Des réformes longtemps reportées devenues désormais coûteuses financièrement, socialement et politiquement mais incontournables, ce qui pose la question de leur modulation dans le temps. Si la remontée des prix du pétrole offre un petit ballon d’oxygène, l’économie du pays reste toujours plongée dans une situation de crise profonde en raison des chocs pétroliers à répétition (2014 et 2020 pour les plus récents), de la pandémie de la covid-19 et de la faiblesse des plans d’urgence mis en œuvre dans le contexte successif des lois de finances complémentaire (LFC) 2020 et initiale (LFI) 2021 pour atténuer les effets de cette dernière.
Dans une certaine mesure, le stimulus fiscal contenu dans la récente LFC pour 2021 adoptée le 8 juin 2021 (314 milliards de DA) pourrait éventuellement peser sur la demande globale et accroître ainsi l’output et les revenus des agents économiques pour peu qu’il soit opportun (dépenses engagées dans le circuit sans délai), temporaire (pour éviter de déclencher de l’inflation) et ciblé (pour faire parvenir les ressources aux populations et agents économiques qui en ont besoin pour les dépenser (un stimulus fiscal ne fonctionne que si les fonds sont injectés dans le circuit économique sous formes de dépenses). En tout état de cause, la remontée des prix du brut (dont il faut rappeler que le marché ne fonctionne pas uniquement du fait de l’interaction de l’offre et de la demande mais également en fonction de variables géostratégiques et géo économiques) et le dernier stimulus fiscal ne sont en aucune façon des leviers puissants en mesure de réduire à des niveaux soutenables les profonds déséquilibres macroéconomiques qui sont au cœur des dysfonctionnements de l’économie algérienne.
La reprise du contrôle des finances publiques et des comptes extérieurs du pays est incontournable et urgente pour freiner la montée des coûts qu’un décalage va ipso facto augmenter vu leurs niveaux très élevés- et l’absolue nécessité de créer les conditions d’une reprise, d’un élargissement des bases de la croissance économique et d’une refondation de l’offre globale en fonction des impératifs domestiques et géostratégiques de l’Algérie. Dans ce contexte, les niveaux des déficits sont les facteurs-clés qui vont déterminer :
- (1) l’ampleur de l’ajustement macroéconomique, structurel et sectoriel à conduire (les efforts à demander à la population) ;
- (2) la nature de l’ajustement (soit toutes les réformes à entreprendre et leur étalement dans le temps vu le contexte social et politique et la complexité des réformes) ;
- (3) les besoins en financement complémentaire (pour rendre les réformes applicables) ;
- (4) le mix des ressources financières domestiques et extérieures ; et
- (5) les conditions à mettre en œuvre pour faciliter les réformes et l’acquisition des ressources auprès des partenaires domestiques et extérieures. C’est dans ce contexte que les autorités viennent de rendre public le 16 juin 2021 un plan de relance pour la période 2020-2024. Dans une première partie, cet article va d’abord discuter de tous les points ci-dessus de façon générale (en fonction de la pratique internationale) pour établir une matrice qui servira ainsi de référence pour une analyse substantive du contenu du document du gouvernement.
Les priorités économiques du pays:
Il y en a huit :
(1) Chantier 1: stabiliser l’économie pour rétablir les fondamentaux macroéconomiques.
Les déficits sont énormes à fin 2020 et les perspectives pour 2021 et 2022-2006 sont très défavorables. Sur le trend actuel (absence de tout processus de réforme), il faudra s’attendre à une hausse significative du déficit budgétaire hors pétrole à environ 33,7 % du PIB hors pétrole en 2021 avant de chuter en moyenne à près de 32,5 % pendant 2022-2025 (pour une norme de 10 % du PIB hors pétrole); et à un déficit du compte courant de la balance des paiements de l’ordre de 9% du PIB en 2021 et qui devrait ensuite baisser légèrement à 7-8% du PIB entre 2022-2026 (pour une norme de 5% du PIB).
