Amira Bouraoui, 38 ans, docteur en médecine et mère de deux enfants, est désormais l’une des porte-parole du tout nouveau mouvement citoyen «Barakat». Devenue «malgré elle» l’icone qui marque le déclenchement de la colère qui s’élève dans la rue contre un 4e mandat du président Bouteflika, elle livre, dans cet entretien-portrait, réalisé au siège de «Liberté», les raisons de son engagement, et les objectifs d’un mouvement.
[Entretien réalisé par Fatma Baroudi]
Liberté : Êtes-vous sortie dans la rue en votre qualité de médecin, contre la candidature d’un président dont l’état de santé est jugé délicat ?
- Amira Bouraoui : Il n’y a pas que le président qui est malade. Le médecin que je suis trouve que la politique algérienne est vraiment malade. Je ne vois pas comment le président Bouteflika, même s’il était en bonne santé, peut bénéficier indéfiniment d’un mandat à vie, suite au viol de la Constitution. Son état de santé n’est qu’un facteur aggravant, d’autant plus que ses 15 ans de bilan ne volent pas très haut ! On a assez fait l’autopsie des échecs successifs, un 4e mandat ne redonne pas de l’espoir.
D’après-vous, est-ce qu’on peut reprendre toutes ses facultés physiques et mentales après un AVC?
- Il existe différents types d’AVC. Certains requièrent des années pour s’en remettre et d’autres cas sont plus graves. Cependant, je n’ai pas accès au dossier de santé de M. Bouteflika, mais les images montrent une personne très diminuée qui ne peut pas être à la tête d’un pays, dont beaucoup de challenges sont à relever ; un pays qui a besoin de faire travailler sa jeunesse. Bouteflika est featigué et l’Algérie est fatiguée de Bouteflika.
A votre avis, l’ordre des médecins ne devrait il pas réagir?
- On aimerait bien avoir accès au certificat médical de M. Abdelaziz Bouteflika, et savoir qui est ce médecin qui a signé sur son honneur que le président allait bien sur le plan physique et mental, alors que les images du Conseil constitutionnel, probablement très difficilement tournées, démontrent le contraire. D’autres facteurs, cependant, devraient pousser à ce que Bouteflika et son entourage acceptent de lâcher prise et de cesser de prendre l’Algérie en otage.
A quel moment avez-vous décidé de sortir?
- Je suis une amoureuse du droit et de la justice. L’injustice à laquelle nous avons assisté, notamment durant les mandats Bouteflika, a fait naître, en moi, un sentiment de colère. Tout a commencé le jour du viol de la Constitution. Des voix se sont élevées contre ce viol de «doustour» qui est la feuille de route d’une nation. Le fait qu’un chef d’Etat, en arrivant au pouvoir, sache qu’il viendra le jour où il aura à partir et il aura à rendre des comptes, il sera tenu, dès le premier jour de sa présidence, de penser au jour de son départ et fera en sorte de ne pas cumuler les échecs, les injustices et les déviations, Il se trouve que l’Algérie n’est pas une monarchie. Abdelaziz Bouteflika est mieux placé que quiconque pour mesurer les sacrifices de ses anciens compagnons de lutte pour l’indépendance du pays, qui ne se sont pas sacrifié pour que l’Algérie soit son règne
Vous vous êtes retrouvée au devant de la scène depuis le sit-in du 22 février dernier, devant la faculté de Bouzaréah, et depuis, votre image est étroitement liée au mouvement de contestation contre le 4emandat…
- Je n’ai pas recherché à être au devant de la scène. J’étais une citoyenne révoltée certes, néanmoins une femme qui vivait sa vie, allait travaille. Je ne m’attendais pas à ce qu’un jour tout bascule de cette manière. Je ne suis qu’un grain de sable qui lutte avec un millions d’autres. Je n’ai pas recherché la médiatisation qui s’est faite autour de moi. Bien au contraire, je suis discrète. Cependant, si cela peut servir la cause c’est tant mieux. Un mouvement est né de cette contestation qui n’est pas la mienne uniquement, car plusieurs voix se sont élevées contre le 4e mandat de Bouteflika, contre cette gabegie, la corruption, le chômage, un système de santé pourri, une justice malade, contre une dépendance au pétrole alors qu’on sait qu’il viendra le jour où on n’aura plus de pétrole. Parce qu’aussi on sait qu’on va vers un avenir incertain, alors, on n’a pas besoin d’un 4e mandat. En ce qui concerne ma famille, certes ils ont peur pour moi, mais moi je suis terrifiée à l’idée du 4e mandat.
Et vos enfants?
- Mes enfants sont gardés à l’écart de tout çà.
Comment évolue le mouvement «Barakat»?
- Ça se construit avec des hommes et des femmes à travers toutes les wilayas. Ce qui donne forme à un mouvement à l’image de la richesse de cette Algérie par ses enfants et sa pluralité. Il se construit petit à petit ; il fédère les masses, partout on nous informe que des mouvements Barakat sont en train de se former à travers le pays et à l’étranger, en France au Royaume-Uni, aux USA, etc. par tous ces algériens qui sont parti laissant leurs cœurs ici en Algérie, qui ont été forcé à partir, parce qu’il est vrai que le non-sens fait fuir. Ce n’est pas juste, on ne va pas tous s’en aller, ils ne vont pas nous pousser tous à quitter le pays où nos ancêtres sont enterrés. Il faut lutter contre çà.
