Par Anissa Zenoune Zouani
Amel avait vingt-deux ans quand elle fut arrachée à la vie par les partisans de l’état théocratique et était sauvagement assassinée, le 26 janvier 1997 à Sidi Moussa. Cette banlieue algéroise était une « zone libérée » par les islamistes armés : un pouvoir parallèle était mis en place où était appliqué leur projet, des lois négatrices des principes de tolérance, de liberté et d’égalité des sexes. En fait, un ennemi déclaré de la démocratie et adversaire des droits de l’homme. Cette violence armée visait, d’une part, à affaiblir les assisses institutionnelles du pays et, d’autre part, à semer la terreur pour conquérir psychologiquement la population algérienne afin de s’emparer du pouvoir.
Amel était une étudiante en droit et fut d’une beauté enveloppée aux grands yeux noirs brillants et envahis de lumières algérienne. Elle fut le symbole de la résistance féminine contre la théocratie et la martyre qui s’était sacrifiée, corps et âme, pour sauvegarder l’Etat-National. Elle manifestait une ferveur progressiste dont l’intensité et l’enthousiasme se sont accrus quand l’Algérie était en danger. Sa résistance était nourrie par une culture active, mobilisatrice et stimulante. Sa force et sa cohérence dérivaient d’une longue tradition familiale progressiste : ce n’était pas une simple réaction à l’islamisme politique.
Pour elle, il fallait séculariser notre état, le démocratiser et associer notre société et la faire évoluer dans le sens de l’universalité tout en l’en enraciner dans notre histoire et en se reconnaissant dans nos racines. Le passage à l’état moderne devait se comprendre comme une participation à l’universel en tant que patrimoine commun dans l’humanité des autres.
Les fondamentalistes islamistes, considéraient ses visions suspectes, provocatrices et donc intolérables. Elle devait disparaitre pour servir d’exemple et terroriser ainsi toutes les femmes qui, en Algérie, faisaient barrage et élevaient une digue infranchissable sur la voie de l’intégrisme salafistes, géniteur de la régression mentale et irrationnelle.
Amel Zenoune Zouani était disposée à répondre au rendez-vous que lui avait imposé l’histoire, devant ses bourreaux qui lui avaient intimé l’ordre de descendre du bus, elle s’était exécutée avec courage et s’était présentée devant eux calmement, dignement et était inébranlable. Son esprit était particulièrement accaparé par le devenir de l’Algérie, celui de la terre de ses ancêtres. Elle savait pertinemment que l’islamisme politique avait chassé la réflexion et la pensée, lui concéder l’Algérie, c’était accepter les conséquences de la théocratie : les divisions ethniques, religieuses et politiques imposées par l’islamisme lui-même et c’était principalement la disparition de l’Etat-National acquis aux prix d’innombrables sacrifices des meilleurs enfants du pays. Pour Amel, il y avait désormais deux Algérie en lutte et qui s’affrontaient, l’une tournée résolument vers l’universalité et la modernité et l’autre se laissant entrainée dans les abimes du fondamentalisme islamiste : elle était passée au fil de l’épée sous le regard tétanisé des autres passagers. L’arme blanche était l’instrument le plus usité par les terroristes islamistes et la violence exhibée était pensée comme une punition infligée, un châtiment terrible et terrifiant à ceux et celles qui s’opposaient à cette route qui menait à l’Etat théocratique.
Si l’atteinte à la femme demeure toujours hautement symbolique, son assassinat par les hordes intégristes en tant que militante progressiste obéissait d’abord à la logique politique et idéologique. Et l’on sait comment, depuis l’indépendance, jusqu’à nos jours, les femmes algériennes furent systématiquement, purement et simplement marginalisées, avec la bénédiction, voire l’instigation des forces conservatrices et islamistes rétrograde. On sait aussi que les cibles privilégiées des maquis islamistes ont été les inlassables propagateurs de la culture nationale, qui furent les opinions publiques éclairées et qui ont apporté des contributions les plus décisives au mouvement progressiste Algérien au cours du siècle passé. Voilà, pourquoi aujourd’hui, il nous faut partir à la recherche du glorieux passé de notre peuple, de notre élite moderniste, de notre histoire, de notre authenticité, de notre vérité, par nos moyens, sans complexe et décortiquer objectivement les textes et les documents fondateurs des précurseurs de la pensée progressiste Algérienne. Mais cela ne peut se produire que si les hommes et les femmes ont la volonté de projeter le pays dans la voix de la modernité, du progrès et d’imaginer enfin une communauté nationale émancipatrice.
C’était dans le cours même de la lutte pour édifier des structures qui seront plus favorables à la communauté nationale émancipatrice et moderne que fut ciblée et puis assassinée Amel. Elle était restée fidèle à l’engagement d’un Etat républicain conforme aux aspirations des pères fondateurs de la glorieuse Guerre de libération nationale. Son parcours fut une conscience historique particulièrement sensible au devenir de la nation Algérienne.