Dans ce contexte, la croissance économique sera d’environ atone (2,5 % en 2021) et stagnera en dessous de son potentiel autour de 3 % entre 2022-2026 ; l’inflation atteindrait 4,5% en 2021 et environ 6,5 % entre 2022-2026 ; les réserves internationales de change (RIC) continueront de chuter pour se situer à environ $43 milliards à fin 2021, $33 milliards en 2022, $23 milliards en 2023, $15 milliards en 2024 et des niveaux négatifs entre 2025-2026 ; et le chômage toucherait environ 2 millions de personnes. Pourquoi ces déficits colossaux ? trois raisons :
- (1) Les seules réformes économiques conduites dans le contexte du programme appuyé par le FMI (1994-1999) ont été purement et simplement abandonnées à la faveur de la remontée du prix du pétrole à partir de 2000 et n’ont même pas été réactivées pour contrer les impacts négatifs profonds du choc pétrolier de 2014, entrainant ainsi une lente détérioration des grands équilibres, un blocage de la croissance, une montée du chômage (des femmes et des jeunes surtout), la baisse du niveau de vie et la hausse de la pauvreté et des inégalités sociales ;
- (2) des politiques macroéconomiques expansionnistes dans un contexte de fausse prospérité; et
- (3) le manque de socle doctrinal, de repères stratégiques et d’outils de gestion rationnelle qui auraient pu faciliter le pilotage de l’économie. En conséquence, le déficit budgétaire hors pétrole et du compte courant de la balance des paiements se sont accumulés depuis une décennie. Le premier est passé d’un niveau moyen de 36,7 % du PIB hors pétrole à 26,7 % du PIB hors pétrole en 2020. Le second est passé d’un surplus moyen de 6,4 % du PIB entre 2000-2017 à un déficit moyen de 16,3 % du PIB entre 2018-2020.
(2) Chantier 2 : relancer l’activité économique :
La croissance a reculé en 2020 de 6% et il faut la raviver non pas seulement en comptant de nouveau sur la remontée des prix du pétrole (ce qui serait une vue à court terme) mais en actionnant des politiques publiques adéquates qui combinent judicieusement un dispositif d’urgence (qu’il faut renforcer tant que la pandémie n’est pas vaincue) et des mesures fortes et claires qui permettent de jeter les bases d’une relance dans la période post-covid 19. Ajoutons qu’il n’y a pas de place pour l’austérité qui étouffe la croissance économique tout comme il n’y a pas de place pour des politiques mal définies et sans robustesse.
(3) Chantier 3 : moderniser l’offre globale dans le contexte d’une vision à l’horizon 2050 et une stratégie de développement à fin 2030:
en la rendant flexible, diversifiée, saine et à même de répondre aux défis de l’emploi et de la réduction de la pauvreté. L’économie algérienne étouffe et s’affaiblit d’année en année sous le poids des rigidités structurelles, de la corruption, de principes doctrinaux obsolètes et sans fondement (en matière d’ouverture et de financement), de l’absence de vision et de fortes résistances à mettre en place un pilotage rationnel. A preuve, la croissance économique est restée faible au cours des dix dernières années (moins de 3%), le revenu disponible a chuté de 17 % et la valeur de la monnaie nationale a chuté de façon continue (34 % entre 2015-2019). La crise actuelle offre une opportunité unique de refonder l’économie algérienne et de créer de la richesse réelle d’autant plus que des marges de manœuvre existent. Le PIB potentiel est de $350 milliards alors que le PIB pour 2020 se situe à $144 milliards et celui de 2021 ne dépassera pas $151 milliards. Par ailleurs, le marché du travail offre également des marges de manœuvre importantes vu le facteur travail inutilisé et que des politiques de formation ciblées pourraient recycler et réinjecter dans l’économie nouvelle (numérique et verte entre autres).
