Aménagement de l’Oued El-Harrach, En attendant la dépollution

Aménagement de l’Oued El-Harrach, En attendant la dépollution

Alors que le plan d’aménagement du Grand-Alger prévoit de transformer l’est de la capitale en une véritable vitrine, avec tous les loisirs et autres centres commerciaux, mais aussi la Grande-Mosquée, Oued El-Harrach reste le point noir de tout ce plan.

La piscine des Sablettes, fraîchement ouverte, et la Promenade des Sablettes, tout comme les abords du centre commercial Ardis, sont bondés de monde, en cette matinée de lundi du début août. Vu de loin, le spectacle paraît idyllique, mais plus on s’y approche et plus l’odeur repoussante nous rappelle que nous avons affaire à Oued El-Harrach, “Missipipi” pour les habitants de la région. Un oued synonyme de mauvaises odeurs, une sorte de malédiction et une plaie dans cet Alger qui a du mal à se développer vers l’Est.

L’un des plus importants cours d’eau de la capitale, jadis navigable, prend sa source à Hammam-Melouane, dans la wilaya de Blida, pour s’engouffrer dans la plaine de la Mitidja pour venir mourir dans la baie d’Alger. Un oued qui impose sa couleur et ses odeurs à toute la baie d’Alger.

Alors que le plan d’aménagement du Grand-Alger prévoit de transformer l’est de la capitale en une véritable vitrine, avec tous les loisirs et autres centres commerciaux, mais aussi la Grande-Mosquée, Oued El-Harrach reste le point noir de tout ce plan.

Son plan d’aménagement, dont le coût s’élève à 38 milliards de dinars, est, sur le papier, très prometteur. Mais sur le terrain, les choses traînent encore et l’on a l’impression que les responsables du projet ont mis la charrue avant les bœufs.

Les espaces de détente, qui manquent terriblement dans la capitale, ont été réalisés, en bonne partie, mais l’oued continue de déverser toutes sortes de déchets urbains et surtout industriels en mer. Et tout le long de son tracé, les habitants endurent, à longueur d’année, ses émanations, ses moustiques et les dangers de crues dévastatrices.

Des espaces de détente livrés à la pollution

Il suffit de faire un tour à l’embouchure de Oued El-Harrach pour se rendre compte que beaucoup, sinon l’essentiel, reste à faire. Aux côtés de la piscine et de l’entrée de la promenade des Sablettes, l’odeur est irrespirable. Nous avons vu des gens vomir à l’approche de l’oued.

C’est qu’il s’y trouve une concentration de pollution invraisemblable. La couleur de l’eau (si l’on peut considérer ce mélange comme eau !) vire vers le noir, et à la surface flottent tous genres de détritus, y compris des animaux. De loin, nous apercevons des morceaux de ferraille et un tas de déchets urbains qui rappellent que l’oued a été utilisé, des décennies durant, comme décharge publique. Mais ce que cache le fond est plus dangereux, notamment les métaux lourds, à leur tête le mercure. Une étude japonaise réalisée sur le site révèle un taux surélevé de mercure.

Des rats se promènent sur les berges, comme pour rappeler qu’ici, c’était encore leur territoire. Sur la plage jouxtant le centre commercial Ardis, les premiers baigneurs sont déjà dans l’eau à 9h du matin, en attendant l’arrivée massive des familles. “Ce sont des gens qui viennent de loin”, nous confie un agent de sécurité, qui précise que “les gens qui habitent dans les parages savent que c’est pollué ici”, tout en nous montrant du doigt les dizaines de sacs en plastique pleins de détritus, que les employés ramassent, et qui constituent les rejets quotidiens de l’oued vers ce côté-ci de la mer.

Pourtant, à quelques mètres seulement de l’embouchure, des tuyaux, placés sous le pont, arrosent à longueur de journée la surface de l’oued pour le désodoriser. Les responsables du chantier ont même introduit un gel spécial à l’effet d’atténuer les mauvaises odeurs. Mais même avec tout cela, l’air reste irrespirable dans les parages.

Juste derrière le pont, les Sud-Coréens de Daewoo, associés à Cosider dans le projet, s’affairent à corriger les berges de l’oued. Le cours principal, long de 18,2 km, devrait être aménagé de sorte à devenir un véritable espace de détente, mais aussi en vue de prévenir les crues. Des chantiers sont lancés, de Bentalha jusqu’à l’embouchure de l’oued, en attendant d’inscrire ce qui reste du tronçon, entre Bentalha et Hammam-Melouane, c’est-à-dire la partie située dans la wilaya de Blida.

