Alors que les services de sécurité accentuent la traque et les douanes resserrent l’étau aux frontières, Les dealers font la loi

Alors que les services de sécurité accentuent la traque et les douanes resserrent l’étau aux frontières, Les dealers font la loi

Un marché lucratif

Pour connaître leur quotidien et leurs motivations, on a été à la rencontre de ces vendeurs de poison. Ils nous ont fait une révélation des plus surprenantes: «C’est le temps des vaches maigres.» Mais rien à voir avec la situation économique du pays, ce sont les autorités qui les ont étouffés…Enquête au coeur de ce monde hallucinant.

Fin octobre dernier, il fait beau, le soleil brille. Une journée pour s’amuser et profiter de la vie. Mais que faire quand on est de jeunes Algériens qui n’ont pas trop de moyens et qui sont livrés à l’oisiveté? «Nrouhou nachrou kemya?» (Et si on allait nous acheter un peu de cannabis?), lance un jeune.

Sa bande acquiesce sans hésiter. Il a fallu plusieurs appels téléphoniques à des dealers qu’ils connaissent pour trouver le joint. «On a besoin de 2000 dinars de gaufrettes», demande, en message codé, le jeune à son dealer qui lui répond par l’affirmative. On décide donc de les accompagner chez ce vendeur de poison pour avoir une petite idée de ce monde secret. On imagine qu’on se dirige vers un bidonville mal famé ou dans la pénombre d’une cave. Mais après avoir roulé presque 20 minutes, on est surpris de se retrouver dans un quartier chic d’Alger. Un quartier résidentiel avec plein de belles villas dont l’une d’elles est celle des parents, enfin, il y habite aussi, le petit dealer. Surprenant! Mais on n’était qu’au début de nos surprises!

D’un air très intello, le jeune dealer, la vingtaine à peine entamée, vend la drogue à l’entrée de chez lui. Il cache la résine de cannabis dans son jardin, la travaille et la coupe dans son fourgon acheté, grâce à un prêt Ansej. En remettant leur «shit» à ses clients, il leur fait savoir que s’il n’était pas ami avec eux, il ne leur aurait jamais vendu.

«Vous savez que je travaille qu’avec les fils de bonne famille, et que je vends uniquement du cannabis. Je vous ai tiré ce morceau de mes réserves personnelles. Vous étes au courant que ces jours-ci, c’est la dèche!», souligne-t-il devant la stupéfaction de ses clients.

«Pourquoi c’est la dèche? Cela fait un moment qu’on n’a rien acheté, on n’est pas au courant de ce qui se passe dans le marché», rétorquent les clients.

«Pourquoi j’ai raccroché…»

«Le cannabis est pratiquement introuvable. La police a serré les boulons. Beaucoup de dealers sont en prison, ce qui a poussé d’autres à se mettre en veilleuse pour le moment. Moi, je consomme ce qu’il me reste et je le vends aux gens de confiance, avant de me ranger jusqu’à ce que les choses reviennent à la normale», répond-il avant de saluer ses clients avec qui il ne veut pas trop s’attarder.

Ces derniers, qui repartent avec la moitié de ce que leurs 2000 dinars leur rapportent en temps normal comprennent pourquoi il leur a fallu appeler ure dizaine de dealers pour trouver une petite dose, alors que d’habitude ils avaient l’embarras du choix. Etonnés, nos certitudes déstabilisées, on décide de s’intéresser de plus près à cette histoire de «pénurie»…

On a essayé donc de nous débrouiller quelques adresses de dealers de la capitale. On entre en contact avec certains d’entre eux et après beaucoup d’insistance et de risques, on réussit à convaincre certains d’entre eux de se confier à nous. Ils sont tous unanimes à dire que c’est la «crise». C’est le cas de Farid, qui a plus de 10 ans dans le «métier» et qui a déjà visité la prison par deux fois pour des affaires de drogue.