(4) Chantier 4 : Entamer d’ores et déjà le processus de décarbonisation au niveau du pays,
processus qui deviendra irréversible d’ici 5 ans sur le plan international. L’Algérie doit donc être proactive et investir, entre autres, dans : (i) le numérique, source formidable de renforcement de la productivité (forte de son expérience réussie dans le secteur de l’état civil, des talents de sa jeunesse et des infrastructures et réseaux en place qu’il faudra toutefois continuellement renforcer pour améliorer vu l’impact du numérique sur la productivité, la croissance économique et l’emploi) ; (ii) le vert : un secteur à forte intensité de travail qui offre des échelles pour l’Algérie qui a en moyenne annuelle 2780 heures ensoleillées (moyenne mondiale de 2334 heures ensoleillées); et (iii) le bleu dans le sens d’activités intégrées; un autre atout pour le pays qui dispose d’une façade méditerranéenne de 1200 kms (exploités en partie) et d’un savoir-faire dans ce domaine.
(5) Chantier 5 : Mettre en place des structures de financement modernes
qui mixent les ressources domestiques et la mobilisation de l’épargne étrangère et qui appuient fortement une économie moderne. Aucun pays dans le monde ne peut se développer sans l’épargne extérieure et l’Algérie ne peut pas faire exception. A charge pour le pays d’encadrer le recours à l’épargne étrangère à l’instar des pays avancés, émergents et en développement qui nous ont précédé dans cette voie. Les excès de l’endettement extérieur des années 1970s et 1980s ne doivent pas servir de prétexte pour se priver de sources de financement incontournables. La dette extérieure se gère et de nombreuses techniques existent à ce sujet. Le pays donc mobiliser son épargne intérieure (fortement affaiblie en cette période de pandémie) mais également des prêts-projets (dons si possible), des appuis à la balance des paiements et des investissements directs étrangers, ce qui donne une opportunité de rejoindre à terme des chaines de valeur dans le manufacturier.
(6) Chantier 6: Mettre en place un appareil de production de statistiques
économiques, financières et sociales de standard international : pour concevoir des politiques publiques de qualité, mesurer les mesures performances en temps opportun, prendre, si besoin est, les mesures correctrices que des développements nouveaux rendraient inéluctables et in fine appuyer un pilotage rationnel de l’économie. La transparence et la bonne gouvernance sont les bases de la gestion macroéconomique moderne. Cet appareil statistique servira et devra être accompagné de nouveaux outils de gestion (cadre macroéconomique à moyen terme, cadre budgétaire à moyen terme et cadre de dépenses à moyen terme).
(7) Chantier 7 : Etablir un cadre institutionnel à deux niveaux
(technique et politique) pour concevoir les axes stratégiques et tactiques du programme de réformes, assurer le suivi de leur exécution et le recalibrage, si besoin est, des politiques publiques ; et
(8) Chantier 8 : Communiquer sur les plans intérieur et extérieur
pour donner de la visibilité à l’action publique du pays, éviter les rumeurs et les informations malveillantes et assurer l’appropriation des réformes et de la gestion de la cité.
Les instruments fondamentaux pour guider la refondation de l’économie algérienne.
Un programme de réformes, une stratégie d’endettement et la quantification des écarts de financement.
Le programme de réformes (l’outil le plus crucial) :
Nous avons eu l’occasion de le présenter en détail et à maintes reprises dans des publications précédentes. Articulons les grands axes :
(1) L’axe macroéconomique a pour objectif d’assainir les fondamentaux économiques
(un budget sous contrôle, une inflation maitrisée et un déficit de la balance des paiements soutenable par le biais d’un mix judicieux de politiques budgétaire, monétaire, de change et de gestion de la dette publique) pour favoriser l’investissement, ouvrir la voie à la croissance, créer des emplois et réduire les inégalités. Ce volet macroéconomique servira de point d’appui aux réformes structurelles.
