Ali Haddad-Issad Rebrab, de la difficulté de la bourgeoisie algérienne à se doter d’un Etat

Ali Haddad-Issad Rebrab, de la difficulté de la bourgeoisie algérienne à se doter d’un Etat

Lorsqu’une guerre en règle est déclenchée contre le premier des investisseurs algériens, le message devient strident. Il faut mettre les avoirs à l’abri. Le caractère dominé de la bourgeoisie algérienne vient de là. Elle ne s’est pas encore approprié son Etat. Et un Etat sans un agent économique historique est un vaisseau à la dérive.

Les acteurs de marché algériens ont décidé cette semaine d’anticiper massivement un bond important de l’inflation en 2016. Il s’en suit une accélération du mouvement d’épargne en devises. La conséquence est spectaculaire. Il faut désormais plus de 170 dinars pour acheter un euro sur le marché parallèle. La tendance s’autoalimente. Comme un décrochage de titre en bourse. La propension à se débarrasser, pour ceux qui ont une épargne et qui le peuvent – d’un dinar qui va avoir moins de valeur dans les mois qui viennent, ira grandissante si rien ne vient redonner de la lisibilité sur l’avenir. Les cambistes au noir y ont même été de leur analyse du marché. « C’est un effet Rebrab » a expliqué, au square Port Saïd, l’un d’entre eux à une consœur. Une partie du public a même compris que le groupe Cevital serait entrain de transférer de la trésorerie vagabonde par le change parallèle. C’est bien sur fantaisiste. Par contre, l’effet Rebrab joue à fonds dans le comportement des autres épargnants qui considèrent globalement que le climat des affaires est allé pour se dégrader, que l’investissement va ralentir (encore plus), et que le dinar n’a pas d’avenir en tant que monnaie de réserve. Le fait est que l’inflation ne devrait pas en 2016 s’amplifier autant que cela est redouté par les détenteurs excédentaires de dinars. D’une part, une partie conséquente de la dévaluation du dinar officiel a, en 2015, déjà été consommée – certes pas entièrement répercutée dans les prix importés-, et d’autre part la distribution monétaire par le trésor public va ralentir en 2016 avec un budget prévisionnel en récession de 9%.

Il faut en conclure que la défiance vis-à-vis du dinar va plus loin que la seule phobie d’en perdre une partie du pouvoir d’achat dans les prochains mois. Elle concerne plus stratégiquement, la relation de la bourgeoisie algérienne à son Etat. Elle est historiquement corrélée au niveau de la rente énergétique disponible. Lorsque celle-ci est élevée comme durant une longue partie du règne de Bouteflika, « l’accompagnement » de l’Algérie par une partie de ses élites d’argent est garantie. Lorsque la roue tourne, l’évasion des fortunes et des projets de vie devient aussitôt la norme au sein d’une frange grise du capitalisme algérien. Mais aussi des classes moyennes supérieures habituées à décrypter l’avenir que sur le mode univoque du chaos qui va arriver. Ce qui aurait du empêcher un tel turnover qui rend si volatile l’adhésion nationale d’une frange trop importante de la bourgeoisie algérienne à son Etat-Nation, c’est une production de sens politique à son dessein économique. Une invitation argumentée et convaincante à investir durablement en un territoire sous capitalisé : l’Algérie. Le président Bouteflika a cessé de le faire depuis son accident de santé de novembre 2005 il y’ a dix ans. Il en reste un mouvement oscillatoire sans pondération. On se rapproche du guichet de l’Etat puis sans transition on s’en sauve. Au premier basculement de la balance des paiements. Lorsqu’une guerre en règle est déclenchée contre le premier des investisseurs algériens, le message devient strident. Il faut mettre les avoirs à l’abri. Le caractère dominé de la bourgeoisie algérienne vient de là. Elle ne s’est pas encore approprié son Etat. Et un Etat sans un agent économique historique est un vaisseau à la dérive. Cela s’entend à Port Said. Au bruit des canoës de sauvetage jetés à la mer. Alors même que la tempête est encore loin.

Ali Haddad aurait du réconforter les capitalistes algériens sur l’opportunité d’affaires Algérie. Il a essayé. Il a échoué. Il est arrivé à la tête du FCE il y’aura une année à la fin du mois de novembre et le résultat sur ce terrain est presque contre-productif. Une grande partie des membres du Forum des chefs d’entreprise ont fini par adhérer à l’intronisation de Ali Haddad à cause de sa forte proximité avec le président Bouteflika à travers son frère Said. L’argument n’est pas insensé. Puisque l’investissement et le développement des affaires est toujours sous tutelle politique en Algérie, autant avoir un patron des patrons qui a l’oreille des vrais décideurs. Il faut bien se résoudre au constat. Le FCE version Ali Haddad n’a pas encore réussi à déblayer le terrain bureaucratique devant les investisseurs privés. Louiza Hannoune se trompe lorsqu’elle affirme qu’une oligarchie décide de la politique économique du pays. C’est une grossière méprise. L’oligarchie à laquelle elle fait référence améliore peut être ses positions de marché, remporte de nouveaux contrats dans des domaines ouverts au privé depuis longtemps. Mais elle ne réussit absolument pas à modifier la carte des investissements, et la logique de la production en Algérie. Elle ne contribue pas à détacher plus vite l’Etat de la rente. 11 mois après l’arrivée de Haddad à la tête du FCE, le nombre de secteurs fermés à l’investissement privé en Algérie est toujours le même. Alors que la conjoncture de la chute du prix du pétrole aurait raisonnablement du accélérer l’ouverture réclamée dans les 50 propositions du FCE. Pourquoi Ali Haddad en est il quasiment au même point une année après ? Parce que la contrainte de la rareté des ressources n’est pas suffisamment forte pour décider d’une nouvelle répartition des opportunités dans le capitalisme algérien. Ce qu’est potentiellement l’ouverture d’un nouveau secteur d’activité à la concurrence du privé.

Le clan Bouteflika continue de réfléchir comme un acteur et non comme un régulateur. Dans l’aviation, dans la navigation maritime, dans Internet, dans les médias lourds, dans les banques, dans les institutions financières, dans la réalisation des zones d’activité, dans tous les secteurs fermés à l’investisseur privé, l’urgence n’est pas de mobiliser de nouveaux capitaux mais de faire profiter des investisseurs amis. Si eux ne sont pas prêts, ou n’ont pas de compétences dans la filière, elle restera fermée. Ali Haddad peut comprendre que son intérêt de bâtisseur et de faire progresser l’ensemble de son environnement d’affaires. Et pas seulement ses propres affaires. Le fait est qu’il n’a pas le poids de le faire entendre à ses amis décideurs. Dans l’affaire Rebrab, Ali Haddad aurait eu tout à gagner à s’engager clairement en faveur de la facilitation d’investissement qu’il réclame globalement pour ses pairs du FCE et pour tous les entreprenants algériens. On comprend alors un peu mieux, pourquoi l’expansion de la part du privé dans les secteurs d’activité reste en berne à fin 2015. Un détail de poids. La chute du prix du baril en 1985-1986 a trouvé un système d’offre de biens et de service entièrement dominé par le secteur public. Catastrophe budgétaire. Le plus grand matelas de sécurité dans la nouvelle séquence de contre choc pétrolier en cours est justement là. Le secteur public est, en hors hydrocarbures, passé partout sous les 50% en poids relatif : valeur ajoutée, emploi, impôts. La rareté annoncée de l’argent public aura donc moins d’incidence sur l’économie. Parce que la part de la production privée a grandi depuis trente ans. Mais pas assez.