Lui, il vend dans son «haouch» des environs de la capitale. Les personnes qui nous ont emmenés le voir racontent qu’il est tout le temps à l’entrée du «haouch» à attendre ses clients qui doivent le contacter d’abord par téléphone. Et si c’est quelqu’un qu’il ne connaît pas, celui-ci se fait vite agresser et renvoyer d’où il est venu. Ils affirment également que les va-et-vient sont incessants dans cette vieille ferme coloniale.

Cette fois-ci, on constate un calme plat et le «gardien du temple» n’est pas à l’entrée. On le retrouve chez lui. Très sympathique, ce dernier nous invite à nous installer dans sa belle voiture allemande qui fait face au taudis dans lequel il habite avec toute sa famille.

«Ça fait plus d’un mois que je ne vends rien. J’ai déjà fait de la prison, j’ai 33 ans et deux enfants, je n’ai plus l’âge pour en faire encore», assure-t-il, avant de nous raconter les raisons de la crise. «Les autorités ont pris le dessus sur nous. La police et particulièrement «dans la capitale, «rahi deyra film maricaine» (il nous fait comme dans des films américains), rapporte un Farid soulagé de ne pas avoir subi le sort de certains de ses amis qui sont au frais pour de longues années.

Voulant en savoir plus sur ce qu’il décrit comme étant des films américains, on ose quand même lui poser la question. Il raconte alors l’histoire de l’un de ses amis proches à qui la police a tendu un guet-apens que l’on ne croyait voir que dans les films américains. «Un policier en civil se présente comme un client. Il conduisait une «Harbine» (petite camionnette chinoise). Dès que la transaction a été faite, ses collègues sortent en courant de l’arrière de la camionnette où ils étaient cachés. Il n’a pas eu le temps de se sauver, ils le prennent en flagrant délit. En plus, ils avaient bien observé où il était allé chercher sa dope, ils ont ainsi découvert sa cachette», relate-t-il. Farid nous raconte aussi l’histoire d’un autre de ses «confrères» qui, lui, était passé à la vente de la drogue dure.

Comme dans les films hollywoodiens

«Il croyait qu’il ne risquait rien du fait qu’il faisait sa vente par téléphone uniquement qu’avec les gens qu’il connaissait et faisait lui-même la livraison. Mais c’était sans compter sur l’un de ses clients qui faisait de la revente», fait-il savoir. «Les policiers ont découvert le pot aux roses. Ils voulaient remonter au grand vendeur, ils ont mis son téléphone sur écoute et débarqué chez lui pour une perquisition. Il est en fuite», poursuit-il, avant de nous orienter vers un autre de ses amis qui est plus au courant que lui des coups de force réussis par la police dans les milieux de la drogue. Nous réussissons donc à avoir un troisième rendez-vous. Notre interlocuteur est cette fois-ci, la caricature parfaite du dealer. Bien en chair, des chaînes en or plein le cou, de grosses chevalières, une grosse voiture de luxe dans un quartier populaire. Il refuse de dire qu’il vend de la drogue. Je suis un commerçant qui sait «naviguer» et faire de bonnes affaires. «Je suis juste quelqu’un qui connaît beaucoup de monde et beaucoup d’histoires. Comme Farid vous a trouvés sympa, j’ai accepté de vous rencontrer. Mais si j’ai un problème ou que vous citez mon nom, vous êtes morts!», annonçant d’emblée la couleur. Après quelques minutes de discussions, où on lui fait croire que nous étions journalistes, mais surtout consommateurs indignés devant la pénurie de drogue, la tension descend d’un cran. «Oui, vous avez vu, ils privent les jeunes même de cela…», réplique-t-il avant de commencer à nous narrer des histoires plus folles les unes que les autres. Comme celle de ce jeune vendeur qui a été tiré de son lit à l’aube par des agents de police qui sont venus faire une descente chez lui. «Ils ont défoncé la porte, ils l’ont sorti de son lit. Il a tellement eu peur qu’il leur a dit où il cachait son butin et il a même donné le nom de ses fournisseurs», confie-t-il.

