L’économie algérienne est fortement déséquilibrée (malade) et doit être reformée en profondeur (soignée) sans tarder.
En raison de facteurs internes (inadéquation des politiques publiques) et externes (chocs pétroliers à répétition -2014 et 2020 et pandémie de 2020), l’économie nationale fait face à une crise structurelle profonde.
Cette dernière intervient dans un contexte de pandémie (coûteuse en vies humaines et sur les plans économique, financier et mental), de tensions sociales et du besoin de faire évoluer la gouvernance en général.
Il faut donc définitivement rompre et de façon progressive avec le modèle rentier actuel et créer une economie de production élargie et inclusive. Vu l’énormité du chantier, une démarche méthodique est incontournable, avec tout d’abord une vision 2050 (où veut-on que l’Algérie se situe à cet horizon ?), une stratégie de développement 2030 (étape intermédiaire pour conduire la reconstruction et offrir ainsi les bases des plans d’action à moyen terme (2022-2025 et 2026-2030, etc.) qui eux donneront la mesure de la progression du pays en direction du nouveau projet d’économie.
C’est dans ce contexte difficile et complexe que les autorités viennent de publier en ce début de septembre un « plan d’action du gouvernement pour la mise en œuvre du programme du président de la République ».
Un document attendu et bienvenu qui est articule autour de cinq axes de reformes, dont un concernant l’économie du pays. Pour une analyse objective de la partie économique du plan gouvernemental, cet article va poser et tenter de répondre à quatre questions fondamentales et avancer quelques modestes propositions dans ce sens.
Question 1. De quoi souffre l’economie algérienne à l’heure actuelle ?
(1) Le premier problème est celui des déficits budgétaires et du compte coutant de la balance des paiements.
Les déficits sont énormes à fin 2020 et les perspectives pour 2021 et sur le moyen terme sont très défavorables. Pour le budget, sur le trend actuel (absence de tout processus de réforme), il faudra s’attendre à une hausse significative du déficit budgétaire hors pétrole (indicateur approprié) à environ 33,7 % du PIB hors pétrole en 2021 avant de chuter en moyenne à près de 32,5 % pendant 2022-2025 (pour une norme de 10 % du PIB hors pétrole).
Les facteurs explicatifs incluent la faiblesse chronique de la croissance économique mais également le faible niveau de recouvrement fiscal, une structure des dépenses courantes insoutenable, des investissements publics inefficaces et une structure de financement du déficit qui n’établit aucun équilibre entre croissance économique et viabilite des finances publiques.
Pour le compte courant de la balance des paiements (indicateur approprié), son déficit devrait atteindre 9% du PIB en 2021 avant de baisser légèrement à 7-8% du PIB entre 2022-2026 (pour une norme de 5% du PIB). Le problème fondamental du secteur extérieur n’est pas celui de la balance commerciale (et de sa réduction par des restrictions administratives des importations) mais celui plus vaste de l’écart entre les investissements et l’épargne nationale (ce qui demande des politiques macroéconomiques st structurelles fortes. Ces doubles déficits colossaux impliquent des ajustements douloureux et longs.
(2) Le second problème est celui de la faiblesse chronique de la croissance économique.
L’économie du pays étouffe sous le poids des rigidités structurelles, de la corruption, de principes doctrinaux obsolètes et sans fondement (en matière d’ouverture et de financement), de l’absence de vision et de fortes résistances à mettre en place un pilotage rationnel.
A preuve, la croissance économique est restée faible au cours des dix dernières années (moins de 3% alors que le potentiel est de 7%), le revenu disponible a chuté de 17 % et la valeur de la monnaie nationale a baissé de façon continue (34 % entre 2015-2019).
La crise actuelle offre donc une opportunité unique de refonder l’économie algérienne et de créer de la richesse réelle d’autant plus que des marges de manœuvre existent avec un PIB potentiel de $350 milliards (par rapport à un PIB de $144 milliards en 2020 et une projection de $151 milliards en 2020.
Par ailleurs, le marché du travail dispose de marges de manœuvre importantes si des politiques de formation ciblées pourraient recycler et réinjecter du personnel dans l’économie nouvelle (numérique et verte).
(3) le troisième problème est le chômage chronique qui frappe durement les jeunes et les femmes.
De 1 million de chômeurs afin 2019, ce niveau a dû doubler sous l’effet des chocs pétrolier et sanitaire de mars 2020 et notamment de la faiblesse des plans de relance budgétaire de juin 2020 (0,6 % du PIB) et de janvier 2021 (0,3 % du PIB).
Ajoutons à cela, les flux de demandeurs d’emplois annuels (environ 250,000 dont160,000 de primo demandeurs).
