Amirouche. Dahou Ould Kablia, président de l’association, s’exprime : Le MALG sort de l’ombre

Amirouche. Dahou Ould Kablia, président de l’association, s’exprime : Le MALG sort de l’ombre

Le livre du Dr Saïd Sadi intitulé Amirouche : une vie, deux morts, un testament, paru dernièrement, a suscité, plus peut-être que beaucoup d’autres livres traitant de la lutte de Libération nationale, débats et polémiques auxquels ont participé jusqu’à présent, acteurs, témoins, analystes politiques ou historiens.

Les débats ont moins porté sur la personne ou le parcours du colonel Amirouche, difficilement contestable, que sur le sens que l’auteur donne à certains de ses actes ou de ses paroles ainsi que les supputations sur ses relations avec ses pairs de l’intérieur et ses responsables de l’extérieur pour arriver à des accusations graves, impossibles à étayer, contre ceux qu’il désigne comme étant les responsables indirects ou directs de sa mort, qu’il nomme Boussouf et Boumediène.

Ce livre a donc interpellé les membres du Bureau de l’Association des anciens du MALG, acteurs historiques accusés outrageusement, tant en la personne de leur ex-responsable, le colonel Abdelhafidh Boussouf, que de la structure qu’il dirigeait et à laquelle ils appartenait, dans une affaire qui ne les concernait nullement. En l’étudiant, ils ont relevé de nombreuses entorses à la vérité. Ils ne cherchent pas la polémique avec l’auteur et encore moins à l’amener à se déjuger, car ils pensent bien que son opinion est définitivement arrêtée et de longue date.

Le portrait du colonel Amirouche qu’il présente, lui servant, à leurs yeux, de ligne directrice pour un procès politique bien ciblé bien que totalement décalé. Le Bureau du MALG, qui a préparé cette intervention, en attend une contribution forte à l’endroit des lecteurs et des historiens, qui à la faveur de sa lecture, pourront se faire leur propre opinion sur des faits et des événements qui n’ont pas encore livré tous leurs secrets. C’est à ce titre qu’ils se proposent d’apporter des clarifications, des critiques ou des démentis, selon le cas, à des arguments, analyses, jugements, écrits rapportés et autres témoignages largement énoncés tout au long de l’ouvrage.

Parmi ceux-ci :

l’environnement politique général prévalant en Wilaya III ;

la réunion projetée à Tunis et les raisons qui la fondaient ;

l’épineux problème des communications radio ;

la préparation du déplacement du colonel Amirouche ;

le registre des doléances du Conseil de wilaya ;

le déplacement qui lui coûtera la vie : la réalité historique et les supputations de l’auteur quant aux interférences qui auraient influé sur cet épisode ;

enfin une conclusion pour présenter une image du MALG plus conforme à la réalité.

I/ L’environnement politique : En cette deuxième moitié de l’année 58, plusieurs événements majeurs ont marqué l’histoire de la lutte de libération en général avec leurs incidences sur la Wilaya III.

En premier lieu : la formation du GPRA, le 19 septembre 1958, avec la désignation du colonel Krim Belkacem, premier chef de la Wilaya III en qualité de ministre des Forces armées et du colonel Mohammedi Saïd deuxième colonel de la même wilaya, en qualité de chef de l’état-major Est, qui assurait, il faut le rappeler, la tutelle sur les trois Wilayas de l’Est I, II, et III, autant dire que la Wilaya III bénéficiait, de ce fait, d’un soutien politique et moral de poids.

En second lieu : le «Complot» Lamouri où ce colonel de la Wilaya I ainsi que les colonels Nouaoura et Aouacheria et quelques-uns des officiers de leur entourage a tenté de destituer le GPRA naissant à la mi-novembre 1958 pour des raisons subjectives et partisanes sur lesquelles il est superflu de revenir, l’essentiel ayant été dit de longue date.

En troisième lieu : la situation matérielle de la Wilaya III, au regard du manque d’équipement matériel, armement, munitions et ce, suite à l’achèvement, à cette période, d’une ligne défensive électrifiée, minée et supérieurement protégée, la ligne Morice qui empêchait pratiquement tout acheminement d’hommes et de matériel vers l’intérieur.

