La structure actuelle du financement du déficit n’est pas viable et ne répond à aucune stratégie de soutien à la croissance et l’emploi. Des réformes sont incontournables
Le chocs pétrolier de 2014 et plus récemment la pandémie et la chute des prix du baril de pétrole de mars 2020 ont mis en exergue les vulnérabilités des finances publiques de l’Algérie: (1) la viabilité générale à moyen terme compte tenu de la durée de vie des ressources pétrolières ; (ii) la faiblesse des recettes fiscales ordinaires; (iii) le poids considérable de certaines dépenses courantes ; (iv) l’inefficience des dépenses en capital ; et (v) la structure inadéquate de financement du déficit budgétaire. Les trois premiers points ont déjà fait l’objet d’analyse dans des éditions précédentes du journal. Cet article va donc se focaliser sur la question non moins fondamentale des déficits budgétaires et analyser pourquoi leur niveau, leur caractère répétitif et surtout leur structure de financement posent des problèmes macroéconomiques sérieux. Plus important, l’article va expliquer pourquoi la prise en charge d’un déficit ne consiste pas uniquement à combler un trou financier (qui émerge du fait d’une consommation publique supérieure aux ressources de l’Etat), mais vu ses implications macroéconomiques importantes, elle doit viser un équilibre entre viabilité à moyen terme (finances saines) et croissance économique durable. Pour ce faire, la gestion du déficit du budget doit s’inscrire dans une stratégie globale devant accroitre l’efficience de la politique budgétaire au service de l’économie du pays.
Les fondamentaux des déficits budgétaires.
(1) Le déficit en lui-même n’est pas un problème. Par contre, son niveau et sa viabilité (la capacite du pays à le financer sainement ce qui implique que le taux d’intérêt de cette dette soit inférieur au taux de croissance de l’économie) ainsi que la disponibilité d’un espace budgétaire (or marge de manœuvre pour faire face aux imprévus et risques macroéconomiques- chocs, secteur public lourd-) sont des sources réelles de préoccupation pour les décideurs;
(2) Les déficits budgétaires ont des effets macroéconomiques en cascade. Ils peuvent, en effet, générer de l’inflation (notamment en cas de recours à la planche à billets), faire baisser la productivité globale (du fait de l’incertitude des ménages et des entreprises), déclencher un effet d’éviction (l’état capte des fonds prêtables diminuant ainsi le volume des ressources auxquels peuvent accéder les investisseurs privés), pousser les taux d’intérêt à la hausse (ce qui tend à attirer les capitaux étrangers, apprécier le taux de change et rendre les exportations coûteuses), augmenter l’endettement domestique et/ou externe, décourager et/ou affaiblir l’investissement privé et favoriser la fuite des capitaux ;
(3) Les formes de financement des déficits sont variées: les plus orthodoxes sont les suivantes : (i) une augmentation des impôts et/ou une réduction des dépenses ; et (ii) un endettement (auprès de la banque centrale si les statuts de cette dernière le permettent, des banques commerciales et du secteur non bancaire (avec émission du papier Etat ou bons du Trésor ce qui implique un marché primaire et secondaire bien rodés pour absorber le papier mis en circulation, une coordination parfaite avec la direction de la dette et surtout une courbe des intérêts afin de rémunérer adéquatement le papier et assurer son placement). Les formes non conventionnelles incluent : (i) le rééchelonnement de dettes (ce qui ne se produit pas de façon régulière) ; (ii) l’accumulation d’arriérés de paiements domestiques et/ou extérieurs (une voie de financement qui entame la signature de l’Etat et paralyse les rouages économiques) ; (iii) l’emission d’une dette souveraine (assouplissement quantitatif)rachetee par la banque centrale avec paiement d’intérêt ; et (iv) la monétisation pure et simple que les gouvernements peuvent envisager dans des crises comme celle qui sévit actuellement (émission de dette souveraine sans intérêt ce qui équivaut a la planche a billets); et
(4) Le caractère incontournable du rééquilibrage des finances publiques : le retour aux grands équilibres est vital pour créer des espaces budgétaires et préserver les conditions de réussite des objectifs à long terme, comme la croissance économique et la réduction de la pauvreté. Ces objectifs doivent s’insérer dans un cadre à moyen et long terme.
Le financement des déficits par les banques centrales n’est pas un phénomène nouveau.