(4) le dernier problème est celui de l’inefficience de l’investissement public
qui fait perdre au pays des points de croissance (3 points), de l’emploi (plus de 45 %) et des recettes fiscales (à 1,5 points de pourcentage du PIB).
Question 2 : quels sont les défis que le pays doit relever sans tarder
Les axes stratégiques (à mettre en place en simultanéité) sont au nombre de cinq, afin notamment :
- (1) rétablir les fondamentaux macroéconomiques (priorité des priorités) ;
- (2) relancer l’activité économique ;
- (3) moderniser l’appareil de production ;
- (4) lancer d’ores et déjà le processus de décarbonisation au niveau du pays en misant sur les secteurs nouveaux du numérique et du vert, secteurs à forte valeur ajoutée ; et
- (5) mettre en place des structures de financement modernes (au-delà du simple système bancaire) afin de mobiliser l’épargne intérieure (fortement affaiblie en cette période de pandémie) mais également des appuis extérieurs sous forme de prêts-projets, des assistances à la balance des paiements et des investissements directs étrangers, ce qui donne une opportunité de rejoindre à terme des chaines de valeur dans le manufacturier.
Question 3 : Que propose le plan d’action économique du gouvernement ?
(1) Les axes :
au nombre de cinq (5), ils visent, à juste titre, à améliorer les leviers de la gestion macroéconomique; diversifier les sources de croissance économique ainsi que la structure des exportations; lutter contre le chômage et renforcer les infrastructures d’appui du pays ;
(2) Les réformes :
destinées à remédier aux faiblesses structurelles paralysant l’économie nationale, elles incluent :
- (i) la modernisation du système bancaire et financier; (réforme considérée par les auteurs du rapport comme la pierre angulaire de toutes les réformes).
- (ii) l’amélioration du climat des affaires et du cadre des investissements.
- (iii) la rationalisation des importations et l’accroissement des exportations hors pétrole.
- (iv) le renforcement de la compétitivité des entreprises publiques.
- (v) la modernisation de la politique budgétaire.
- (vi) le renforcement du système de protection sociale pour une meilleure prise en charge des populations vulnérables.
- (vi) la préservation du pouvoir d’achat des populations; notamment à travers une approche économique de la politique de l’emploi consistant à stimuler la création d’entreprises et de micro-entreprises dans les secteurs porteurs.
(2) Les mesures : de nature diverse et présentées en vrac sans cohérence.
(3) Quelques indicateurs macroéconomiques relatifs au passé
(période 2019-fin 2020 et pour certains, fin juin 2021) qu’il est difficile de rapprocher pour une lecture cohérente.
Question 4 : quelle analyse peut-on faire de ce plan d’action ?
Si j’appuie sans réserve les axes stratégiques retenus et les intitulés des réformes proposées; je voudrais offrir un certain de remarques.
Sur le plan méthodologique,
je note :
- (1) un retard très long dans la publication d’un document qui est sensé faire face à l’urgence; (continue de la pandémie qui n’est pas vaincue); et extraire l’économie nationale de la crise la plus profonde qu’ait connu le pays.
- (2) une approche de construction du document qui n’a pas privilégié la méthode participative; pour mettre à contribution les communautés locales de base où se fait désormais le développement.
Sur le plan de la substance,
le document :
(1) reste flou quant à sa nature :
ce dernier est un recueil d’intentions de réformes profondes (avec très peu de détails notamment pour chacune d’entre elles; 4 lignes sont consacrées à la réforme des subventions).
Accompagnées par des longues listes de diverses mesures, non hiérarchisées et sans classification par rapport à leur nature; (mesures de management technique, mesures macro structurelles, structurelles et sectorielles).
Certaines mesures sont de véritables chantiers devant s’étaler sur plusieurs années; (l’élimination du marché parallèle, l’intégration du secteur formel) tandis que d’autres marquent un retour au passé; notamment la création de banques spécialisées dans le logement et les services postaux.
L’empilage de mesures n’a pas manqué de créer des incohérences; (notamment sur la question des taux d’intérêt) et d’introduire une fragmentation vu le caractère transversal de certaines réformes (notamment celles du secteur public et de l’état dont le manque d’approche globale et de bases doctrinales est apparent).