L’impact de ce mouvement suscite toute de même quelques interrogations, et également des rumeurs…
- Barakat est un mouvement citoyen, et il suffit d’être citoyen algérien pour s’identifier à Barakat. Il est vrai que certains membres de ce mouvement ont une couleur politique, et ont rejoint le mouvement, mais nous n’avons pas l’intention de se forger une carrière politique au sein de Barakat, car le mouvement réhabilite la notion de la citoyenneté. On ne cherche pas de hauts de postes, on voudrait juste que la règle du jeu démocratique soit réalisée et respectée. On veut être l’arbitre garant à refuser cette gabegie et l’Algérie soit un vrai Etat démocratique, que les partis politique fassent leur travail… Nous nous représentons en tant que société civile, qui lutte pour que les partis politiques œuvrent librement loin de toute manipulation. Quant aux rumeurs, de tous temps, ce régime a été bâti sur la rumeur et la paranoïa, auquel il a eu recours. Dès qu’une voix s’élève, on crie à la main étrangère, on est taxé de sionistes, d’ennemis de l’Algérie. On a aussi accusé le DRS d’être derrière nous. Moi je dirai que ce système a tenté d’inculquer la peur et d’entretenir cette paranoïa. Derrière nous, il n’y a aucune des parties citées. Nous somme contre la main interne qui en train de détruire ce pays et qu’on tente d’arrêter, celle d’une génération qui s’est longtemps accaparé le pays en usant des figures révolutionnaires, qui ne cesse de dire qu’on a libéré le pays pour se l’approprier. L’Algérie est malade aujourd’hui de la mauvaise gestion, qui est représentée par un système révolu et dépassé. Ils doivent désormais comprendre que la règle du jeu doit être changée, et qu’un 4e mandat est inacceptable.
Votre mouvement, en phase de structuration, dénonce et rejette le 4e mandat, mais votre discours n’est pas radical, dans le sens où vous ne semblez pas remettre en question le système de manière générale…
- Notre mouvement est contre un système qui a géré le pays jusqu’ici et qui est dépassé. Dans tous les pays existent des services de sécurité dont le rôle important est la protection de leur pays, mais les services de sécurité n’ont pas à se mêler de la politique qui est le propre des civils, qui s’occupent des problèmes de la cité, du chômage, la santé… Fortifier les institutions pour relever un Etat. La charte du mouvement est en cours de d’élaboration et on révélera les axes principaux lors de la réunion de lundi.
Quelles seront les prochaines actions de Barakat?
- Le mouvement est en train de s’organiser afin de maintenir la pression, pour que ce qui restent comme responsables dans ce pays comprennent qu’il y a une ère qui se termine et prennent position pour leur peuple. Pour ceux qui ont peur des redressements judicaires et qui sont prêts à déchirer l’Algérie en mille morceaux, pour des intérêts personnels, ils doivent prendre conscience et comprendre que c’est l’Algérie avant tout.
Lors de votre arrestation le 06 mars dernier, vous avez dit aux policiers que vous vous appeliez Hassiba Ben Bouali, et également d’autres membres de Barakat avez appelé Djamila Bouhired à participer aux manifestations. Pourquoi vouloir se réapproprier les symboles de la révolution ?
- Certes, je n’ai pas la prétention de me comparer à Hassiba Ben Bouali, qui a donné le sacrifice ultime pour son Algérie. Je me suis retrouvée au commissariat plusieurs fois en dix jours, et à force de nous demander nos renseignements, on a chacun a donné le nom d’une figure noble qui a donné sa vie pour que l’Algérie soit juste et libre et à l’écoute de ses enfants. Chaque pays a ses héros et on a les nôtres. Djamila Bouhired est une figure révolutionnaire qui a lutté pour que l’Algérie soit indépendante, c’est un honneur qu’elle ait dit dès le départ qu’elle descendrait à la rue si toutefois Bouteflika se portera candidat. Car on dépasse la ligne rouge, et on est fier de ces gens sincères qui aiment leur pays.
Vous l’attendez ?
- Qu’elle soit fatiguée, on ne va pas la condamner. On ne va pas lui demandé plus que çà. Elle a donné pour l’Algérie au moment où il fallait donner plus, maintenant c’est à la jeunesse algérienne, notre génération qui doit s’exprimer. Qu’elle vienne, ce serait un honneur.
Barakat, c’est pour marquer une révolte ou carrément une révolution ?
- Barakat marquera une nouvelle ère. Je n’aime pas trop l’expression révolution arabe, même si depuis, certains pays marquent du progrès, et pour d’autres, cela a pris une tournure dramatique. On n’a pas envie de déstabiliser notre pays. J’estime personnellement que l’Algérie a payé le prix fort, et elle a besoin qu’on lui serve ce qu’elle a payé, sans avoir à verser une seule goutte de sang. Barakat est un mouvement pacifique, s’il y a un seul dérapage, ils assumeront. L’Algérie ne veut plus donner de ses enfants. Barakat !