En quatrième lieu : il s’agit évidemment de l’engagement militaire de l’armée ennemie qui menait une action brutale et soutenue contre la Wilaya III qu’elle considérait comme un bastion stratégique important, qu’il fallait réduire par tous les moyens.

Toutes les actions multiformes menées par les responsables de cette armée visaient principalement le colonel Amirouche, moteur de la résistance. L’échec militaire devenant patent, il a été fait recours, pour la première fois depuis le déclenchement de Novembre 1954, à un plan diabolique de déstabilisation par l’intoxication et la désinformation semant le doute dans les rangs de la Wilaya III. Ce plan était ce qui a été baptisé la «Bleuite». Celle-ci a réussi au-delà de toute espérance. Le colonel Amirouche tout comme n’importe quel autre responsable conscient du poids de ses responsabilités pour la protection et le sauvetage de son œuvre, n’a pas échappé à la manœuvre. Dès qu’il en prit connaissance à l’été 1958, sa réponse a été rapide, vigoureuse, totale et brutale. Il en assume la responsabilité dans sa lettre du 3 août 1958 adressée à tous les chefs des wilayas de l’intérieur et au C.C.E.

Le malheur est que ceux qui ont pris en charge la mission d’y faire face, forts des instructions du chef, ont traqué avec le plus grand zèle et la plus grande barbarie les cibles qui leur ont été indiquées dans cette même lettre-circulaire, à savoir les «intellectuels, les lycéens issus de la grève des étudiants, les déserteurs de l’armée française, les personnes venant de Tunisie, du Maroc ou d’autres régions». Cette traque a duré des mois et s’est traduite par une hécatombe au sujet de laquelle il serait malséant de dresser des statistiques.

Pour illustrer le zèle des exécutants de cette sinistre besogne, nous nous permettons de rapporter le témoignage d’un ex-officier de la Wilaya III M. A. M. qui, au lendemain de l’indépendance, a posé la question suivante à l’un des bourreaux de la wilaya, A. M. «Comment as-tu été capable de torturer et tuer autant de moudjahidine» ? «Si je ne l’avais pas fait, Si Amirouche m’aurait tué» ! me répondit-il : (sans commentaire).

Toujours dans le chapitre de l’environnement politique, la réunion interwilayas initiée par le colonel Amirouche, du 6 au 12 décembre 1958 et groupant autour de lui les chefs des Wilayas IV, VI et I respectivement Si M’hamed, Si El Haouès et Hadj Lakhdar qui partageaient des préoccupations identiques aux siennes en ce qui concerne le tarissement du soutien extérieur, considéré, à tort ou à raison, comme un lâchage, avait pour but avoué d’unifier les rangs des chefs de l’intérieur, coordonner les actions à mener contre l’ennemi – continuer la chasse aux traîtres, tout en se présentant aux yeux du GPRA et de l’état-major comme un front uni et solidaire dont les avis et suggestions devraient être entendus.

La défection de dernière minute du colonel Ali Kafi à cette réunion, qui se tenait sur son territoire, sur ordre supérieur certainement, a rompu l’unanimité souhaitée et infléchi la position des chefs de wilaya vers une attitude plus modérée en les amenant à se limiter aux seules questions militaires et organisationnelles internes, comme en témoigneront les différents P.V. de cette réunion adressés au GPRA dès le 1er janvier de l’année 1959. Bien plus à l’issue de cette réunion et en lieu et place d’une motion de défiance, c’est une motion de confiance et de soutien qui a été adressée le 1er janvier 1959 «au gouvernement de la jeune république», (cf. copie annexée au livre).

La réunion projetée à Tunis et les raisons qui la fondaient

L’ordre du jour relatif à cette réunion a été inscrit dans le message de convocation adressé aux colonels concernés. Il est signé du chef du COM Est Mohamed Saïd et vise les trois Wilayas la I, la II et la III, placées sous sa tutelle. Nous n’avons pas connaissance qu’un télégramme de même nature ait été transmis aux Wilayas IV, V, VI et si cela a été fait, il ne pouvait émaner que du COM Ouest.