Comment s’étonner, dans ces conditions, que son nom continu de s’écrire dans le présent et dans le futur ? Revenir sur son histoire individuelle et le récit de son engagement, c’est saisir la dynamique d’engagement de la femme progressiste algérienne et l’évoquer constitue une manière d’ultime hommage rendu à une patriote Algérienne, à une anti-intégriste ardente et à une jeune qui avait très tôt choisie les rangs du progressisme et de la modernité. Elles n’étaient pas nombreuses les femmes d’un tel combat !
Des années après les crimes atroces qui demeurent rattachés à l’islamisme politique, les modernistes algériens croient naïvement pouvoir pactiser avec l’islamisme, s’en faire un allié par le biais des « modérés », dans l’espoir de le domestiquer plus tard. Désormais fréquentables, les mêmes hommes qui de plein gré, avaient détournés la fonction proprement spirituelle de l’islam vers une fonction idéologique et ont servis hier de matrice intellectuelle à ces crimes, redressent aujourd’hui leur tête, sans battre leur coulpe, effrontés, insolents et ils posent encore leurs exigences, et veulent profiter à notre détriment des libertés démocratiques. Et partout aujourd’hui, ces acteurs idéologiques font encore partie de la classe politique et se recrutent y compris dans la mouvance moderniste. Les progressistes algériens subissent une crise profonde, crise de l’idée de progrès et crise de conscience !
Nous nous ne répéterons jamais assez que la violence islamiste ne pouvait être circonscrite à une réaction légitime après l’arrêt du processus électoral de janvier 1992. Elle était une vision fondamentale de l’islamisme et que le recours aux armes n’était que le stade ultime. Le Front islamique du salut (FIS) n’était, en fait, qu’un cadre légal pour la préparation matérielle et morale de l’action armée dont l’objectif était l’instauration de l’état théocratique. La diversification des lignes politiques de l’islamisme ne doit pas faire perdre de vue l’existence d’une plate-forme intellectuelle et culturelle commune à tous les esprits qui ont contribué à l’élaboration de la pensée islamo- fasciste.
Depuis l’égorgement de ma sœur par les hordes intégristes, notre famille ne cesse de revendiquer un lieu de fondation, qui est, en fait, l’expression d’une aspiration à instituer un lieu de mémoire. Pour nous, la mémoire de la douleur est nécessaire, mais sans partage, la vie collective présente et future reste compromise et sans mesures adéquates symboliques, il ne peut y avoir de cicatrisation. Cette évocation s’inscrit justement dans la longue histoire des efforts que nous entreprenons pour combattre l’amnésie et l’oubli et pour faire avancer la cause de la justice et de la vérité. C’est pour cela qu’il faut rendre visibles leurs causes et leurs effets, comprendre les degrés de leur enracinement et les implications de leurs persistances.
Après l’assassinat de ma sœur, mes parents, furent un couple pas comme les autres, ils ont fait le serment de dédier leur vie à un combat : Plaider pour un Nuremberg contre l’islamisme politique pour démasquer ainsi le véritable visage de la nébuleuse islamiste fondamentaliste. Leurs engagement me rappelle particulièrement le combat singulier du couple Beate et Serge Klarsfeld qui ont consacré leur vie à traquer les Nazis après la seconde guerre mondiale.
Quelques heures avant que son cœur ne l’a trahissait, ma mère, était alors allongée sur le lit de l’hôpital et était entourée de notre famille, s’était adressée à nous inexorablement et d’une voix à peine audible : « mes enfants, nous avons payer cher le prix de la démocratie, de la liberté et de la modernité….. Quoiqu’il advienne, comportez-vous toujours dignement et défendez inlassablement la mémoire de votre sœur Amel ».
L’histoire Algérienne retiendra qu’Amel Zenoune Zouani qui, par sa lucidité, son courage, sa pugnacité et son sacrifice a contribué à dresser un barrage de protection contre l’accès au pouvoir des partisans de la théocratie et libérer ainsi le pays de l’emprise de la déferlante islamiste et de la puissance destructrice du torrent intégriste. Ce barrage ne s’était édifié que par la résistance héroïque de la société algérienne dans ses différentes strates et par le sacrifice suprême de ses meilleurs enfants: les membres de l’ANP, les services de sécurité et les patriotes, les hommes et les femmes de la pensée moderne. Leurs sacrifices consenti n’est pas vain, nous devons nous inspirer de leurs lutte et nous prémunir, en faisant preuve d’esprit nationaliste, de responsabilité et d’engagement au moment ou le pays est à nouveau la cible des forces anti-nationales et anti-républicaines, qui caressent encore le rêve de faire basculer l’Algérie dans un Etat théocratique.