PAR INES DALI et LEILA ZAIMI
Le verdict du vendredi est sans appel. Les Algériens sont sortis avec force malgré la chaleur et le jeûne et ont réitéré leur rejet de l’élection présidentielle du 4 juillet prochain. Ce qui devrait constituer une réponse par les urnes du «vendredire» à l’adresse de Bensalah, qui a réitéré le 5 mai dernier son attachement à cette date du scrutin, ainsi qu’à l’institution militaire qui, à travers son éditorial paru dans le dernier numéro de sa revue El Djeïch, a, elle aussi, plaidé pour le maintien du calendrier électoral, tout en haussant le ton contre les partisans d’une période de transition dans un sévère réquisitoire. D’aucuns se demandent pourquoi ce raidissement de l’ANP par rapport au respect de la date du 4 juillet contre vents et marées, alors que c’est une date rejetée par l’ensemble du peuple, des partis et personnalités politiques. Le politologue et enseignant universitaire Belkacem Kacem estime qu’«ils veulent maintenir à tout prix la date du 4 juillet car ils ne peuvent pas agir en dehors d’un cadre légal. C’est la forme qui semble le plus les intéresser à travers l’application des textes qui nous dictent d’aller vers une élection à une date définie, car nous devons faire comme les autres pays si nous ne voulons pas avoir à dos l’opinion internationale. Et c’est ce qu’ils veulent faire pour rester dans la légalité, donc respecter la forme».
M. Kacem ira plus loin en supposant qu’ils «essayeront d’avoir un candidat ou feront des compromis avec un autre, ce qui donnera le maintien du système et, après l’élection, toute action qui sera entreprise sera légitime. Ce n’est pas comme maintenant, c’est comme si c’est une période de transition : on ne peut pas prendre toutes les décisions, on ne peut pas nommer, etc., c’est très délicat». Donc «le but est d’aller le plus tôt possible vers cette élection, ce qui donnera au système une certaine crédibilité, car on dira qu’il y eu des élections, que c’est le peuple qui a choisi…»
Une question de forme et non de fond
Mais de cette façon, avertit l’universitaire, «il y aura eu un changement dans le système et non un changement du système. Il y aura eu le départ des personnes, mais les mécanismes resteront les mêmes.
Ce ne sera pas un vrai changement car le vrai, lui, devra passer, par exemple, par une assemblée constituante, un autre régime politique, une autre politique monétaire, économique… C’est là qu’on pourra parler d’une rupture avec l’ancien système». Et à M. Kacem de conclure que «la feuille de route du pouvoir ne répond pas aux aspirations du peuple, mais elle permet au système de se maintenir. Tout cela pour dire que s’ils veulent maintenir l’élection du 4 juillet, c’est juste une question de forme et non de fond».
Pour sa part, Mohamed Hennad, professeur de sciences politiques à l’Université Alger 3, se demande, à propos du maintien de la date initiale du scrutin, «s’il s’agit, en fait, d’un raidissement de la position du commandement militaire ou d’un bourbier dans lequel ce commandement est en train de s’enliser ?» Il poursuit en affirmant que «le hirak refuse de se soumettre au carcan du système qui tient à se reproduire au lieu d’ouvrir le pays vers une perspective démocratique. Le vendredi dernier, les marcheurs ont été, pour la énième fois, on ne peut plus clairs : le refus d’une élection présidentielle prévue et organisée par le pouvoir avec les gens du pouvoir.
On commence déjà à marquer le pas à cause de ceux qui misent, sûrement, sur le facteur de la fatigue pour faire passer leur plan diabolique. Sauf qu’en essayant de gagner du temps, les tenants du pouvoir sont en train d’en faire perdre beaucoup au pays alors que d’autres réformes, notamment économiques, sont urgentes». M. Hennad estime, par ailleurs, que l’éditorial paru dans la revue d’El-Djeïch a eu plus d’importance qu’il n’aurait fallu et il le décrit «comme une simple pièce de littérature composée par un officier zélé. Il ne saurait être pris pour un document politique digne d’intérêt puisque son auteur en a fait un tissu d’accusations, d’injures et de menaces contre des «forces du mal» que nous n’arrivons pas à cerner. Bref, cet éditorial ne clarifie nullement ce que le commandement militaire compte faire car en s’abritant derrière la Constitution on ne fera pas avancer les choses, et ce, pour des raisons aujourd’hui évidentes. Et puis, on voudrait bien connaître ceux avec qui travaille M. Gaïd Salah, car celui-ci ne saurait être que le sommet de l’iceberg. On doit connaître ces gens-là parce que la destinée du pays est entre leurs mains ; ne serait-ce que par le fait que ce sont eux qui commandent les forces armées !» Et à M. Hennad d’enchaîner qu’il s’attend à «une rupture entre le hirak et le commandement militaire (et non pas l’armée)».
«Nous ne pouvons pas faire d’élections sans le peuple»
Il me semble qu’il viendra le temps où le commandement militaire ne sera plus capable de réagir aux revendications citoyennes, étant lui-même le produit du système Bouteflika. Dans ce cas, le hirak doit continuer avec plus de pression à chaque fois pour faire partir le Président par intérim actuel et son remplacement par une personnalité ou une instance présidentielle dont la mission principale sera d’organiser une élection présidentielle digne de ce nom, pour la première fois dans l’histoire du pays !» Pour l’académicien, enseignant à l’université d’Oran, Rabah Lounici, «le raidissement de l’ANP traduit un manque de vision, en plus d’une erreur stratégique de Gaïd qui choisit de ne pas être à côté du peuple dans ces circonstances».
Il ajoutera que les élections du 4 juillet n’auront pas lieu» et qu’il s’agit d’«une mission impossible» car «nous ne pouvons pas faire des élections sans le peuple» qui lui rejette ces élections. M. Lounici se demande, par ailleurs, «comment pouvons-nous organiser des élections avec les responsables qui sont chassés partout où ils vont par le peuple ?»
Pour cet universitaire, «la période de transition est la solution pour passer d’un système politique à un autre» et non une élection même si elle est appuyée par l’Armée. Il n’omettra, cependant, pas de mettre l’accent sur le respect de l’institution militaire, en déclarant que «nous devons respecter cette institution. Elle est la colonne vertébrale de l’Etat et c’est elle qui préserve l’Etat».