Le fait que le chef de la Wilaya VI, Si El Haouès, a décidé de s’y rendre malgré le désistement du chef de la Wilaya IV, Si M’hamed qui a reporté son départ, en raison des opérations du Plan Challe «Couronne et Etincelles» qui se déroulaient sur son territoire, depuis décembre 1958, confirme bien la réalité et l’importance de ce rendez-vous. Cependant, le projet d’ordre du jour qui ne mentionnait que des sujets traditionnels et habituels : situation militaire, politique, économique, financière, etc. sans perspective d’un examen de vision future important quant à l’organisation et la stratégie à mettre en œuvre dans la nouvelle phase de la lutte, laisse penser que les vraies questions à débattre étaient volontairement occultées.

Nous pouvons avancer sans risque de nous tromper que les liens qui commençaient à se distendre entre l’intérieur et l’extérieur, les critiques non dissimulées, allant dans le sens d’une rupture de confiance, illustrée par la réunion interwilayas sus-évoquée, ainsi que la dramatique question de la Bleuite qui continuait à s’étendre et à décimer des cadres de niveau de plus en plus élevé, en Wilaya IV. Enfin la dissidence interne qui s’éternisait en W.I si bien qu’elle menaçait cette wilaya d’implosion. Tout cela indiquait qu’il ne pouvait s’agir que d’une réunion de mise au point d’une autre dimension où la confrontation n’était pas à exclure.

L’épineux problème des communications radio

Les débats ont également porté sur cette fameuse convocation à la réunion «de Tunis». Le Dr Sadi en présente une copie annexée à son livre. Le colonel Kafi parle d’un autre message qui lui est parvenu pour sa transmission au colonel Amirouche, ce que lui conteste le premier cité.

Au MALG nous vous apportons la preuve qu’il y en avait trois, comme en témoigne le message signé de la main de Amirouche et ainsi libellé :

Exp. Sagh Thani Si Amirouch

Aux armées le 1er mars 1959

Destinataire : C.O.M. Tunis

Reçu 1er message date du 25 janvier en Nord Constantinois – remis 16 février

Reçu 2e message 39-70 le 18-2 par Wilaya I.

Reçu 3e message n° 47-77 – le 27-2 par Wilaya I.

Vers 20 avril, serons parmi vous.

Ce message, dont la copie est jointe en annexe, signé le 1er mars, a été envoyé par porteur au P.C. de la Wilaya I pour sa transmission à partir de la station locale, à COM. Tunis. Il n’est arrivé à ce P.C. que le 30 mars soit le lendemain du décès des deux colonels Si Amirouche et Si El Haouès. Le chef de station de la Wilaya I, Saïd Ben Abdellah, n’a pas jugé utile de lui donner suite comme il l’affirme dans ses mémoires. Une pause s’avère maintenant nécessaire pour expliciter la situation des équipements radio à travers les différentes wilayas à cette époque. Dès la mi-57 après la réception par le colonel Boussouf d’un quota de postes radio, de grande qualité ANGRC/9, toutes les wilayas ont été dotées de deux appareils servis par deux opérateurs chacun. C’est ainsi que la Wilaya III disposait de deux appareils et de quatre opérateurs dont les noms suivent : Belkhodja Nourredine, Aït Hami Tayeb, Laâredj Abdelmadjid et Amar «Dépanneur».

Un des deux postes est tombé rapidement en panne et les quatre opérateurs ont été affectés à la station en fonction. Les choses ont marché normalement jusqu’à cette date fatidique du 9 décembre 1958 où l’explosion de la batterie nouvellement installée, après sa récupération opérée quelque temps auparavant sur le théâtre des opérations, a provoqué outre la destruction du poste radio, la mort des trois opérateurs cités en premier et des blessures plus ou moins graves au commandant Mohand Ou L’hadj et Abdelhafidh Amokrane, présents sur les lieux. Cet attentat criminel visait sûrement le colonel Amirouche qui, par chance, se trouvait ce jour-là hors de sa wilaya (réunion du Nord-constantinois). Après la destruction de cet appareil, le Commandement de la Wilaya III s’est trouvé privé de tout moyen radio et avait recours aux services des Wilayas I et II.

Sur le plan régional à l’exception de la Wilaya III démunie, la Wilaya VI disposait d’une station dans sa région sud et la Wilaya IV, sous la pression des opérations Challe, avait réduit, sur ordre du colonel Si M’hamed, sa radio au silence total. Dans un paragraphe suivant, nous parlerons des mesures prises par les services du MALG pour remédier en faveur de la Wilaya III à cet important déficit.