Bentalha aura un nouveau visage

Sur place, les chantiers avancent bien, notamment du côté de Bentalha, où les ingénieurs de Daewoo sont confiants : “Le projet sera livré d’ici novembre. Ici, on ne rencontre aucun problème, vu que les abords de l’oued sont dégagés.” Sur place, des airs de repos sont aménagés, des terrains de football sont en cours de réalisation et même un bassin de retenue d’eau est en voie d’achèvement. Le projet prévoit, en effet, d’injecter de l’eau en été, à partir de la station de traitement des eaux usées de Baraki, le long de l’oued, pour une hauteur d’un mètre. Mais pour le moment, le lit de l’oued reçoit toujours les eaux usées des communes avoisinantes. Sur place, nous rencontrons une équipe de l’entreprise Hurbal qui était en train d’asperger l’oued avec des produits antimoustiques : “Nous le faisons à raison de deux fois par mois, mais nous intervenons parfois quand la population se plaint des moustiques”, nous explique l’agent chargé de l’opération. Les espaces de détente, en cours d’aménagement du côté de Bentalha seront d’un grand apport, notamment pour le quartier qui les surplombe et qui avait connu le massacre de triste mémoire. Encore faut-il que les voies d’accès soient entièrement réalisées.

Même constat du côté de la Prise d’eau où les travaux d’aménagement tirent à leur fin, mais à mesure que l’on s’approche des zones à forte densité urbaine, la tâche se complique pour les cadres chargés de l’exécution du projet. 20 000 familles devraient être relogées, afin de libérer les berges de l’oued. Pour le moment, l’opération ne s’avère pas de tout repos, comme nous l’avons constaté sur le site de l’ancien Souk El-Harrach où certaines vieilles bâtisses ont été démolies alors que les propriétaires d’autres bâtisses résistent toujours.

L’opération d’aménagement et de reprofilage de l’oued vise surtout à parer aux crues dévastatrices qu’ont connues, par le passé, les communes de Baraki, Gué-de-Constantine, Baba Ali et El-Harrach.

Les zones industrielles, premier pollueur de l’oued

Mais le plus dur reste à faire : l’opération de dépollution de l’oued El-Harrach tarde à se concrétiser. Sur le bassin versant de l’oued, sont implantées quatre zones industrielles (Oued Smar, El-Harrach, Gué-de-Constantine et Baba Ali). La totalité de ces zones rejettent leurs eaux usées dans l’oued El-Harrach, notamment Oued Smar et Oued Baba Ali qui rejoignent Oued El-Harrach. Même si la station de traitement des eaux usées de Baraki a permis le traitement de la majorité du réseau d’assainissement, les zones industrielles continuent à rejeter leurs déchets dans l’oued. Pourtant, la réglementation est claire : toutes les industries polluantes sont dans l’obligation de se doter de stations de traitement.

Ce n’est toujours pas le cas. Nous avons pu le constater de visu à la zone industrielle de Oued Smar où les rejets polluants sont visibles et se sentent de loin. Alors, en attendant que toutes les unités industrielles cessent de polluer l’oued, l’opération de dragage de l’oued reste impossible. Cette opération reste indispensable, car toutes les mauvaises odeurs remonteront à la surface, selon un ingénieur de Cosider rencontré sur le chantier. Cette opération devrait permettre de dégager des tonnes de vase, pour les traiter ensuite, afin de rendre le fond de l’oued plus propre. Mais les unités industrielles, même si elles demeurent le pollueur n°1, n’en sont pas les seules.

Le long de l’oued, et surtout ses affluents, les habitants des constructions anarchiques déversent tout dans l’oued. Cela va des eaux usées, aux gravats, aux appareils électroménagers, aux pneus, etc. Et ils sont imités par les automobilistes et autres employés communaux qui se débarrassent le plus normalement du monde de leurs déchets dans l’oued. Souvent, des quartiers et des cités se trouvant à proximité, en cas du moindre souci dans le réseau d’assainissement, recourent au déversement pur et simple dans l’oued, qui est assimilé à une grande poubelle. Que ce soit à Oued Smar, Oued Ouchayeh, Aïn Naâdja et partout à travers le tracé de l’oued et de ses affluents, l’incivisme fait des ravages. Les collectivités locales restent impuissantes, à la limite de la complaisance, devant de tels comportements. Si les travaux d’aménagement de l’oued suivent un rythme assez soutenu et si les airs de loisirs se multiplient tout le long de l’oued, sa dépollution, par contre, attendra encore longtemps.