(2) L’axe structurel :
devra combiner des réformes macro structurelles (visant à renforcer la qualité de la politique macroéconomique) et des réformes ciblant les structures du système économique pour relancer l’investissement privé productif (simplification des formalités administratives et la transparence), stimuler l’activité du secteur privé, inclure les femmes dans le marché de l’emploi, améliorer l’accès au financement, mettre en place un système financier moderne et lutter contre la corruption (une tache longue) pour rétablir la confiance de la population vis-à-vis des pouvoirs publics.
(3) L’axe sectoriel :
Il visera à moderniser et diversifier l’économie algérienne en pariant sur le développant de stratégies sectorielles cohérentes ambitieuses afin d’accroître la productivité et la valeur ajoutée. Un autre facteur en faveur des réformes est de renforcer la résilience de l’économie aux chocs extérieurs et intérieurs.
Objectifs macroéconomiques intermédiaires (2022-2025) (la feuille de route chiffrée dans un contexte de reformes globales) :
Intermédiaires car la réduction du déficit budgétaire prendra des années, ce qui implique des étapes. Prenant en considération les réformes ci-dessus, notre simulation nous donne les principaux indicateurs macroéconomiques pour la période 2022-2025 à moyen terme suivants :
- (1) Un taux de croissance moyen de 3% en 2021-2022 et environ 5 % entre 2023-2025 ;
- (2) Un taux d’inflation qui chutera progressivement pour se situer aux environs de 3%-3,5 % en moyenne au cours de la période 2022-2025 du fait d’une offre en reprise lente ;
- (3) Un déficit budgétaire primaire hors hydrocarbures devant baisser à 22 % du PIB hors pétrole en 2025 par rapport à 33,7% du PIB hors pétrole en 2021. Cette réduction du déficit résultera de réformes en matière de recouvrement de recettes et de rationalisation des dépenses courantes et en capital. Il sera financé par un mix de ressources domestiques et extérieures ; et
- (4) un déficit du compte courant de la balance des paiements qui sera ramené à environ 5-5 %- 6 % du PIB en 2025. En effet, les efforts de diversification (certes lents) et de libéralisation de l’économie se traduiront par une reprise progressive des exportations hors hydrocarbures, un léger rebond des investissements directs étrangers et une rationalisation des importations.
Le chiffrage des besoins de financement à trouver (afin de disposer d’un programme de réformes financé à 100%)
En conséquence, les besoins de financement prévisionnels de ces déficits (qui intègrent un volume global d’investissements publics de 6000 milliards de DA) pour la période 2022-2025 sont projetés à environ $133 milliards. La mise en œuvre de réformes globales entre 2022-2025 permettra de réaliser un gain cumulatif d’environ $30 milliards. Combiné aux disponibilités en réserves de change internationales d’environ $43 milliards à fin 2021, le gap de financement restant à couvrir sera donc de $60 milliards sur 4 ans (6,1 % par rapport aux $980 milliards de recettes pétrolières engrangées entre 2000-2019). Comment couvrir ce gap de financement ? les options disponibles seront détaillées ci-dessous.
La stratégie d’endettement extérieur (la feuille de route pour emprunter à l’extérieur):
la mobilisation de l’épargne étrangère est incontournable pour développer le pays. Toutefois, une incursion sur les marchés financiers internationaux et la recherche de financements de projets demandent une préparation minutieuse des dossiers, mais surtout la disponibilité d’éléments de référence qui inspirent la confiance des créanciers étrangers et domestiques sur le titre Algérie, notamment : (i) une stratégie à moyen et long terme qui offre au monde entier la visibilité économique à moyen et long terme du pays ; (ii) une stratégie claire de gestion de la dette publique qui précise entre autres les niveaux et usages productifs des emprunts ; et (iii) des indicateurs macroéconomiques (en voie d’amélioration) qui inspirent confiance aux créanciers sur la capacité du pays à rembourser.
Les formes de financement à considérer pour combler le gap de financement.