L’arme à double tranchant

Ce caïd relate aussi l’histoire d’un jeune acheteur qui a été arrêté par les services de sécurité, «il a négocié avec eux du sursis. Il les a menés vers son vendeur, ils ont négocié avec lui pour pêcher le gros poisson. Ils lui ont promis une légère peine de prison s’il collaborait.

Ce qu’il a fait en les menant vers les grossistes avec qui a été utilisé le même procédé pour les mener vers les fournisseurs à l’Ouest du pays. La police de la capitale a ainsi réussi un gros coup de filet et remonté tout un réseau». Notre «ami» certifie que ce genre de coups ne sont pas une exception. Et que la police semble avoir déclaré la grande guerre aux dealers. «Les dealers apprennent tous les jours que l’un des leurs a été arrêté. Ils se demandent si demain ça ne sera pas leur tour… Beaucoup ont donc décidé de raccrocher», atteste-t-il.

«Surtout qu’il semble qu’il y ait un deal avec la justice qui est en train d’appliquer de fortes peines pour les vendeurs de drogue. Ceux qu’on connaît ont eu des peines de six à 10 ans de prison. C’est toute une vie!», dit-il avec amertume. C’est donc un sale temps pour les dealers! Mais l’un d’entre eux, que nous rencontrerons plus tard dans notre reportage nous révèle que la «naïveté» de jeunes dealers aura permis aux services de sécurité de prendre le dessus sur eux. «Vous savez, ces dernières années ceux qui sont anciens dans le domaine se sont fait un peu d’argent et ils font désormais dans la sous-traitance», précise-t-il. «Ils ont plusieurs jeunes adolescents à qui ils confient la vente de leur dope. Ils partagent les bénéfices en pensant qu’ils évitent tous les risques», soutient-il. Cela a finalement été un couteau à double tranchant car, selon lui, c’est ce qui a provoqué leur fin.

«Ils sont jeunes. La plupart n’ont pas été élevés dans la misère. Ils ont peur, avec un peu de pression, ils lâchent le morceau et dénoncent tout le monde. On voit le résultat maintenant…», explique-t-il avant de conclure par une phrase très significative: «La police nous a tués…». Ce petit tour dans cet empire où règne la loi du silence nous aura ainsi montré une petite image sur l’étendue de la guerre qui oppose la police aux trafiquants de drogue.

Avec des méthodes modernes, l’inflation, des traquenards et une justice qui répond présente, les services de sécurité ont pris le dessus, mettant en crise ce monde qui empoisonne l’esprit de nos enfants! C’est ce genre «d’austérité» qu’on aime…

La drogue se raréfie à l’Ouest

La répression de la police et les méthodes modernes utilisées n’auraient pas eu l’efficacité actuelle s’il n’y avait pas eu une implication générale. D’abord, de la justice qui applique sévèrement la loi et donne très facilement des autorisations de perquisition. Mais il y a aussi le rôle des autres corps de sécurité que sont les gendarmes, l’armée et les douanes qui empêchent que cette marchandise arrive aux mains des dealers.

Les saisies importantes qui font la Une de la presse et des canards du pays, pratiquement tous les jours, en sont la meilleure preuve. Il est aussi remarqué que les gendarmes font sur nos routes des fouilles minutieuses dans les véhicules qu’ils trouvent suspects. Qui n’a pas remarqué ces jeunes automobilistes arrêtés sur le bas côté pendant que les gendarmes scrutent leur voiture? Autre preuve de cette imperméabilité des frontières, les trafiquants de drogue rencontrés ont assuré que même l’Ouest du pays pourtant plaque tournante du cannabis que nous envoient «nos amis» marocains est en crise. «Il est aussi difficile de trouver une moquette à fumer…», ont-ils avoué.