La chancelière allemande Angela Merkel a beau être considérée comme « la femme la plus puissante du monde », en 33 ans de carrière politique elle n’a pas plus joué la carte féminine que Margaret Thatcher.
A 59 ans, elle a éliminé d’innombrables hommes politiques, sans jamais promouvoir la cause des femmes.
Mais durant la campagne pour les législatives de dimanche, à l’issue desquelles elle compte sur un troisième mandat de quatre ans, elle a sidéré parfois en levant le voile sur des aspects plus personnels.
« La chancelière travaille à modifier son image, largement à destination de l’électorat féminin, et veut transformer +Merkel la machine qui résout la crise de la zone euro+ en une responsable politique à visage humain », analysait l’hebdomadaire Der Spiegel.
Selon les sondages, elle dispose d’une confortable avance sur son rival social-démocrate Peer Steinbrück, auprès des femmes comme des hommes.
Mais avec 32 millions d’électrices pour 30 millions d’électeurs, le vote des femmes est crucial.
Désignée femme la plus puissante du monde par le magazine Forbes, au cours de sept de ses huit années à la chancellerie, ce docteur en physique que les militants de son parti conservateur CDU surnomment Mutti (maman) pour son côté réconfortant et pragmatique apparait lourdement maquillée sur son site de campagne, regardant avec adoration son époux, docteur en chimie.
On pourrait croire que c’est lui, Joachim Sauer, le candidat.
« A la maison, loin du tohubohu de la politique, je peux me libérer l’esprit, lire et reprendre des forces avec ma famille », écrit-elle, ce qui a fait dire à plusieurs commentateurs qu’elle « jouait la femme au foyer ».
« J’adore faire la cuisine, et mes plats favoris sont les +roulades+ (tranche de bœuf braisé enroulé autour d’une farce) et la soupe de pomme de terre », continue-t-elle. « Mon mari se plaint rarement. Seulement quand il n’y a pas assez de pâte sur le crumble ».
Selon la journaliste et écrivain Bascha Mika, Mme Merkel a retourné à son profit le terme sexiste « Mutti ». « Elle s’est emparée de ce qui était une insulte et s’en est faite une image de mère de la nation, qui prend en charge vos soucis, qui a tout sous contrôle », commentait-elle pour l’AFP. « Je trouve ça très astucieux, mais aussi néfaste, car elle traite les électeurs comme des enfants, leur dit +ne vous inquiétez pas, je m’occupe de tout+, c’est le summum de la dépolitisation », continuait Mme Mika.
Les rivaux de Merkel l’accusent régulièrement d’étouffer les débats épineux, sur une éventuelle intervention militaire en Syrie ou sur une réduction de la dette grecque, par exemple, pour endormir l’électeur.
— merveilleusement pragmatique —
Mme Merkel a accordé en mai un entretien au magazine féminin Brigitte, révélant être attirée par « les beaux yeux » des hommes, ou plaisantant sur sa « capacité de chameau » à stocker de l’énergie pour les longues nuits sans sommeil à Bruxelles. A cette occasion, elle a elle-même résumé: « je ne suis pas féministe, mais je suis un exemple intéressant de modèle féminin ».
Si elle n’avait pas jusqu’à présent essayé de jouer cette « carte femme », c’est qu’elle lui est fondamentalement étrangère, notamment parce qu’elle a grandi dans une « démocratie populaire », où les rôles sociaux étaient beaucoup moins définis par le sexe qu’à l’ouest, selon Mme Mika.
« A la différence de Hillary Clinton ou Margaret Thatcher, qui devaient tenir tête à des hommes, elle peut se comporter avec dureté ou froideur, mais sans avoir à le montrer », analyse-t-elle. « Elle est une forte femme, tout simplement ». « Les femmes originaires d’Allemagne de l’est ont tendance à être merveilleusement pragmatiques », ajoute-t-elle.
Et ce pragmatisme s’applique aussi à son « féminisme » et à sa politique en faveur de l’égalité des sexes. Sur ce terrain, elle a ainsi semblé chiper des idées à ses adversaires, mais elle a aussi accepté la proposition de ses alliés bavarois d’une allocation pour les aprents gardant à domicile leurs jeunes enfants. Et ce n’est que sous la pression de sa ministre du Travail Ursula von der Leyen qu’elle a consenti à imposer l’objectif de 30% de femmes dans les CA en 2020.
Pendant ce temps, M. Steinbrück a fait campagne de gaffe en gaffe, la moindre n’étant pas d’attribuer la popularité de la chancelière à « un bonus féminin ».