(1) Les sources domestiques incluent :
(iii) Le financement monétaire : cette option a des inconvénients majeurs car elle influe sur le volume de la base monétaire en excès de la demande réelle et fait monter le niveau général des prix et l’endettement domestique. En outre, si le financement monétaire n’est pas plafonné, les autorités ne font face à aucune contrainte pour maîtriser les déficits et rétablir la viabilité budgétaire, Dans ce sillage, la crédibilité et l’indépendance de la banque centrale, et donc sa capacité à promouvoir la stabilité des prix, seraient compromises ;
(ii) l’endettement intérieur : L’emprunt intérieur est avantageux car il ne comporte pas de risque de change et encore moins de risque de refinancement vu l’absence d’actifs alternatifs à faible risque. De plus, des émissions régulières de dette publique favorisent le développement d’un marché financier national, clé de voûte de la diversification de l’économie et d’une croissance tirée par le secteur privé.
L’inconvénient majeur, toutefois, c’est le risque d’éviction du secteur privé, vu la demande concurrentielle du secteur public surtout en phase de baisse rapide de la liquidité du système bancaire. Le marché financier algérien est embryonnaire et illiquide et ses instruments sont limités aux bons du trésor, détenus essentiellement par les banques et les compagnies d’assurance et aux créances détenues sur des entreprises publiques restructurées.
Fin 2020, la dette intérieure de l’Algérie représentait 53,1 % du PIB en raison du recours excessif à la planche à billets depuis 2017 pour financer le déficit budgétaire, les entreprises publiques et le Fonds national des investissements. Il faut donc très vite titriser cette dette pour dégager des marges de manœuvre pour l’Etat. Ce dernier devrait procéder à des émissions à intervalles réguliers d’une offre de titres de créance à différentes échéances, pour que les points de la courbe des taux aient des références liquides.
Dernier point, vu le rôle que doit jouer l’état dans le futur ce marché, il est indispensable de moderniser l’infrastructure de compensation et de règlement pour renforcer la confiance des investisseurs. Pour ce qui est des banques, elles pourraient puiser dans le réservoir du secteur informel pour accroître leur capacité à acheter de la dette publique en offrant une gamme plus large de services à leurs clients, tels que les cartes de débit et de crédit, les services de paiement électronique et des produits financiers conformes aux préférences religieuses spécifiques ; et
(iii) la finance islamique locale : il faut explorer l’émission d’une obligation domestique fondée sur le principe du partage du risque ciblant certains investisseurs de détail qui, pour des raisons religieuses, ne sont pas disposés à acheter la dette ordinaire du Trésor. Un marché d’environ 1,5 milliards de DA.
(2) Les sources extérieures comprennent :
(i) la finance islamique extérieure : il s’agirait d’émettre des «sukuks» ou des produits structurés de la même manière pour mobiliser l’épargne dans le monde islamique et financer des infrastructures et d’autres gros projets. Ces instruments pourraient bénéficier des émissions souveraines et des émissions d’entreprises ;
(ii) les créanciers officiels multilatéraux et bilatéraux : l’Algérie pourrait envisager d’emprunter comme elle l’a fait dans le passé auprès des créanciers officiels multilatéraux (institutions de Bretton Woods ou récemment la Banque Africaine de Développement qui a accordé un emprunt de 900 millions d’euros) ou bilatéraux (Canada, France, Arabie Saoudite, Emirats arabes unis, Japon et Belgique). Mais dans un contexte de récession mondiale, les bilatéraux ont tous des problèmes propres. Quand bien même ils souhaiteraient faire un geste, celui-ci serait plutôt symbolique et ne réglera pas les problèmes de financement de notre pays ;
(iii) l’endettement extérieur pour financer des projets et mobiliser de l’aide budgétaire : l’emprunt extérieur permettra d’atténuer les effets d’éviction réels aujourd’hui, de renforcer les réserves, d’élargir le nombre des investisseurs et permettre de fixer une référence pour le secteur privé. L’émission de dette souveraine à intervalles réguliers peut établir une courbe de rendement en devises qui peut servir de référence pour le secteur privé ou les entreprises publiques cherchant à emprunter à l’extérieur.