Les préparatifs du déplacement

Avant que le colonel Amirouche ne prenne son départ vers la frontière, le Dr Sadi nous retrace les décisions organisationnelles prises par lui pour la direction de la wilaya durant son absence ainsi que ses dernières recommandations. Amirouche avait notamment chargé une commission spéciale afin de préparer un mémorandum de doléances à exposer à la réunion projetée en avril à Tunis. Ce mémorandum daté du 2 mars 1959, annexé à l’ouvrage du Dr Sadi, comprenait trente et un points. Sa lecture laisse à penser que le colonel Amirouche n’a pas participé à sa rédaction, parce que le document reprenait un certain nombre de considérations générales et que les points les plus importants de son contenu ne cadraient pas avec la réalité vécue en dehors de la Wilaya III ou bien que la solution avait été apportée auparavant.

Nous analysons quelques-uns de ces points

Point n° 3 : «Demandons offensive coordonnée et efficace de la ligne Morice pour attirer des forces ennemies en masse et soulager la pression sur l’intérieur, l’offensive doit surtout permettre le passage de matériel et de munitions. » Cette pétition de principe laisse croire que la Wilaya III ignorait ce qui se passait au niveau des frontières.

En effet, après la réunion du 2e CNRA au Caire en août 1957, l’accent avait été mis sur l’effort de guerre et sur instruction du responsable des forces armées, au sein du CCE, une action d’envergure avait été projetée et mise en œuvre tout au long du premier semestre 1958. Sous la conduite du colonel Mohammedi Saïd, dix-sept grandes opérations de franchissement en masse du barrage ont été opérées. Ces actions étaient si violentes qu’elles ont provoqué les mesures de représailles que l’on connaît, avec l’agression de l’aviation française contre la ville tunisienne de Sakiet Sidi Youcef le 8 février.

Ces actions ont provoqué des dégâts importants au niveau du barrage et des accrochages dantesques ont eu lieu, dont la bataille de Souk Ahras du 29 avril au 3 mai 1958 qui a opposé un millier de combattants de l’ALN, dont deux compagnies destinées à la Wilaya III à côté du bataillon de Mohamed Lakhdar Sirine. Les renforts pré-installés sur le barrage dès le début de l’année ont mobilisé trois divisions la 2e à Annaba, la 11e à Souk Ahras et la 7e à Tébessa, soit plus de 40 000 hommes auxquels il y a lieu d’ajouter les moyens blindés, aériens et l’artillerie lourde.

Ces accrochages ont causé des pertes considérables à l’ennemi compte tenu de l’armement moderne des combattants de l’ALN, mais aussi des pertes tout aussi considérables du côté ami, soit plus d’un millier de chouhada en six mois. Malgré ces demi-succès, les actions de harcèlement et les tentatives de franchissement n’ont jamais cessé.

Point n° 5 : «Réclamons rentrée des cadres et djounoud vivant à l’extérieur.» Cette question sera reprise lors de la réunion des dix colonels et du CNRA des mois de septembre et décembre de l’année suivante. Elle se concrétisera par le retour en Algérie du colonel Lotfi : W.V et pas moins de sept commandants : Abderrahmane Oumira : W. III ; Ali Souai : W. I ; Ahmed Bencherif : W. IV ; Ali Redjai : W. I ; tombé au champ d’honneur sur le barrage ; Faradj : W. V ; tombé au champ d’honneur en même temps que Lotfi ; le commandant Benyzar, tombé également au champ d’honneur sur le barrage et enfin le commandant Tahar Z’biri : W. I.

Point n° 6 : «Voulons répartition des postes, matériel et personnel des transmissions équitable.» Les services du MALG n’ont pas attendu cette requête, qui ne leur est jamais parvenue d’ailleurs, pour décider et organiser des envois de postes-radio et des opérateurs aux wilayas qui en étaient dépourvues. C’est ainsi que dès que la station-radio de la Wilaya III a été mise hors d’état de fonctionner, dans les conditions que l’on sait, deux envois ont été programmés quelques semaines après : trois postes-radio et six opérateurs, Khentache Abdelouahab, Aïssaoui Rachid, Chebira Amor, Drici Abdelaziz, Maâzouz Mohamed-Salah et Rezzoug Abdelouahab ont été adjoints au lieutenant Hidouche en partance pour la Wilaya III à la tête d’une compagnie. Après mille et une péripéties, le barrage a été traversé et à leur arrivée aux portes de Bône, précisément à Sidi Salem, la Seybouse en crue n’a pas permis leur avancée.