Cette technique a repris de l’importance au cours de cette pandémie car les gouvernements du monde entier ont mis en place d’énormes programmes de relance pour lutter contre les dommages économiques et humains causés par le COVID-19. Ces programmes ont conduit à des déficits budgétaires très élevés couverts de deux façons : (1) la banque centrale finance les dépenses publiques – en achetant directement la dette publique ou en créditant les comptes du gouvernement le montant nécessaire (ceci n’est pas de la monétisation stricto sensu mais de l’émission de dette souveraine) des déficits) ; et (2) le gouvernement se finance en émettant des engagements non rémunérés (ceci est de l’impression de monnaie donc de la véritable planche à billets) donc de la monnaie en circulation.
Trois formats de planche à billets existent à travers le monde: (1) le financement minimal ou nul des déficits par les banques centrales dans la plupart des économies développées; (2) le financement à court terme destiné à atténuer les fluctuations des recettes fiscales (cas de nombreuses économies de marché en développement et émergentes); et (3) le financement monétaire défini par la loi pour ce qui est de la structure des échéances du prêt et le montant emprunté.
La question des déficits budgétaires en Algérie. Un diagnostic en la matière fait ressortir ce qui suit :
Point 1: Si la politique budgétaire a été réhabilitée comme levier de gestion macroéconomique en Algérie depuis les réformes des années 1990, elle est essentiellement utilisée pour une redistribution de la rente pétrolière (par le biais de subventions importantes couvrant une variété de produits de consommation avec un ciblage inapproprié) et comme mécanisme de soutien de l’activité économique par le biais de la dépense publique. Ceci surprend vu les vulnérabilités citées ci-dessus et l’existence de certains risques budgétaires majeurs dont: (i) les chocs macroéconomiques (les plus fréquents) ; (ii) la chute des prix du pétrole ; (iii) un secteur public vaste comprenant une myriade d’entités publiques (400 EP), plusieurs fonds sociaux, de nombreuses institutions non financières, des banques publiques, une administration postale et des démembrements locaux) qui donnent lieu à des appuis directs et indirects (garanties implicites et explicites) ; (iv) le déséquilibre financier du système de retraites ; et (v) le poids financier des administrations locales.
Point 2 : Il y a absence de gestion macroéconomique des déficits : les autorités les couvrent de façon ad hoc (surtout que le pays ne se finance pas à l’extérieur).
Point 3 : la structure de financement des déficits n’est pas viable et ne répond à aucune stratégie de soutien à la croissance et l’emploi. Entre 2000 et 2012, le déficit global du Trésor a connu un creusement continu, passant de 1, 3 % du PIB à 20 % du PIB, en raison d’une politique budgétaire expansionniste. Entre 2016 et 2019, ce déficit va baisser pour se situer aux environs de 9 % du PIB en 2019, un niveau très élevé. La couverture de ces déficits s’est faite entre 2000 et 2016 par le recours aux ressources du FRR en premier lieu et ensuite à travers les tirages sur les comptes des entités publiques. Mais à partir de 2017, le financement des déficits était assuré essentiellement par des appuis de la Banque d’Algérie (environ $66 milliards de dollars à fin 2019), poussant la dette publique interne qui se situait à 6,6 % du PIB en 2008 à remonter à 53,1% du PIB en 2020.
Point 4 : le pays ne dispose pas de stratégie d’endettement interne et externe.
La planche à billets en Algérie :
Face à la crise pétrolière de 2014 et jusqu’en 2016, l’Algérie avait pris un certain nombre de mesures partielles pour s’ajuster à la baisse des prix du pétrole, y compris la dépréciation du taux de change et la consommation de l’épargne financière et des réserves internationales de change du pays pour ne pas mettre en place un programme ambitieux et cohérent de stabilisation et de réformes structurelles pour relancer la croissance.
À la mi-2017, les autorités changeaient d’approche en décidant de ralentir la dépréciation du taux de change, de renoncer à la discipline budgétaire et d’amender la loi sur la monnaie et le crédit de 1990 pour mobiliser des concours financiers auprès de la Banque d’Algérie (BA) pour couvrir le déficit du budget, financer le fonds national des investissements (FNI) et apporter des appuis budgétaires au secteur des entreprises publiques. Ce qui est surprenant c’est que ce recours à la planche à billets à partir de novembre 2017 ne répondait à aucune logique macroéconomique et en ce sens était irresponsable.
En effet, les autorités disposaient de ressources domestiques et extérieures suffisantes qui, combinées judicieusement à des mesures d’ajustement raisonnables auraient pu non seulement engager le processus de sortie de crise du pays mais économiser $135 milliards, donnant ainsi des ressorts financiers fort précieux pour l’avenir. A contrario, le recours à la planche à billets en 2020 se justifie pleinement pour financer les programmes d’urgence en réaction aux dommages causés par la pandémie et l’effondrement des prix du pétrole.