L’émission d’obligations internationales augmenterait la visibilité du pays et à son tour faciliterait les emprunts extérieurs et générerait davantage d’investissements étrangers directs. Il crée aussi des incitations à suivre des politiques saines. Cependant, il y a deux types de risques, dont le reflux des investisseurs et le risque de change. Ce dernier devrait être géré avec prudence étant donné que le dinar est encore surévalué et que l’Algérie ne dispose pas actuellement d’un marché à terme qui permettrait au gouvernement de couvrir sa position.
En tout état de cause, à fin 2020, la dette extérieure représentait 2,3% du PIB, ce qui donne au pays de la marge de manœuvre pour emprunter sans menacer la soutenabilité de la dette si elle engage des réformes pour booster ses recettes budgétaires et diversifier ses exportations. Pour ce faire, le pays doit expliquer sa stratégie d’endettement pour apaiser les inquiétudes généralisées du grand public selon lesquelles l’endettement envers les créanciers étrangers constitue une menace pour la souveraineté algérienne ;
(iv) Le crédit syndiqué est une autre option de financement externe : pour les marchés émergents et les pays en développement à faible revenu, les prêts syndiqués ont tendance à financer les infrastructures, les projets énergétiques et l’industrie extractive. Dans certains cas, les prêts consortiaux ont donné accès à des financements externes à des pays incapables d’exploiter les marchés obligataires internationaux en raison de leur faible solvabilité.
Les prêts syndiqués incluent généralement des clauses restrictives permettant de suspendre le financement à court terme et comportent donc un certain risque ; et
(v) les obligations souveraines internationales : l’Algérie n’a jamais émis d’obligations souveraines internationales et doit donc développer sa capacité à le faire. Par rapport à l’émission de dette intérieure, l’émission internationale implique un temps de préparation et une sensibilisation des investisseurs plus longs – un processus qui demande généralement l’embauche de conseillers juridiques, la conduite de roadshows et l’acquisition d’une note de crédit souveraine auprès d’une ou plusieurs agences de notation (l’Algérie n’a pas de note de crédit).
Compte tenu de l’intégration financière limitée de l’Algérie avec le reste du monde, la sensibilisation des investisseurs sera particulièrement importante pour expliquer les reformes, les perspectives économiques du pays et le programme politique du gouvernement.
Analyse du plan de relance 2020-2024 du gouvernement :
Le document intitulé Plan de relance 2020-2024 est le bienvenu dans le sens où il propose une démarche à moyen terme pour « relever plusieurs défis majeurs dont celui de la diversification économique et celui de l’amélioration du climat des investissements, et réfléchir sur les voies et moyens permettant de mettre sur la bonne voie, dans les meilleurs délais, le processus d’un développement économique national résilient, inclusif et solidaire ».
Le document souligne en outre que « la problématique de la mobilisation des ressources financières nécessaires au développement des infrastructures publiques et des investissements des entreprises économiques se pose de plus en plus avec acuité en raison de la persistance de la baisse drastique des ressources provenant des hydrocarbures et des effets de la crise sanitaire sur les activités économiques ».