Repérés dans la matinée, dans une orangeraie peu couverte, ils ont été pris à partie par l’aviation ennemie ce qui se traduira par la mort, le 24 juin 1959, de 47 djounoud dont les six opérateurs et la capture du reste des combattants blessés. Avant leur mort, les opérateurs avaient jeté leurs postes dans la rivière d’où ils seront retirés, quelques jours plus tard, par les hommes grenouilles de l’armée française.

La deuxième opération destinée à la Wilaya III a été engagée à partir de la frontière ouest, au nord de Béchar. Deux opérateurs, Harouni Bouziane et Ladjali Mohamed, munis d’un poste-radio, ont pris la route vers la mi-avril en direction de la Wilaya III.

Plus d’un mois plus tard, ils arriveront au PC de la Wilaya IV d’où ils attendront leur acheminement vers le lieu de leur affectation. Ils arriveront finalement à bon port juste avant le déclenchement de l’opération «Jumelles» et resteront silencieux, pendant toute la période de l’opération, pour éviter toute interception.

Point n° 16 : «Manquons cruellement matériel et munitions.» La réponse à ce point à été évoquée au point n° 3. Les membres du Conseil de Wilaya font abstraction des barrages électrifiés dont ils sous-estimaient l’efficacité. Les choses allaient beaucoup mieux avant la réalisation de cette ligne fortifiée. Les compagnies d’acheminement se dirigeaient régulièrement de la base de l’est vers la Wilaya III, notamment la célèbre compagnie de «Slimane l’assaut». Un bataillon a également quitté la Wilaya I à la mi-57 transportant plus de trois cents armes à la Wilaya III, ce qui réfute toute idée de discrimination ou d’ostracisme.

Point n° 17 : «Proposition d’installation d’une radio nationale à l’intérieur. » Proposition insensée compte tenu de l’équipement complexe, lourd et non maniable exigé, ce qui le rend vulnérable dès sa mise en route.

Point n° 23 : «Il est nécessaire de dépasser le stade de la guerilla et de passer le plus vite possible au stade de la guerre par la formation de grosses unités de type régiment ou division pour affronter avec de meilleurs résultats l’ennemi.» Proposition tout aussi insensée. La mise en œuvre du Plan Challe avec de très gros moyens, au contraire, a poussé l’ALN au pragmatisme par l’éclatement des katibas et des sections en unités de plus en plus petites.

Point n° 26 : «Aimerions que relations radio soient directes entre wilayas afin de régler problèmes urgents.» Rien n’interdisait les relations interwilayas si ce n’est l’intérêt sécuritaire. En effet, un code de chiffrement ne pouvait concerner que deux intervenants, la Wilaya et le Centre des transmissions national. Un code commun à plusieurs wilayas peut constituer un danger potentiel important en cas de sa récupération par l’ennemi à l’insu des autres parties utilisantes.

En conclusion, ces quelques points du mémorandum, considérés sensibles et analysés objectivement, soulignent le caractère imparfait de la connaissance de la situation nouvelle créée par l’évolution de la guerre avec la nouvelle stratégie des grandes opérations «Challe», adossée à un système défensif aux frontières quasiment hermétiques.

C’est cette méconnaissance et le manque de communication qui ont alimenté les rancœurs et accru les malentendus entre intérieur et extérieur. Les dirigeants extérieurs ne sont pas, non plus, exempts de tout reproche.

Des solutions techniques appropriées pouvaient être envisagées par les commandants des frontières, dont le ravitaillement en armes, la formation et l’envoi de troupes vers l’intérieur constituaient la mission exclusive.

Le déplacement fatal

Pour son déplacement vers la frontière, le colonel Amirouche n’avait, comme à son habitude, soufflé mot sur le choix de son itinéraire. Sa légendaire prudence et son extrême vigilance faisaient qu’il était impossible pour l’ennemi de le localiser par les voies classiques y compris celles du maillage de plus en plus serré des réseaux d’informateurs locaux dont il avait perfectionné, en liaison avec les S. A. S., le modus operandi.

