année 1991 avait vu le gouvernement dirigé par Sid Ahmed Ghozali organiser des élections législatives qui avaient permis au FIS de mettre la main sur le parlement dès le premier tour. L’Algérie allait entrer dans l’ère de l’Etat théocratique ! Entre les deux tours Mohamed Saïd un intégriste kabyle demanda à la population dans un appel télévisé de s’habiller à la mode islamique (Hidjab, Djelbab, chador, kamis et chachia) ! L’animatrice N. M., la chouchou de la télévision nationale, fut la première à se mettre en hidjab ! Le FIS voulait donner l’exemple par le média lourd !

Le camp démocratique réagit en faisant appel à l’armée. Le processus électoral fut arrêté entre les deux tours. L’avènement du haut conseil d’Etat (HCE), la parenthèse Boudiaf puis la guerre ouverte proclamée par les islamistes contre l’Etat républicain et contre la population qui s’était largement abstenue lors des élections législatives, ont marqué l’année 1992.

La décennie 1993-2002 sera celle de la résistance populaire à la démence intégriste, à la barbarie terroriste. Ce sera également celle de la prise de conscience internationale par rapport à la nature globale de l’intégrisme islamique et à la nécessité de cerner ses causes pour réduire ses effets. Nous fournirons dans une prochaine contribution la chronologie de ce combat anti-intégriste mené de l’intérieur et de l’extérieur des institutions et supporté par le peuple opposé à l’idéologie et aux pratiques théocratiques avec les milliers de victimes de la sauvagerie intégriste – journalistes, jeunes du contingent, femmes cibles privilégiées de la terreur intégriste, hommes de culture, simples bergers ou commerçants refusant le racket !

L’histoire de cette héroïque résistance populaire à l’érosion mortifère de l’intégrisme islamique reste à écrire.

Rachid Oulebsir

Ecrivain, essayiste, chercheur en culture populaire

Diplômé d’études approfondies en Economie politique des universités Paris Nord et Paris 1 Panthéon Sorbonne (France)