Ce document fait un bilan de la situation macroéconomique à fin 2019, propose de nombreuses pistes de réformes importantes et certains indicateurs à moyen terme pour ce qui est de la direction de l’economie du pays et suggère des formes de financement nouvelles. Ce plan de relance qui est longtemps resté inconnu du grand public appelle les commentaires de substance suivants :
(1) Le timing de la publication pour le grand public :
soit plus de 10 mois après la conférence nationale et 6 mois après le début de 2021, ce qui est, même en prenant en compte tenu du temps de préparation, un lag (retard) très long pour un plan qui est sensé faire face à l’urgence continue de la pandémie qui n’est pas vaincue et extraire l’économie nationale de la récession la plus profonde que le pays ait connu ;
(2) La méthodologie de préparation :
Un tel document qui engage l’avenir du pays et doit susciter l’adhésion de toutes les couches de la population aurait dû être préparé de façon inclusive et selon la méthode participative. La conférence nationale aurait dû avoir une meilleure représentativité et être l’aboutissement d’un processus à double verticalité (de haut en bas et de bas en haut) pour inclure les communautés locales de base où se fait désormais le développement ;
(3) La nature du document :
ne ressort pas clairement nonobstant son intitulé de plan de relance 2020-2024 (horizon à moyen terme). Ce dernier contient des éléments qui ressortissent parfaitement d’une stratégie (économie de la connaissance, transition énergétique, numérisation, développement d’une industrie pharmaceutique à l’exportation, développement industriel comme facteur structurant de chaine de valeur), d’éléments de réformes ambitieuses qui peuvent éventuellement faire partie d’un plan d’action à moyen terme (climat des affaires, système bancaire et financier, gouvernance économique, restructuration du secteur public marchand) et même de manuels universitaires (nombreuses digressions inutiles dans un document opérationnel de nature officielle).
Ce mix brouille les frontières entre ces types de documents et complique sa lisibilité. Surtout, les priorités ne ressortent pas clairement, ce qui pose un problème pour mobiliser des financements internationaux ;
(4) La rupture avec le modèle rentier n’est pas clairement soulignée :
alors que de nombreuses références dans le texte font parfaitement allusion à cette nécessité. En outre, l’intitulé lui-même maintient cette confusion alors que le pays a besoin d’une rupture nette avec le passé et conduire une refondation de l’économie algérienne. Pour le grand public, le message est brouillé alors que de la clarté permettrait de susciter l’adhésion de la population pour ce qui est des intentions des autorités dans ce domaine ;
(5) Le bilan macroéconomique de base est incomplet:
Il est établi à fin 2019. De plus, certaines données à fin 2019 sont curieusement provisoires. Le document aurait été plus opérationnel s’il contenait un bilan à fin septembre 2020 (alors que le document était toujours en train d’être travaillé) ou à tout le moins à fin juin 2020. Ce qui est d’ailleurs frappant, c’est l’absence de référence au lancinant problème de production de statistiques de qualité pour faire de l’analyse macroéconomique solide et mesurer les performances en temps opportun. Cela est surtout crucial quand on met en place un plan d’action aussi ambitieux et étalé sur le moyen terme ;
(6) Le point d’ancrage à cibler en matière de politique budgétaire pour assurer le retour à des finances publiques
viables n’est pas le déficit global du Trésor (qui inclut les recettes pétrolières volatiles) mais le déficit global hors pétrole par rapport au PIB hors pétrole car il permet de totalement dissocier les recettes pétrolières du calcul du niveau réel du déficit budgétaire du pays ; et
(7) Le document est incomplet et ne contient aucun outil de pilotage ni d’édifice institutionnel pour un pilotage approprié des réformes.
Il ne procède pas à un costing des réformes proposées (un élément vital). De plus, et surprenant, il ne contient pas un cadrage macroéconomique complet à moyen terme (tableaux des indicateurs économiques et financiers, un tableau des opérations financières de l’état, une balance des paiements, une situation monétaire intégrée), un cadre budgétaire à moyen terme (traduction financière de l’exécution du plan d’action), ni de tableaux d’indicateurs intermédiaires pour suivre l’exécution des réformes. Un autre élément manquant est la quantification de l’écart de financement à mobiliser.
In fine, ce plan a besoin d’être actualisé, mais surtout être construit comme outil opérationnel, doté de structures ad hoc de suivi et de calibrage et rendu plus lisible pour susciter l’adhésion des populations et l’intérêt des partenaires auprès de qui les ressources seront mobilisées.
Par Dr. Abdelrahmi Bessaha – senior economist · International Monetary Fund