(2) fait l’impasse totale sur ce qui aurait dû être le cœur de ce plan d’action économique :
la restauration de la viabilite budgétaire et extérieure. Sans un retour à des finances publiques saines et à des comptes extérieurs soutenables; il ne peut y a voir de relance ni de modernisation économique. De plus, le plan d’action se distingue par :
- (A) une surprenante paucité des données macroéconomiques et sociales ; et
- (B) de l’absence :
- (i) de données sur le coût des reformes, leur financement (disponible et résiduel) et la façon de couvrir le résiduel ;
- (ii) d’outils de base qui permettent de piloter un plan d’action, à savoir un cadre macroéconomique à moyen terme (CMMT), un cadre budgétaire à moyen terme (CBMT), un cadre des depenses à moyen terme (CDMT) ainsi qu’un tableau des objectifs intermédiaires macroéconomiques et structurels ;
- (iii) d’un horizon temporel des reformes ; et
- (iv) d’un édifice institutionnel devant piloter les reformes.
In fine, ce document ne constitue pas un plan d’action stricto sensu opérationnel qui permettrait de mettre en œuvre des reformes incontournables.
Alternativement, il offre une bonne base de discussion pour articuler un cadre stratégique intérimaire à long terme; sous réserve d’un travail d’affinement pour détailler les politiques et objectifs à atteindre.
Ci-dessous une proposition d’articulation d’un plan d’action.
Proposition de structure de plan d’action pour affronter les défis du pays.
Un tel plan d’action doit inclure :
(1) Les politiques et les mesures pour soigner l’économie algérienne qui est gravement malade,
la remettre sur pied, la moderniser, la diversifier, la rendre compétitive afin de la mettre au diapason des réalités internationales. Le plan d’action doit refléter ces objectifs et comprendre inévitablement:
- (i) un volet gestion de la demande globale car le pays vit au-dessus de des moyens (qui met en interaction les politiques budgétaire, monétaire, de change – le pays dispose d’un système de change flexible- et la gestion de la dette publique intérieure et extérieure) pour soigner l’economie;
- (ii) un volet transformations macro structurelles pour améliorer toutes les facettes du cadre des politiques publiques et utiliser avec aisance les leviers budgétaire, monétaire, de change et de la dette publique;
- (iii) un volet gestion de l’offre globale: pour moderniser et élargir l’appareil productif, ce qui implique:
- (a) des politiques structurelles : destinées à influencer les sources de croissance, la croissance potentielle, la compétitivité de l’économie, le tissu industriel, le cadre des investissements, le développement bancaire etc. ; et
- (b) des politiques sectorielles : qui ont pour rôle de peser sur la production globale du pays; et
- (iv) un volet protection sociale et redistribution : dont le rôle est de protéger les populations vulnérables qui sont affectées négativement par les réformes.
Les outils de pilotage en accompagnement
Le plan d’action doit être accompagné :
(1) d’un appareil performant de production de statistiques économiques, financières et sociales pour les mettre au niveau international afin de concevoir des politiques publiques de qualité, mesurer les mesures performances en temps opportun, prendre, si besoin est, les mesures correctrices que des développements nouveaux rendraient inéluctables et in fine appuyer un pilotage rationnel de l’économie ;
(2) des outils de pilotage discutés ci-dessus dont :
- (i) un cadre macroéconomique à moyen terme (CMMT) qui reprend les objectifs quantitatifs et structurels à moyen terme;(croissance économique, inflation, déficit budgétaire, déficit du compte courant de la balance des paiements, programme monétaire, taux de change, etc.).
- Ces objectifs chiffrés reflètent également le coût de toutes les réformes que les autorités souhaitent entreprendre et les besoins en financement. Si une partie de ces derniers n’était pas couverte, cela nécessiterait des apports extérieurs ;
- (ii) un cadre budgétaire à moyen terme (CBMT) qui définit, sur la base d’hypothèses économiques réalistes et sur une période minimum de trois ans, l’évolution de l’ensemble des dépenses et recettes des administrations publiques, le besoin ou la capacité de financement de ces dernières, des éléments de financement et un niveau global d’endettement financier de l’état (des agrégats de pilotage très importants) ;
- (iii) un CDMT établi sur la base du CBMT et décomposant sur une période minimum de trois ans les grandes catégories de dépenses publiques, par nature, par fonction et par ministère. Un complément indispensable d’une très grande efficacité qui injecte une dose puissante de discipline dans les finances publiques ; et
(3) d’un tableau du suivi de l’exécution de ces réformes avec des objectifs intermédiaires. Pour parachever l’écosystème du pilotage des reformes, il est vital de se doter :
- (i) d’un cadre institutionnel pour suivre l’exécution des réformes; recalibrer les objectifs quantitatifs et structurels si besoin est pour refléter les développements nouveaux éventuels ; et
- (ii) d’une politique de communication : pour établir et maintenir un dialogue avec les populations et les partenaires domestiques et internationaux.
Par Dr. Abdelrahmi Bessaha – senior economist · International Monetary Fund