Les conséquences macroéconomiques de la planche à billet en 2020. Deux conséquences : (1) augmentation de l’endettement intérieur de 24,1% du PIB en 2017 à 45,8% du PIB à fin 2019 (reflétant la décision irresponsable de 2017). A fin 2020, le ratio a augmenté de nouveau de 7,1 points de pourcentage à 53,1 % du PIB, en partie du fait de la pandémie ; (2) un effet d’éviction : puisque les crédits nets à l’État représentent en gros 50 % des crédits intérieurs. (3) Inflation : est passée de —– à 2,4 % en 2020. Cela signifie que les pressions inflationnistes ont été amoindries par la politique de stérilisation de la BA et réprimées par (i) le contenu en produits subventionnés (13 %) ; et (ii) l’obsolescence de la composition du panier et son objectif qui est de comparer l’évolution de la période courante avec les prix du panier de la période de base de 2001.
Le déficit budgétaire global en 2020 est considérable et a été financé par la création monétaire. Il est estime à 12,7 % du PIB par rapport à 9,6 % du PIB en 2019 (soit un écart de 3,1 points de pourcentage du PIB). Ce creusement significatif du déficit global (y compris celui de la CNR) reflète une forte chute des recettes à 30,3 % du PIB en 2020 par rapport à 32,2 % du PIB en 2019 (baisse de 1,2 points de pourcentage du PIB) et une baisse des dépenses de 5,1 points de pourcentage et une hausse de la contribution de l’état à la CNR de 0,5 points de pourcentage du PIB. Par ailleurs, le niveau d’endettement de l’état a atteint 53,1 % du PIB par rapport a 45,8 % du PIB en 2019. Cette augmentation de 7,3 points de pourcentage a permis de financer le déficit global du budget (3,1% du PIB) et le reliquat de 4,2 % du PIB couvrant les appuis aux entreprises publiques et le FNI.
Comment mieux gérer les déficits à l’avenir ?
L’Algérie fait face à une crise économique et financière profonde. Elle ne dispose pas de ressources suffisantes pour s’en sortir seule. Il faut donc en urgence articuler une stratégie de sortie de crise qui permettra également de mobiliser les appuis financiers nécessaires. Cette stratégie ne peut être crédible sans un plan clair et précis à moyen terme de réduction des déficits budgétaire et extérieur. La première tranche d’un tel plan doit contenir des objectifs de réduction des déficits ambitieux pour envoyer un signal fort et convaincant sur la détermination et le sérieux du pays à imprimer une trajectoire baissière. Il faut également une nouvelle stratégie de financement des déficits budgétaires qui permet d’établir un équilibre fondamental entre le besoin d’assainir les finances publiques et celui de préserver la croissance économique.
Le financement du déficit doit combiner des sources variées afin d’éviter des déséquilibres macroéconomiques et concentrer le fardeau du financement sur les seules sources domestiques qui déclencheraient un effet d’éviction. Le recours aux ressources locales et extérieures doit donc être envisagé en combinaison avec une vente des actifs de certaines entreprises publiques. Dans la foulée, cela permettra de créer un marché financier local et de développer l’actuel marché des valeurs immobilières. En appui de ces objectifs, il serait opportun de considérer : (1) des réformes profondes pour optimaliser le recouvrement des recettes fiscales ordinaires, rationaliser les dépenses courantes et améliorer l’efficience des dépenses en capital; (2) la définition d’une stratégie de gestion de la dette du gouvernement afin de mobiliser les montants de financement requis conformément aux conditions de risque et de coût fixés et en cohérence avec les objectifs de développement ainsi que des niveaux et du taux de croissance de la dette publique.
Cette stratégie de gestion de la dette souveraine efficace implique une coordination étroite avec les responsables de la politique budgétaire et monétaire afin de conserver l’endettement du secteur public sur une trajectoire durable et crédible et éviter des niveaux d’endettement excessifs. Ce qui donne une visibilité à moyen terme pour rassurer les créanciers ; (3) le renforcement de l’indépendance de la BA dont les statuts ont été affaiblis par les modifications de 2001 et 2017; (4) une amélioration de la transparence budgétaire (publication large des documents financiers, transparence dans la gestion des ressources naturelles, favoriser l’apparition d’institutions indépendantes qui travaillent sur les questions macroéconomiques) ; (5) la réactivation du cadre budgétaire à moyen terme et l’accélération de la mise en place de la loi organique portant lois de finance de 2017 afin de remplacer celle du 7 juillet 1984 et introduire le concept de programme ; (6) assurer le respect des règles fiscales en matière de déficit qui doivent être complétées par l’adoption d’une autre règle fiscale en matière d’endettement.
Par Dr. Abdelrahmi Bessaha – senior economist · International Monetary Fund