Le tribunal criminel près la Cour de Blida a auditionné les derniers témoins dans l’affaire en appel de la caisse principale de Khalifa Bank. Il s’agit des présidents de club de football, ayant bénéficié d’opération de sponsoring et de véhicules (comme la JSK) d’anciens joueurs internationaux, à l’instar de Lakhdar Belloumi, mais aussi de celui qui s’occupait de la direction sportive au sein du groupe Khalifa, le journaliste Maâmar Djebbour.
Mais auparavant, Antar Menouar a appelé à la barre le vice-gouverneur de la Banque d’Algérie, dont l’audition était prévue avec ses collègues de la commission bancaire mais qui était retenu pour des raisons professionnelles.
Ali Touati, membre du conseil d’administration de Sonatrach depuis 14 ans qui, selon lui s’était violemment opposé à ce que cette entreprise opère des dépôts à Khalifa Bank, a été nommé vice-gouverneur de la Banque d’Algérie en juin 2001. C’est lui-même qui a élaboré le rapport sur les transferts des capitaux. Lequel rapport avait disparu dans les couloirs du ministère des Finances, géré à l’époque par Mourad Medelci, pendant trois mois. Et il a fallu que la chefferie du gouvernement s’en inquiète pour qu’une deuxième copie soit envoyée au premier argentier du pays de l’époque, M. Terbèche. C’est ce même vice-gouvernement qui a signé la décision de retrait d’agrément à Khalifa Bank.
Le témoin a expliqué au tribunal comment se font les opérations de contrôle. Lequel est exercé par la Commission bancaire (CB) qui s’appuie sur l’inspection générale. « Quand il y a des manquements aux règles prudentielles, il y a des rappels à l’ordre, l’admonestation puis graduellement l’audience disciplinaire, l’administration provisoire qui peut durer dans le temps, l’ultime sanction étant le retrait d’agrément.»
«J’avais pas confiance en cette banque»
Pour ce qui concerne Khalifa Bank, le témoin a affirmé qu’il a été abasourdi par les dépenses en devises. En janvier 2001 (Touati était alors directeur des changes) il en parle au gouverneur de l’époque, en l’occurrence Abdelwahab Keraman. « Je lui ai dit que je n’avais pas confiance en cette banque.» Le gouverneur ordonne alors à l’inspection générale d’opérer un contrôle exhaustif sur les opérations de transferts. Le juge lui demande pourquoi il n’avait pas confiance en Khalifa Bank. « On n’avait pas de preuves, maison avait le sentiment que quelque chose n’allait pas. De plus, toutes les informations données par la banque à la Banque d’Algérie étaient fausses. Il aura fallu que Djellab soit nommé administrateur pour qu’en deux mois on découvre l’ampleur de la catastrophe. La banque transférait de l’argent sans autorisation. »
En juin 2001, lorsque Ali Touati a été nommé adjoint de Laksaci en même temps que ce dernier a été désigné gouverneur, il est informé que les résultats des inspections étaient prêts. Tout comme le rapport. « J’étais certain que les faits contenus dans le document des inspecteurs relevaient du pénal. J’ai réagi en bureaucrate. J’ai alerté l’institution en charge des poursuites pénales, à savoir mon homologue à savoir le secrétaire général du ministère.» Le tribunal lui demande d’être plus précis. « Il s’agit d’évasion caractérisée des capitaux. Concernant les stations de dessalement d’eau de mer, de la véritable quincaillerie, inutilisables.»
Le témoin est interrogé sur le fait que les Inspecteurs ayant opéré les contrôles à Khalifa Bank n’étaient pas assermentés. « Personne ne peut vous dire pourquoi. Mais cela n’empêche en rien la répression des infractions.» Il affirme qu’il avait fait des propositions dans ce sens mais ne sait pas ce qui s’est passé, il y a eu un bug. « En plus, à l’époque on sortait de l’enfer du rééchelonnement, j’ai piloté 10 opérations de rééchelonnement. On avait d’autres priorités.» Et le témoin d’ajouter : S’il n’y avait pas la loi 96-22, j’aurais moi-même pris les dispositions et saisi le parquet. Pour moi, Khalifa était en train de saigner l’Algérie. Et le fait que les inspecteurs n’étaient pas assermentés est un détail. Il y a eu de graves infractions relevant du pénal. Il fallait réagir. »
«Khalifa m’a dit je ne sais pas gérer une banque, aidez-moi !»
Le juge lui demande de confirmer ses propos tenus devant le doyen des juges d’instruction de Chéraga, M. Tahir, selon lesquels il avait bel et bien reçu Abdelmoumène. « Je ne l’ai pas reçu à sa demande. Je l’ai convoqué pour admonestation. Je lui ai lu tous les manquements dont sa banque s’était rendue coupable et je lui ai dit qu’il était dans la trajectoire de l’audience disciplinaire. Le PDG de la banque ne comprenait pas ce que je lui disais. Il incarnait pour moi l’incompétence intégrale. » Ali Touati fera une révélation de taille. Il a affirmé, suite à l’admonestation, que Rafik Abdelmoumène Khalifa lui a dit qu’il n’était pas banquier. « Je ne sais pas gérer une banque, aidez-moi.»