La question de l’indiscrétion des messages radio est à exclure totalement puisque ni lui ni son compagnon ne disposaient de ce moyen et les stations principales en disposant étaient à l’arrêt volontaire ou forcé. L’allusion ici au rôle de Boussouf et de Boumediène, que l’auteur cherche à impliquer avec une énergie décuplée, ne peut résister à la critique.

La vérité est que l’ennemi savait que des responsables de haut niveau, c’est-à-dire des chefs de wilaya, devaient se rendre à Tunis pour une réunion dans une période de temps qui se comptait en semaines ou en mois, mais la question des itinéraires restait toujours une inconnue.

Il est utile de rappeler qu’en ce début d’année 1959, l’état-major de la 10e Région militaire avait mis en œuvre depuis la fin de l’année 1958 un vaste plan «d’éradication de la rébellion» selon les propos du général de Gaulle, que le général Challe lui-même devait encadrer et piloter. Partant de l’Oranie à l’ouest, de vastes opérations de ratissage avaient été menées et se concentraient en ce premier trimestre 1959 sur l’Ouarsenis et le Titteri.

Des troupes nombreuses et suréquipées étaient à l’affût de la moindre information pour intervenir en n’importe quel point du territoire ciblé. Les opérations de recherche étaient donc nombreuses et les accrochages fréquents. C’est ce qui s’est passé dans la région de Bou Saâda où, d’approche en approche, ces troupes sont tombées tout à fait par hasard sur l’équipée des deux colonels sur le djebel Thamer, ce qui est confirmé par de nombreux cadres de l’ALN ayant vécu l’événement et consigné leur témoignage y compris dans le débat en cours. Beaucoup de rumeurs ont été propagées pour affirmer que l’encerclement en question fait suite à des aveux de djounoud arrêtés aux abords du djebel Thameur ou celui du djebel Zemra et ce suite à des opérations de routine d’unités du secteur.

Cette éventualité est à écarter puisque le commandant de la 20e Division d’Infanterie, le général Roy, souligne dans son «rapport détaillé sur l’opération Amirouche», que la sous-zone Sud dont il avait le commandement s’étalait sur 30 000 km2 et qu’une série d’opérations y a été envisagée en «fonction de synthèses de renseignements établies par les 2e Bureau des secteurs de Djelfa et de Bou Saâda». Ce rapport du général Roy a été annexé par le Dr Sadi à son livre, pour bien montrer que le renforcement et la concentration de troupes dans cette sous-zone avaient été décidés par le général Massu suite à des renseignements parvenus à celui-ci (comment ?) indiquant le passage par le Hodna du colonel Amirouche. Malheureusement pour le Dr Sadi, ce rapport ne peut lui être d’aucun secours, parce que profane sur les questions militaires. Il en fait donc une très mauvaise lecture.

Premièrement, la liste des unités composant la 20e DI citée dans le rapport n’indique en rien le renforcement. Bien au contraire, par rapport à la composition classique de la 20e DI telle qu’elle figure dans les organigrammes des 16 divisions existant en Algérie et présentée dans le livre de François Porteu de la Morandière Histoire de la Guerre d’Algérie page 364, la 20e DI installée à Médéa le 5 février 1957 comptait un nombre d’unités plus important à cette date, puisqu’il lui manque trois régiments importants qui ont été déplacés : le 2e RI, le 6e RI et le 19e Régiment de chasseurs. Le régiment parachutiste dont il est fait mention, comme unité de renfort, n’est que le 6e RPIMA qui préexistait dans l’organigramme.

La seule unité nouvelle engagée dans l’action est le 2e Régiment étranger de cavalerie (Légionnaires) qui a été affecté aux réserves générales et opérait avec celles-ci dans le nord-ouest de la zone Sud, c’est-à-dire sur le territoire de la Wilaya IV.

De plus le rapport, pourtant demandé par le Premier ministre français, n’indique nullement que l’objectif visé dans ces opérations, celle du djebel Zemra comme celle du djebel Thameur éloignées quand même de 80 km l’une de l’autre, concernait personnellement le colonel Amirouche.