Le tribunal demande au vice-gouverneur comment l’ex-golden boy voulait se faire aider. « En lui fournissant du personnel, alors qu’il avait pris dans sa banque la plus haute valeur des banquiers algériens. De plus la Banque d’Algérie l’a aidé en lui accordant l’agrément. Ce qu’elle ne fait pas aussi facilement et en si peu de temps. » Ali Touati a également indiqué que Abdelmoumène avait demandé l’autorisation du gouverneur de la BA pour ouvrir une agence de Khalifa Bank à Paris. Consulté, le vice-gouverneur oppose une fin de non-recevoir car il a estimé elle deviendrait une « pompe aspirante de devises.» Le gouverneur se range de son côté. M. Touati a indiqué que même l’achat d’une banque en Allemagne est illégal et n’avait pas d’autorisation. « Ce n’était pas ses fonds propres mais l’argent des épargnants.
« L’Etat ne peut pas monétiser une banqueroute frauduleuse»
Concernant la décision de l’interdiction de toute activité de commerce extérieur, le témoin a déclaré qu’elle a été validée par la commission bancaire, car « on n’était pas à l’abri d’un recours. Ce que Khalifa n’a pas fait. »
Le juge lui demande si après cette décision les transferts se sont poursuivis. « Sous réserve de la véracité des informations qui me parvenaient, Khalifa s’est constitué un trésor de guerre à l’étranger en utilisant une machine électronique (swift) pour transférer l’argent et le redistribuer à ses fournisseurs », indique M. Touati.
Quant à la motivation de la nomination de l’administrateur provisoire, il dira que la décision a été prise sur la base des données des inspections, du non-respect des règles prudentielles. « Sa mission devait prendre fin lorsque la banque est remise en marche pour ne pas constituer un danger pour les épargnants et la place financière. Une banque malade peut faire tomber toutes les autres et puis il fallait protéger l’argent des épargnants.
Le tribunal l’interroge sur la possibilité de refinancement de Khalifa Bank. Ce à quoi M. Touati répond qu’il n’y a jamais eu de demande formelle dans ce sens. Il explique que les actionnaires avaient refusé de mettre la main à la poche. Le PDG avait demandé la recapitalisation avec les avions de Khalifa Airways qui n’étaient pas payés. Ajouter à cela que la loi interdit la recapitalisation en apport industriel. CE qu’a contesté Me Lezzar qui a relevé que les interdits s’accumulaient pour le groupe Khalifa. Le témoin poursuit son explication. « Certains pensaient que la Banque d’Algérie pouvait le faire, « cela aurait été la plus grande honte pour elle. » Et d’ajouter avec force conviction : « On ne monétise pas une banqueroute frauduleuse.» Il a aussi indiqué que le retrait de l’agrément était nécessaire, voire inéluctable.
Questionné par le procureur général sur le rapatriement ou pas des devises de Khalifa Airways, M. Touati a indiqué que la compagnie rapatrie ce qu’elle voulait, elle n’avait pas de comptabilité. En fait Khalifa Airways jouait sur du velours en termes de bénéfices, profitant de l’impossibilité pour Air Algérie d’assurer le transport de tous les passagers vers plusieurs destinations.
A la question de l’avocat de Abdelmoumène de savoir sur quel rapport il s’est basé pour conclure que Khalifa Airways ne rapatriait pas les devises, le témoin, malmené il faut le dire par les avocats des différents inculpés, a révélé que c’était le directeur général de la compagnie lui-même qui saisissait la Banque d’Algérie à plusieurs reprises pour lui demander, à chaque fois de lui accorder des délais, le temps de régulariser la situation. Ce qui n’a pas été fait, selon M. Touati.
« Le sponsoring des clubs était du populisme »
L’audition du vice-gouverneur a duré toute la matinée avant de laisser place dans l’après-midi à celle des sportifs. Et c’est l’x-président de l’ES Sétif qui ouvre le bal. M. Serrar, dont le club a été sponsorisé par Khalifa (4 millions de dinars). Pressé par les questions du procureur général, il a estimé que l’opération de sponsoring relevait plus du populisme que du commercial. Il dira qu’en matière de football, les grandes marques font du gagnant-gagnant en ne finançant pas plus de deux clubs et pas des moindres. Ses autres homologues ont tenu quasiment les mêmes propos que lui en précisant que les conventions de sponsoring étaient pilotées et signées par Maâmar Djebbour. L’ex-président de l’ASMO a affirmé qu’avec tous les sponsors, y compris Khalifa Bank, le club ne s’en sortait pas financièrement. M. Belabbès Belkacem a affirmé avoir contracté un crédit de 17 millions de dinars qu’il dit être légal, mais affirme en même temps qu’il n’a remboursé que les intérêts. L’entreprise qu’il possédait, spécialisée dans le catering avait déclaré faillite. Il a reconnu sa négligence quant à cette question notamment en coupant tout contact avec le liquidateur. Il n’est pourtant pas inculpé par la justice pour abus de confiance.
Pour sa part, le président de la JSK qui comptabilise 22 années à la tête du club, a affirmé qu’il a cosigné la convention de sponsoring avec Djamel Guellimi, dont il dit avoir oublié le montant. Tout ce que je sais, c’est qu’à chaque fin du mois on envoie la facture à la direction générale de la banque et il nous verse l’argent, dont les salaires pour les 26 joueurs et le staff technique et 27 véhicules de marque Peugeot 307 HDI. Mohand Chérif Hanachi semble frappé d’amnésie allant jusqu’à omettre ses déclarations devant le juge d’instruction. En revanche, il admet avoir loué un local à la banque (300.000 dinars). « Mais pour récupérer les clés du local après la dissolution, j’ai dû verser 4 millions de dinars au liquidateur.» Toutefois, Il a déclaré aussi que le club était très à l’aise avec Moumène
Demain, ce sera au tour de Moncef Badsi d’être auditionné. Le liquidateur de la banque est très attendu, tant il a accumulé plus d’informations qu’en 2007.
Faouzia Ababsa