D’autres versions officielles existent, dont celle contenue dans le livre La Guerre en Algérie de l’historien militaire Georges Fleury que le Dr Sadi a dû lire puisqu’il le cite dans la bibliographie de son ouvrage. Georges Fleury rapporte que l’identité des hauts responsables n’a été déterminée qu’à l’issue de la bataille, ce qui a fait arriver en grande vitesse, ajoute-t-il, tout le gratin des «généraux étoilés».

Il est facile d’en conclure que si les deux colonels avaient été localisés avant l’assaut, les mêmes «généraux étoilés », dont Massu, se seraient trouvés sur place à portée de fusil du théâtre des combats.

Alors pourquoi ces accusations récurrentes contre Boumediène et Boussouf ? Nous pouvons comprendre que le démocrate Saïd Sadi n’a pas, d’atomes crochus avec Boumediène parce qu’il ne partage absolument pas, et c’est son droit, les idées et la conception de l’exercice du pouvoir tel que pratiqué par celui-ci durant de très longues années.

Ce n’est pas le cas de Boussouf qui a volontairement quitté l’arène politique à la veille de l’Indépendance quand il a vu l’inclination des nouvelles alliances à s’orienter vers un pouvoir autoritaire d’exclusion et de déni des principes, dont il s’est nourri avec des militants de la trempe de Ben M’hidi durant leurs dures années de militantisme clandestin. Ces principes d’intégrité morale, de don de soi, de patriotisme sans concession, il les a appliqués à la lettre durant l’exercice de ses responsabilités durant la Révolution.

Oui il a été dur et rigoureux avec ses pairs lorsque les circonstances l’exigeaient, mais il a agi, il a construit, il a laissé un bilan. De tout ce bilan : liaisons, transmissions, radio, logistique de meneur d’hommes, pourvoyeur d’armes, formateur dans les disciplines militaires basiques et dans les disciplines spécialisées, ambitieux pour la Révolution autant que pour ses cadres qu’il voulait élever au plus haut niveau de leurs possibilités et il y est arrivé puisqu’il a laissé à l’Algérie indépendante des centaines de cadres intégrés, engagés, immédiatement utilisables.

On oublie donc tout ce bilan pour s’accrocher au Boussouf responsable des services de renseignement de la Révolution. Il faut pénétrer dans le secret de ces services pour constater que ce n’est pas du tout l’image qu’en donnent leurs détracteurs. Les services de renseignement de Boussouf étaient orientés exclusivement vers l’ennemi dont il fallait connaître les intentions et les moyens d’action que ce soit dans le domaine militaire prioritaire, politique, économique, ou diplomatique.

Ces informations, Boussouf les mettait au service de la Révolution et au service de la lutte. Si les cadres qui ont travaillé avec lui, et ils sont plus de deux mille comparativement aux quelques dizaines de cadres qui faisaient tourner les autres secteurs ministériels, lui témoignent aujourd’hui respect et reconnaissance c’est encore et à cause de son bilan qui est aussi le leur. Boussouf n’avait aucun problème avec Abane, Krim ou Amirouche. Leurs chemins se sont très peu croisés. Arrivera un moment où toutes ces questions seront éclaircies.

Par ailleurs, Boussouf n’a joué aucun rôle dans ce qui s’est passé après l’indépendance, et les tenants du pouvoir en place lui vouaient une inimitié incompréhensible. Ses «hommes», si souvent montrés du doigt, ont, grâce à la compétence acquise, occupé effectivement des postes importants dans les rouages de l’Etat naissant, dans le secteur minoritaire de l’armée, dans ceux de l’administration et de la diplomatie, mais les analystes éclairés, et le Dr Sadi doit en faire partie, savent que ni eux ni les autres cadres à la tête de rouages stratégiques de l’État ne constituaient le pouvoir, propriété exclusive de la tête de la pyramide. Aujourd’hui les membres de l’Association du MALG, membres à part entière de l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM), ne sont pas un parti ou un lobby politique et encore moins une secte.

Il s’agit tout simplement d’une Amicale d’anciens compagnons issus de toutes les parties du territoire national dont une grande partie de la région que certains veulent singulariser à tout prix et leur ambition a été et demeure d’apporter les témoignages de ce qu’ils savent sur la lutte de libération tout en renforçant les liens de fraternité qui devraient prévaloir partout et toujours pour la préservation de l’image sacrée de la grande Révolution.

P./le bureau du MALG

D. O. K.